Une coordination catastrophique : que s'est-il passé ?
La gestion de la catastrophe et des secours ont laissé apparaître de nombreux problèmes de coordination. En commençant par le déploiement des phases du plan d'urgence. Lundi 12 juillet, on sait déjà que plusieurs provinces vont devoir faire face à d'importantes inondations, voire des crues. Le lendemain, la pluie se met à tomber. Plusieurs communes déclarent l'état d'urgence. Pourtant, il faut attendre mercredi après-midi pour voir les provinces de Liège et de Namur commencer à coordonner le plan catastrophe. Le niveau fédéral, lui, attend toujours et ne se mettra en action qu'une fois que la catastrophe s'est déjà produite.
Nombreux s’étonnent de cette réaction tardive du fédéral. La Vivaldi ne pouvait-elle pas réagir plus vite ? Dans le texte de loi, les trois premières conditions dans lesquelles on peut considérer qu’une situation de crise enclenche la phase fédérale sont celles-ci : un minimum de deux provinces concernées, les moyens à mettre en œuvre dépassent ceux dont disposent la province, ou la situation risque de faire de nombreuses victimes (blessés, tués). Il était déjà évident que plusieurs provinces seraient touchées. L'IRM avait annoncé dès mercredi matin un code rouge pour plusieurs provinces. Il est très vite apparu que les moyens dont disposaient les provinces seraient insuffisants.
Le gouvernement n'est pas là pour intervenir lorsqu'il est trop tard. Les plans d'urgence existent non seulement pour l'aide à apporter, mais aussi pour prévenir et limiter les dégâts. Si le niveau fédéral était intervenu plus tôt, la coordination aurait peut-être pu se faire avec plus d'expertise et de moyens. Ici aussi, on est en droit de se demander si le chaos n'est pas né de la régionalisation de compétences importantes telles que la gestion de l'eau et l'administration des communes et des provinces. Cette régionalisation a fait perdre au niveau fédéral sa vue d'ensemble et le rend par ailleurs plus réticent à prendre une situation en main. Une fois de plus, c'est la population qui en fait les frais. Or, la tâche première du gouvernement est bien de protéger la population.
Après la catastrophe, le chaos, encore et toujours
Il est clair que même après l'intervention du gouvernement fédéral, la coordination est restée défaillante. Les témoignages pullulent : des pompiers bloqués pendant des heures dans les casernes en attente d'instructions, des policiers qui se sont spontanément portés volontaires pour aider mais n'ont reçu aucune mission, une protection civile qui a mis un temps considérable à se déployer, ou encore des victimes qui ont dû attendre plus de 24h avant d’être secourues .
Face à une crise d'une telle ampleur, il faut avant tout assurer la coordination entre tous les services appelés à intervenir : pompiers, services médicaux et psycho-sociaux, police, services communaux, protection civile ou encore armée,... Une coordination qui s’est de toute évidence avérée totalement défectueuse ces derniers jours.
Cela ne semble pas si étonnant lorsqu’on sait que tous les niveaux de pouvoirs étaient impliqués dans la gestion de la crise. Chacun avec son propre plan d’urgence : les communes, les provinces et le pouvoir fédéral. Cette situation kafkaïenne a eu énormément de retombées négatives.
Par exemple, le jeudi 15 juillet au soir, 230 pompiers reçoivent un mail : « Nous tenons à vous remercier pour votre dévouement. Toutefois, le centre de crise fédéral vient d'annuler toutes les demandes de renfort aux zones ». Comment est-il possible qu’en plein cœur de la catastrophe, on décide de se passer de ces secours supplémentaires ? Nous avons également appris que l’aide internationale d'urgence normalement destinés à la province de Liège a finalement été acheminée dans une autre zone faute d’avoir reçu une demande explicite de celle-ci. Un énième exemple qui illustre bien le chaos dans les différentes communications.
Des services d'aide fragilisés
On peut difficilement nier que le personnel des services d'aide s'est mobilisé sans compter. De tout le pays, des travailleurs ont afflué pour venir soutenir leurs collègues par solidarité. Des membres des services de secours qui vivaient sur place, mais aussi des policiers et des militaires sont venus spontanément en aide à leurs concitoyens.(1) Si certaines aides ont fait défaut, ce sont les économies réalisées au fil des ans dans ces services qu'il faut incriminer. Les équipes sur le terrain elles-mêmes affirment que le manque de moyens et les nombreuses réformes des services publics par les gouvernements successifs ont rendu les interventions difficiles.
