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Vote sur la reconnaissance de l’Holodomor comme génocide : pourquoi le PTB s’est-il abstenu ?

Vote sur la reconnaissance de l’Holodomor comme génocide : pourquoi le PTB s’est-il abstenu ? Par Nabil Boukili, député fédéral PTB.

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Nabil Boukili kijkt ernstig in de verte. Op de achtergrond wappert een vredevlag. Nabil Boukili

Vendredi 10 mars 2023

Le parlement fédéral vide.

PVDA - PTB

Le parlement belge a adopté ce jeudi 9 mars une résolution qui vise à faire reconnaître la famine qui a frappé l’Ukraine en 1931-1933 comme « génocide de la Russie soviétique ». Il ne fait aucun doute que cette famine est un épisode tragique de l’histoire ukrainienne et soviétique. Mais avec cette résolution – déposée initialement par le Vlaams Belang - le parlement veut la reconnaître comme « génocide », ce qui veut dire la destruction volontaire et méthodique d'un groupe national, ethnique, racial ou religieux. C’est le crime international le plus grave qui soit.

S’agissait-il d’un génocide ? Quatre avis ont été demandés par la Chambre à des experts académiques, historiens et juristes sur cette résolution. Les quatre avis d’experts – même s’ils reflètent des diversités d’approches et de point de vue – sont unanimes pour dire que ce n’est pas le cas. Le centre de droit international de l’ULB pointe même le risque « d’arbitraire » et déconseille le parlement d’effectuer cette reconnaissance. Le danger étant que certains ré-écrivent aujourd’hui l’histoire pour l’instrumentaliser dans les conflits actuels. C’est la raison pour laquelle le PTB s’est abstenu.

Bizarrement, ces avis d’experts ne sont pas mis à disposition du public sur le site du parlement. Voici les extraits (et en lien les textes complets) :

- Le professeur d’histoire de l’Université de West Virigina Mark Tauger, spécialiste de la question, conclut son avis en disant : « Sur la base de tout ce que j'ai présenté ici, je m'oppose à la commémoration de la famine soviétique de 1931-1933 en tant qu'événement exclusivement ukrainien, en tant que famine "artificielle", "imposée intentionnellement pour décimer les Ukrainiens" et en tant qu'élément d'une prétendue suppression totale de la culture ukrainienne. Je ne suis pas opposé à la commémoration des victimes de la famine, à condition qu'elle inclue les nombreuses autres victimes hors d'Ukraine, qu'elle reconnaisse ses causes complexes et en partie environnementales, ainsi que les efforts du régime soviétique, aussi imparfaits et limités qu'ils aient été, pour atténuer la famine et aider les paysans à la surmonter ». (Lire l'avis ici)

- Le Centre de droit International de l’ULB n’a pas non plus rendu un avis qui soutient la dénomination de génocide. Au contraire, il a mis en garde sur « le fait de savoir si la Chambre est un organe approprié pour décider de l’application de qualifications renvoyant à des crimes internationaux » et a prévenu contre le « grand risque d’arbitraire ». Et de conclure : « Pour ces raisons, il conviendrait de se montrer extrêmement prudent dans l’amorce d’une politique législative de reconnaissance d’événements historiques comme constituant un crime international. » (Lire l'avis ici)

- Le professeur Gwenael Piégais (Université de Brest), explique quant à lui qu’« il faut en effet rappeler un certain nombre de faits qui tendent à montrer que Staline n’avait pas pour projet de détruire les Ukrainiens en tant que peuple. Tout d’abord, après la famine, Staline a promu des cadres ukrainiens qui lui étaient fidèles, ce qui montre que la direction stalinienne voulait purger l’Ukraine de ce qu’elle percevait comme des éléments nationalistes, mais pas éliminer tous les Ukrainiens ». (Lire l'avis ici)

- Même le professeur Joel Kotek (ULB), expert demandé par le MR, explique dans son avis que : « Les crimes staliniens contre le peuple ukrainien sont d’une gravité et d’une violence inouïes, mais ne constituent pas pour autant un crime de génocide (...). Toute meurtrière et surtout criminelle qu’elle fut, cette famine organisée n’a eu pas pour objectif de supprimer jusqu’aux derniers les paysans d’Ukraine. » (Lire l'avis ici)

Face à ces avis des experts entendus par la commission, il est clair à la fois qu’il y a encore beaucoup de débats sur les causes réelles de cette terrible famine, mais aussi qu’on ne peut pas honnêtement au niveau scientifique la reconnaître comme un génocide au niveau du parlement belge. Rappelons qu’il y a aujourd’hui seulement trois génocides reconnus au niveau du droit international : le génocide des Arméniens, le génocide des Juifs et le génocide des Tutsis. En 2011, à la Chambre, la N-VA elle-même déclarait à propos de l’Holodomor et de l'accusation de génocide : « Il ne faut pas utiliser ce terme trop facilement, au risque de lui faire perdre sa valeur. » C'est d'ailleurs pour cela qu'en 2011, tous les partis (PS, les verts et même les libéraux) avaient voté contre une résolution du Vlaams Belang avec le même contenu, ou s'étaient abstenus.

Le danger est clairement que cette reconnaissance vise non pas à commémorer un tragique évènement historique, mais bien plutôt à ré-écrire l'histoire pour l’instrumentaliser en fonction de l'actualité et de la guerre en Ukraine. On véhiculerait l'idée que la Russie aurait toujours voulu anéantir l’Ukraine et qu’aucune négociation de paix ne serait donc même possible.

Là où le parlement belge est si réticent à reconnaître par exemple ses propres crimes coloniaux (documentés scientifiquement), il prend ici à toute vitesse une décision contre l’avis de tous les experts scientifiques. Ce n’est pas sérieux. Ce n'est pas parce que Poutine réécrit éhontément l'histoire pour justifier sa guerre criminelle qu’il serait légitime de faire de même au parlement en Belgique.

Nous nous abstenons sur cette résolution, car, si nous partageons la volonté d’honorer les victimes de la famine, nous ne voulons pas participer à la réinterprétation de l'histoire dans le contexte des événements contemporains. Nous suivons dans ce sens l’avis unanime des experts.