Que cache le plan Delhaize ?
Le modèle de franchise envisagé par Delhaize est un pas en arrière pour les Delhaiziens, mais aussi une tendance dangereuse pour l'ensemble de la classe travailleuse. Ce plan organise une spirale négative : plus de travail, plus de flexibilité, plus de précarité… et moins de salaire.
PVDA - PTB
Beaucoup de Delhaiziens se mettent en grève pour la première fois de leur vie. Sur les piquets, leur détermination est claire : ils ne vont rien lâcher. Jusqu'à ce que la direction retire son projet de vendre les 128 magasins appartenant à Delhaize à des exploitants indépendants. Le modèle de franchise envisagé par Delhaize est un pas en arrière pour les Delhaiziens, mais aussi une tendance dangereuse pour l'ensemble de la classe travailleuse. Ce plan organise une spirale négative : plus de travail, plus de flexibilité, plus de précarité… et moins de salaire.
En quoi consiste le plan de la direction ? Pourquoi veut-elle faire passer ce plan ? Quelles sont les conséquences pour le personnel et les clients ? Vous trouverez toutes ces informations dans notre dossier « Que cache le plan de Delhaize ? » |
La direction présente son plan comme un « exercice d'efficacité » et un « modèle gagnant » pour l'avenir de l'entreprise. Mais cet avenir est-il vraiment menacé ? Il est vrai que les marges bénéficiaires de tous les supermarchés belges diminuent à cause d'une concurrence féroce. Mais Delhaize a tout de même enregistré un bénéfice net de 48 millions d'euros en Belgique l'an dernier. En outre, l'entreprise belge fait partie de la grande multinationale Ahold Delhaize, qui a touché des bénéfices records de 2,5 milliards d'euros l'année dernière. On ne peut donc pas dire que l'entreprise soit en difficulté. En réalité, il y a autre chose en jeu.
Le site web d'Ahold Delhaize nous apprend que la société souhaite racheter des actions à ses actionnaires pour un montant d'un milliard d'euros d'ici à 2023. Il s'agit d'une astuce utilisée par les multinationales pour augmenter artificiellement la valeur boursière de leurs actions. Les principaux actionnaires touchent ainsi un double jackpot : d'abord, ils perçoivent un dividende (élevé) sur toutes leurs actions, et ensuite, ils peuvent revendre une partie de leurs actions à Delhaize à un prix beaucoup plus élevé que celui qu'ils ont payé eux-mêmes. Où la multinationale va-t-elle trouver ce milliard ? Dans les poches du personnel, bien sûr. Le PDG néerlandais Frans Muller a annoncé en février que l'entreprise allait réaliser... 1 milliard d'euros d'économies.
De la chaîne de magasins au modèle parasite
Actuellement, Delhaize est un détaillant, une chaîne de magasins. Il achète des marchandises à de nombreux petits fournisseurs et les vend à ses clients. Au fil des ans, l'entreprise a acquis une position dominante vis-à-vis de ses fournisseurs. Delhaize est leur plus gros client et peut donc leur faire du chantage pour qu'ils baissent leurs prix. Delhaize empoche ainsi de plus gros profits. C'est un exemple de capitalisme parasite, avec un capitaliste absorbant d'autres capitalistes.
Delhaize veut maintenant appliquer ce modèle parasite à ses magasins. En faisant passer tous ses magasins sous franchise, l’enseigne peut imposer des prix minimum aux fournisseurs et des prix maximum aux magasins. Elle s'assure ainsi de faire d’énormes profits en permanence. La conséquence de ce double modèle parasite est que les ouvriers et les employés sont exploités au maximum d'un bout à l'autre de la chaîne. En effet, les nouveaux exploitants « indépendants » seront eux aussi pressés comme des citrons. S’ils veulent encore faire des bénéfices, ils devront faire des économies aux dépens de leur personnel. Pour Delhaize, qu'importe la manière dont ils y parviennent : ce n'est plus son problème.
Et, bien entendu, confier les enseignes à 128 faux indépendants différents fait disparaître les grands syndicats nationaux de Delhaize. Le rêve de toutes les grandes chaînes de magasins. Le grand patron du secteur déclare : « Après Delhaize, d'autres suivront. » C'est donc l'ensemble du secteur qui sera bientôt touché.
Les Delhaiziens peuvent gagner
La direction ne s'attendait pas à tant de combativité de la part du personnel. Elle tente de semer la confusion en promettant le maintien de l'emploi, des salaires et des conditions de travail. Mais, heureusement, les Delhaiziens ne se laissent pas avoir. Pour Delhaize, rien de plus facile que de promettre tout et n'importe quoi ; une fois les magasins vendus, l’enseigne ne sera plus responsable de rien. Tous les magasins franchisés fonctionnent avec moins de 50 employés sous contrat fixe afin d'éviter d'avoir une délégation syndicale. Les licenciements sont donc quasiment sûrs. Les magasins indépendants sont également soumis à des normes moins strictes en matière de rémunération et de conditions de travail, que le nouveau propriétaire peut imposer dans un avenant au contrat. Cela permet de contourner facilement la fameuse « convention collective 32bis », censée garantir le maintien des conditions de travail. En fin de compte, sans syndicat, pas de garanties. Si franchiser ne change rien, pourquoi Delhaize y tient tant ?
Perdre n'est donc pas une option. Heureusement, le personnel a de bonnes chances de l'emporter. Lutter contre une multinationale, c'est comme David contre Goliath. Cela semble impossible, mais c'est possible. Ces dernières années, contre toute attente, les travailleurs de Ryanair et de Lidl ont également remporté des victoires contre ces grandes multinationales. En effet, il arrive toujours un moment où les actions pèsent trop sur les comptes et où la direction n'a plus d'autre choix que de plier. Ce que les travailleurs et les syndicats de Delhaize ont déjà montré en dépit de toute cette pression patronale est très fort : des semaines de grève, le blocage de dépôts, des manifestations au siège. La direction est de plus en plus nerveuse et le reconnaît elle-même : « Le préjudice est énorme. C'est peu de le dire. »
La bataille des Delhaiziens concerne tout le monde. Il s'agit d'une lutte pour le respect, un travail décent et des emplois de qualité. Contre une société où la soif de profit des grands actionnaires prime sur tout.