Une Protection civile court-circuitée
Le cas de la Protection civile, dont la tâche est précisément d'aider la population en cas de catastrophe, est emblématique. Johan Boydens, directeur de la caserne de Brasschaat, est formel : « Si nous avions eu plus d'hommes, les opérations de sauvetage auraient été plus faciles ».(2)Le gouvernement précédent, sous la houlette du Premier ministre Charles Michel et du ministre de l'Intérieur Jan Jambon, a réalisé d'importantes économies sur les services d'aide. Les ambulanciers, les pompiers et, bien évidemment, la Protection civile sont bien conscients qu'ils ne sont pas en mesure de protéger les civils en cas de catastrophe majeure.
Le gouvernement Michel, dirigé par la N-VA et le MR, a fermé quatre des six casernes de la Protection civile, réduisant le personnel de 30 %, mais comme le nombre de volontaires a aussi été réduit, il faut considérer que les capacités ont été divisées par deux, selon les syndicats. Le site d'un nouveau poste étant trop éloigné pour de nombreux membres du personnel, le cadre de la Protection civile n'a pas été entièrement rempli. A Brasschaat, 30 % des postes restent à pourvoir, à Crisnée, 20 %. (3) Cela accentue encore la charge sur les pompiers, qui manquent déjà de personnel.
Le manque de matériel utilisable saute également aux yeux. Il a fallu attendre des heures pour que les hélicoptères soient disponibles, les canots de sauvetage n'étaient pas adaptés, toutes sortes d'équipements faisaient défaut. Jan Jambon avait pourtant justifié la nécessité de réformer la Protection civile notamment par le besoin d'équipements plus performants et plus spécialisés. Moins de casernes, des missions plus spécifiques, mais du personnel mieux équipé et mieux formé, c'était l'idée. Il s'avère maintenant que ce but n'est pas tout à fait atteint.
Un exemple concret des conséquences de la réforme : la distribution de sacs de sable, qui incombait auparavant à la Protection civile, est désormais confiée aux zones de secours et aux communes, qui ne disposent pas toujours du temps et des moyens nécessaires. « En fait, il faut se mettre autour de la table et tout revoir », affirme un délégué syndical. « Il faut avant tout prévoir des synergies avec l'armée. Et si on rouvre des casernes, – idéalement, une par province – il faudra aussi des budgets pour engager du personnel ».
Aujourd’hui, on constate que dans certaines parties du pays, il n’y a tout simplement plus de Protection civile rapidement déployable. C’est le cas du Hainaut qui a pourtant aussi été touché par les intempéries. Alors pourquoi avoir procédé à des réformes aussi drastiques ? Comme souvent, la réponse est : pour faire des économies. Le service aux citoyens ne semble pas être la priorité.
L'actuelle ministre de l'Intérieur Annelies Verlinden a déjà reconnu qu'il faudrait peut-être être reconsidérer la Protection civile. Il ne fait aucune doute que c'est nécessaire. Avec le changement climatique, ces catastrophes risquent de devenir beaucoup plus fréquentes à l'avenir. Nous avons besoin d'une Protection civile forte, au service de la population.
Une défense pour la Belgique, ou une force armée de l'OTAN ?
Et l'armée dans tout ça ? Il faut savoir que les politiques ont fait le choix d’une défense focalisée sur les interventions étrangères, comme au Mali et en Irak, en négligeant largement les interventions nationales. Les gouvernements précédents ont décidé d’investir prioritairement dans certains types d'équipements : des avions de chasse F-35, par exemple, au lieu d'équipements de sauvetage. Cela se ressent très concrètement sur le terrain aujourd'hui. Il a fallu quatre heures à l'armée pour arriver dans certains endroits où elle avait été dépêchée. Les militaires ne disposent pas du matériel adéquat pour les interventions, et souvent ils n'ont pas non plus la formation adéquate.
Lorsque l'État faillit à sa mission, le peuple entre en action
Ce que l'État n'est pas parvenu à faire, c'est l'incroyable solidarité de la classe travailleuse qui y a pourvu. Par exemple, 120 pompiers de Flandre sont allés aider leurs collègues de la province de Liège. Et lorsqu’une équipe qui était en route vers Esneux pour aider les sinistrés a crevé un pneu à hauteur de Louvain, les dépanneurs ont offert la réparation et le pneu : « C'est notre façon d'aider aussi », ont-ils dit.
