Union européenne : menaces contre les libertés au nom de la lutte contre les fake news
On ne combat pas les fake news en imposant la censure et menaçant la liberté d'expression.
Le Parlement européen vient de voter un rapport destiné officiellement à lutter contre les ingérences étrangères et les fake news. La lutte contre les fake news est importante, mais ce texte ne va pas dans le bon sens. Certains passages mettent en danger la liberté d’expression et offrent une possibilité accrue de censure aux gouvernements et plateformes numériques. Le PTB n’a pas soutenu ce texte, comme Ecolo et des députés socialistes. Voici pourquoi.
L’ingérence étrangère a des répercussions sociales considérables. Elle mérite une attention particulière. Des campagnes positives contre les fake news, sur le climat ou la santé par exemple, peuvent avoir un impact positif.
Toutefois, la lutte contre les fake news peut aussi ouvrir une pente glissante par rapport à la liberté d’expression et aux droits démocratiques en Europe. C’est la raison pour laquelle le groupe de la Gauche au parlement européen, au sein duquel siège le PTB, ainsi que les Verts avaient demandé de pouvoir amender le texte du Parlement européen en séance plénière. Cette demande a cependant été refusée. Philippe Lamberts, co-président du groupe vert au Parlement européen, avait à raison souligné que « ces questions sont des questions sensibles, pas faciles à traiter, car, bien sûr, elles mettent en tension différents aspects de la démocratie en termes de liberté d'expression, mais aussi des restrictions qui peuvent leur être appliquées. »
Plus de 200 ONG, dont Amnesty et Transparency International, ont d’ailleurs récemment mis en garde l’UE contre une éventuelle loi sur l'ingérence étrangère. Sous pression, la Commission européenne a dû reporter sa proposition de directive en la matière. Selon les ONG, ce genre de directives risque de réduire sérieusement l'espace de la société civile indépendante. Ces même organisations soulignent ainsi qu'ailleurs, ces lois ont déjà été utilisées pour faire taire les voix critiques.
En Pologne, ce risque se concrétise. Libéraux et socialistes y dénoncent une proposition de loi du gouvernement de droite, officiellement censée lutter contre l’influence russe, mais qui semble en réalité conçue pour empêcher des figures centrales de l’opposition de participer aux élections. Même une figure libérale pro-européenne comme Donald Tusk, ancien président du Conseil européen, serait directement visée. Le gouvernement d’extrême-droite israélien a lui aussi préparé une loi contre les ingérences étrangères avec l’objectif clair d’en finir avec la société civile critique.
De ce point de vue, le rapport voté par la majorité du Parlement européen est extrêmement inquiétant. Le rapport défend une censure préventive et proactive sur les réseaux sociaux, par les plateformes elles-mêmes. Cela voudrait dire que du contenu qui déplaît à une plateforme comme YouTube peut être tout simplement supprimé sans aucune procédure. La Fédération européenne des journalistes (FEJ) et l’Association néerlandaise des journalistes (NVJ) avaient de leur côté déjà exprimé leur inquiétude par rapport à l'utilisation de la censure et l’interdiction de médias comme outil de lutte contre la désinformation lors d’un rapport précédent du Parlement européen.
La lutte contre la désinformation passe par le pluralisme et l’éducation aux médias, pas par la censure. On ne combat pas les fake news en imposant la censure et menaçant la liberté d'expression.
Le texte du Parlement européen rentre directement dans la logique de nouvelle guerre froide poussée par les États-Unis. Actuellement, l’Union européenne utilise formellement une approche neutre en matière de pays, traitant de la même façon toutes les activités d’influence étrangère, indépendamment de leur pays d’origine. Le rapport propose d’abandonner cette approche et de se focaliser uniquement sur certains pays. Cela reviendrait, dans la pratique, à lutter contre des fake news russes, mais accepter les fake news américaines, comme celles sur la guerre en Irak. De cette façon, le rapport pousse à nous enfermer dans un bloc dirigé par les États-Unis, dont nous devrions tout accepter. Le rapport ne dit rien non plus des fake news diffusées ici en Europe par les gouvernements européens. Ainsi, les contrevérités du gouvernement Macron sur la réforme des retraites ne posent apparemment aucun problème à la majorité du Parlement européen.
Dans la même logique de guerre froide, le texte stigmatise aussi les diasporas au sein de l’Union européenne. Comme si toute personne russophone, ou d’origine chinoise ou iranienne, était un espion potentiel. Le soupçon généralisé que fait peser ce rapport sur les diasporas, les échanges culturels ou encore les partenariats universitaires ouvre la voie à une chasse aux sorcières et une augmentation du racisme. Les étudiants d’un pays n’ont pas à payer le prix des actions de leur gouvernement. Les partenariats académiques et manifestations culturelles sont criminalisées. Cette approche risque d’affaiblir gravement les droits démocratiques au sein des sociétés européennes.
Nous ne pouvons laisser passer cette vision. Il faut insister sur l’importance de la pluralité des médias et l’importance de journalistes, de vérificateurs de faits et de chercheurs indépendants et de médias de service public forts. Dans ce cadre, il est important de lutter contre la propriété monopolistique des grands médias, de rendre public et facilement accessible le financement des publicités en ligne ainsi que de protéger les processus électoraux des ingérences étrangères grâce à une transparence sur le financement des partis politiques.