Prépension et malades de longue durée : des vases communicants

Résumé

Entre 2011 et 2024, le nombre de prépensionnés a diminué de 108 648 unités. Au cours de la même période, le nombre de malades de longue durée a augmenté de 124 582 travailleurs âgés. Ainsi, pour chaque prépensionné en moins depuis 2011, au moins un malade de longue durée âgé s'est ajouté.

Les gouvernements Di Rupo et Michel ont considérablement réduit le droit à la prépension et à la pension anticipée. Le gouvernement De Croo a poursuivi les politiques des gouvernements précédents. Le gouvernement de l'Arizona est la dernière pièce du puzzle et veut abolir définitivement le régime de chômage avec complément d'entreprise (RCC). Il veut également rendre les aménagements de fin de carrière moins accessibles et les sanctionner financièrement. Accumuler une année de carrière en vue d'une pension anticipée devient plus difficile. Le problème de base, à savoir un emploi viable pour les travailleurs âgés, n'est pas résolu.

Les personnes malades ou épuisées cherchent à s'en sortir. On ne change pas la réalité sociale par la suppression d'un droit social. Aujourd'hui, la prépension pour les métiers pénibles et les carrières longues est fixée à 60 ans. Dans le régime général, l'âge de la prépension est fixé à 62 ans.

Nous ne sommes pas égaux dans la vie. Celles et ceux qui ont eu une carrière intense pendant de nombreuses années sont plus susceptibles d'être épuisés ou complètement vidés par le travail. Nous ne sommes pas égaux devant la mort. Celles et ceux qui ont commencé à travailler jeunes, souvent dans un métier lourd, vivent moins longtemps et en moins bonne santé. Cette différence d'espérance de vie peut aller jusqu'à 10 ans. Si l'on considère l'espérance de vie en bonne santé, elle peut aller jusqu'à 20 ans. De nombreuses études montrent que les conditions de travail et de vie en sont la cause.

Le PTB veut conserver la prépension pour les métiers pénibles et un droit aux aménagements de fin de carrière pour tous les travailleurs âgés de 55 ans et plus.

1. Explosion du nombre de malades de longue durée

En mars 2024, la barre du demi-million de malades de longue durée en Belgique a été franchie pour la première fois. La plus forte augmentation du nombre de personnes en invalidité est observée dans le groupe d'âge des 60-64 ans. Le taux d'invalidité au sein de ce groupe est trois fois supérieur à celui de l'ensemble de la population active. À un moment donné, tous les corps disent stop.

Les troubles psychologiques et mentaux (par exemple le burn-out) et les maladies musculo-squelletiques et du tissu conjonctif sont les principaux responsables. Pour faire simple : les personnes qui sont malades pendant une longue période sont épuisées, soit mentalement, soit physiquement. L'INAMI explique cette augmentation par les tendances démographiques et les changements intervenus dans d'autres systèmes de sécurité sociale,« par exemple l’alignement de l’âge de la retraite pour les femmes sur celui des hommes, l’allongement de la carrière professionnelle, la suppression progressive des régimes de chômage avec complément d’entreprise et le durcissement des conditions d’accès à un départ anticipé, etc. » ¹

L'organisation du travail joue aussi : la flexibilité, la polyvalence, un travail mal adapté, une pression professionnelle accrue et une charge de travail physique et psychologique plus importante semblent jouer un rôle majeur dans l'évolution vers la maladie de longue durée.²

Bien que les jeunes puissent également être victimes de maladie de longue durée, il y a un lien évident entre l'âge et le risque de maladie de longue durée. Le vieillissement de la population est un aspect dont il faut tenir compte, la suppression progressive des régimes de pension anticipée, y compris la prépension, en est un autre. Securex³ résume bien la situation : « L'augmentation du nombre de personnes âgées sur le marché du travail et l'allongement de la durée du travail entraînent une hausse de l'absentéisme. Ce phénomène s'observe davantage parmi les ouvriers que parmi les employés. Physiquement, leur travail est plus lourd et cela les impacte plus s'ils doivent travailler plus longtemps. »⁴

2. Restriction de la pension anticipée et de la prépension

En 2012, le gouvernement Di Rupo a remplacé la prépension par le système de « régime de chômage avec complément d'entreprise » (RCC) et durci les conditions d'accès. À partir de ce moment, le RCC n'a plus été accessible qu'à partir de 60 ans, au bout de 40 années de carrière. a La prépension est également plus difficile d'accès en cas de carrières longues, de métiers pénibles et d'entreprises en difficulté et en restructuration.

Le gouvernement Michel a poursuivit le travail et encore durci les critères d'âge et de carrière pour les bénéficiaires du RCC. Aujourd'hui déjà, il faut avoir 62 ans et 40 ans de carrière pour avoir droit à la prépension. Le gouvernement Michel a également ajouté une obligation de disponibilité sur le marché du travail, ce qui sape tout l'intérêt de ce régime. Presque toutes les possibilités de quitter le marché du travail de manière anticipée ont été supprimées, comme en témoigne le tableau ci-dessous.