Outre les services d'urgence, la solidarité de centaines de bénévoles est également visible. On voit partout des gens se retrousser les manches. Les citadins des quartiers situés plus en hauteur sont venus en aide à leurs concitoyens. Diverses organisations, comme des mouvements de jeunesse, des organisations de jeunes, mais aussi des réfugiés d'un centre de Mouscron ou encore des dockers d'Anvers, ont mis sur pied des initiatives d'aide. De véritables convois de bénévoles sont venus des quatre coins du pays aider les sinistrés. Avec le PTB, nous avons également mobilisé des centaines de bénévoles avec nos SolidariTeams, guidées et envoyées là où on avait besoin d'elles par les groupes locaux. Les meubles détruits ont été déblayés, la boue retirée, les caves pompées. Mais les habitants et les bénévoles ont également préparé et distribué des biscuits, des sandwiches, etc., ainsi que des bouteilles d'eau et du café.
Lorsque l'État faillit à sa mission, la classe travailleuse s'organise. Dans ces moments-là, il n'y a plus de Flamands, ni de Bruxellois ni de Wallons, mais des gens ordinaires, la classe travailleuse, avec un grand cœur. La langue qu'ils parlent est celle de l'unité, de l'unité dans la solidarité. Au vu de cette unité, nous nous opposons encore plus à la volonté de certains partis de scinder encore plus notre pays, de vider entièrement les institutions fédérales de leur substance et de diviser la Protection Civile. Il reste encore beaucoup à faire. Mais, avec tant de bras, la tâche est un peu moins lourde à porter.
Des services publics forts dans un pays fédéralisé, une nécessité
Quelles autres leçons tirer pour l'avenir ? Il est clair que de graves erreurs ont été commises. Les mises en garde européennes n'ont pas été prises au sérieux. L'IRM n'a pas été autorisé à exprimer sa crainte des inondations à cause de directives communautaires. Les autorités provinciales et communales n'ont pas agi de manière suffisamment décisive, parfois en raison d'un manque d'informations en provenance du niveau de la Région wallonne. L'eau retenue par le barrage d'Eupen n'a pas été lâchée préventivement, et il n'est pas exclu qu'il ait été soudainement ouvert. Le fédéral est entré en action bien trop tard. La coordination a mal fonctionné. Après des années de coupes budgétaires, nous ne disposons plus d'une Protection civile suffisamment forte, ni d'une armée principalement consacrée à l'aide intérieure.
Les gouvernements compétents doivent assurer une transparence totale. Cette transparence ne passe pas par de prétendus « bureaux de recherche indépendants » travaillant sur commande, comme le suggère le ministre wallon Philippe Henry (Ecolo), mais pas non plus par des « commissions d'évaluation » non contraignantes, comme le souhaite la ministre de l'Intérieur Annelies Verlinden (CD&V). Il faut une véritable commission d'enquête qui fasse la lumière sur les faits et les manquements à tous les niveaux.
Ce qui est déjà clair, c'est que notre pays a besoin de services publics forts. Malgré leur héroïsme et leur sang-froid, nous ne pouvons que conclure que les services d'urgence ont été complètement dépassés. Il faut investir dans une Protection civile de demain, avec des services d'urgence performants, sans chercher avant tout à faire des économies, mais bien à assurer la sécurité des citoyens. Il faut également inverser cette régionalisation absurde. Ce dont nous avons besoin, c'est d'une unité de commandement, et non d'un enchevêtrement de pouvoirs et de responsabilités scindés entre d'innombrables niveaux de pouvoir.
1 ‘Militair filmde eigen reddingsoperatie in Pepinster: "We hebben 24 uur niemand gezien"”, VRT NWS, 20 juillet 2021, https://www.vrt.be/vrtnws/nl/2021/07/20/reddingsactie-pepinster/
2 ‘"Sinds besparingen honderden mensen te kort"’, Het Laatste Nieuws, 17 juillet 2021, p. 6.
3 "La réforme de Jan Jambon, cible de critiques", Le Soir, 17 juillet 2021, p. 8.