Tableau 1 - Évolution des conditions d'accès au RCC, à la pension anticipée et à la pension légale

Le nouveau gouvernement de l'Arizona est la dernière pièce du puzzle du démantèlement des aménagements de fin de carrière. L'accord de gouvernement stipule que « pour les RCC (l’ancienne prépension), et les autres systèmes qui encouragent la sortie anticipée du marché du travail dans le secteur public, il n’y aura plus de nouveaux entrants à partir de la date de l’accord de gouvernement, sauf pour les RCC médicaux. » Actuellement, le RCC médical ne concerne que 740 personnes. Ainsi, la prépension est pratiquement supprimée.

On ne change pas la réalité sociale en abolissant un droit social. Les personnes malades, épuisées ou écrasées par le travail cherchent des moyens de s'en sortir.

Si nous vivons plus longtemps, est-il logique que nous travaillions plus longtemps ? Si les gens vivent effectivement plus longtemps qu'il y a 180 ans, lorsque l'espérance de vie a commencé à augmenter, les humains en tant qu'espèce n'ont pas fondamentalement changé pendant cette « courte » période. Le processus de vieillissement en tant que tel n'a pas non plus fondamentalement changé. Beaucoup ne peuvent plus suivre le rythme de travail d'un quadragénaire lorsqu'ils approchent de la soixantaine. C'est la raison pour laquelle, traditionnellement et dans presque tous les pays industrialisés, la pension était accessible à partir de cet âge, avec des exceptions pour les personnes qui avaient commencé à travailler très jeunes ou avaient exercé un métier pénible. Il n'est pas surprenant que 8 personnes sur 10 estiment qu'il est physiquement ou mentalement impossible de travailler jusqu'à l'âge légal de la pension.⁵

Le graphique 1 ci-dessous montre le parallèle entre l’augmentation du nombre de malades de longue durée et la restriction du droit à la prépension.⁶ On voit bien l'effet de « vases communicants ». Alors que le nombre de personnes au RCC a diminué de 90 % (passant de 121 016 en 2011 à 12 368 en 2024), le nombre total de malades de longue durée a augmenté de 121 % (passant de 102 678 en 2011 à 227 260 en 2024). En d'autres termes, pour chaque prépensionné en moins, au moins un malade de longue durée âgé est venu s'ajouter.

Source : Service d'études du PTB, sur la base des chiffres de l'INAMI et de l’ONEM.

3. Vases communicants

Pour de nombreux travailleurs exerçant une profession lourde, la prépension était un moyen de mettre fin à leur carrière lorsque le rythme de travail devenait trop pénible. Nous ne sommes pas égaux devant la mort. Les personnes situées au bas de l'échelle sociale, qui commencent souvent à exercer un métier pénible très jeunes, vivent moins longtemps que les personnes situées en haut de l'échelle sociale. Cette différence d'espérance de vie peut aller jusqu'à 10 ans, mais si l'on tient compte de l'espérance de vie en bonne santé, cet écart peut même atteindre 20 ans.⁷

En cause : les conditions de travail, les conditions de vie, l'accès aux soins de santé. Si nous voulons donner un droit égal au repos et à la liberté à la fin de la vie de chacun, il faut mettre en place des régimes qui permettent aux travailleurs de prendre leur retraite plus tôt. C'est pourquoi nous voulons ramener l'âge de la prépension à 60  ans pour celles et ceux qui ont travaillé pendant 35 années dans une profession pénible. En outre, nous voulons des aménagements de fin de carrière pour toutes les personnes âgées de 55 ans et plus.

1 INAMI (2024). Baromètre Retour au Travail Consulté via https://www.inami.fgov.be/fr/statistiques/statistiques-indemnites/barometre-retour-au-travail

2 Waarom stijgt het aantal langdurig zieke werknemers? Focusgroepenonderzoek naar maatschappelijke factoren, 2018, voir : https://bit.ly/3caCVqM

3 L'absentéisme 2018 : 4 absents sur 10 malades pendant plus d'un an, voir https://press.securex.be/labsenteisme-en-2018--4-absents-sur-10-malades-pendant-plus-dun-an

4 Bedrijven kampen met recordaantal zieken, De Tijd, ven. 19 oct. 2018, page 1

5 https://press.securex.be/huit-belges-sur-dix-disent-ne-pas-pouvoir-travailler-jusqua-66-ans

6 Graphique réalisé sur la base de : 
RCC : Chiffres avant 2015 contac avec l’ONEM, chiffres après 2015 issus du site de l’ONEM https://interactivestats.services.rvaonem.fgov.be/interactivestats/population/unemploymentEnterpriseSupplement.jsf?dswid=409&nocid=true&faces-redirect=true
Malades de longue durée : INAMI, consulté sur le site de l’ONEM https://www.inami.fgov.be/fr/statistiques/statistiques-indemnites

7 H. Van Oyen, P. De boosere, V. Lorant et R. Charadessine (éd.), Sociale ongelijkheden in gezondheid in België, Gand, Academia Press, 2011, p. 29/30 ; Recherche menée par Médecins du monde en collaboration avec l'INAMI et les mutuelles de santé. Voir S. Vandekerckhove, « Met hoger diploma blijf je 25 jaar langer gezond », De Morgen 28 mars 2017; A. Mélard, S. Rabaté, M. Tô, Hidden redistribution in lifetime earnings: the role of differential mortality, Institute for Fiscal Studies, Working paper 24/44, 9 octobre 2024.