Un plan de relance européen trompeur
Mercredi, la Commission européenne a présenté son Paquet de relance européen, sous le nom de « NextGenerationEU ». « Historique », selon tous les partis traditionnels, des libéraux aux verts en passant par les sociaux-démocrates. Pourtant, à y regarder de plus près, il n'y a pas vraiment de raisons de se réjouir...
Officiellement, le plan proposé par la Commission européenne veut aider les pays européens à surmonter la crise post-coronavirus. En réalité, il répond avant tout à une autre urgence : la profonde crise de l’Union européenne même. Début avril, un sondage révélait que seulement 14 % des Italiens appréciaient l’action européenne. Il faut dire que l’Italie, un des pays les plus frappés par le virus, a été totalement abandonné au début de la crise. L’Allemagne avait même bloqué l’exportation de matériel médical. L’Union européenne, toujours là quand il s’agit d’exiger des mesures d’austérité ou des réformes libérales, semblait avoir disparue quand il s’agissait d’aider un pays face à une pandémie. Au sud de l’Europe, même des politiciens très pro-européens s’étaient interrogés sur l’utilité de cette Union européenne.
Face à ce manque de confiance, Angela Merkel et Emmanuel Macron avaient proposé une solidarité minimale. En effet, l’Allemagne – dont les multinationales sont une des grandes gagnantes de cette construction européenne – ne veut pas trop de solidarité. Mais d’autre part, perdre cette construction européenne serait encore pire. Pourtant, c’est exactement à cela que pourrait mener le nationalisme de l’Autriche, la Suède, le Danemark et les Pays-Bas, porté en Belgique notamment par la N-VA. Ces forces libérales veulent juste un grand marché sans aucune solidarité. Comme le marché ne fait que creuser les inégalités, cette politique pourrait mener à l’explosion de l’Union. La Commission a donc choisi de concéder un peu de solidarité, une première dans la construction européenne, pour sauver l'essentiel de cette Union antisociale et au service des multinationales. Dans son discours de présentation, Ursula Von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, citait d’ailleurs, sans surprise, la sauvegarde du marché unique comme la première priorité.
Des chiffres à décortiquer
Que le premier objectif est de sauver le marché intérieur se voit dans les montants. La Commission européenne a parlé de presque 2 400 milliards d’euros, mais il s’agit là d’un enfumage. Presque la moitié de cet argent, 1 100 milliards, n’est pas de l’argent « nouveau ». C’est le budget normal de l’Union européenne sur sept ans. 800 milliards d’euros sont des prêts ou des garanties qui devront être remboursés. Nous parlons donc en réalité de 500 milliards de transferts financiers pour les pays les plus frappés et 500 milliards, c’est en fait très peu. C'est à peine la moitié de ce qu’a prévu l’Allemagne en aides d’État actuellement, et uniquement pour l’Allemagne. Face à ce qui s’annonce comme la plus grande crise sociale et économique depuis la Seconde Guerre mondiale, ce n’est clairement pas du tout un programme à la hauteur de l’urgence.
D’où viendront ces 500 milliards ? La Commission va les emprunter sur les marchés financiers avec le budget européen comme garantie. Il s’agira donc d’une dette collective de tous les pays de la zone euro où chaque pays européen est responsable seulement pour la part qu’il contribue au budget européen. C’est une première dans l’histoire européenne, mais Von der Leyen a en même temps souligné qu’il s’agissait d’une mesure temporaire et exceptionnelle et donc pas une solidarité structurelle. Il faut souligner que tout cet argent sera conditionné et lié au Semestre européen. Le Semestre européen est l’outil de « coordination budgétaire. » C’est selon ce mécanisme que les pays soumettent à la Commission européennes leurs réformes et que la Commission leur « conseille », elle, d’autres réformes, comme des coupes dans les soins de santé. En d’autres mots, pour ce paquet d’aides, on devra toujours demander la permission de la Commission européenne, qui va juger des plans et des réformes. La Commission ne sera pas très regardante cette année, mais les années suivantes, elle voudra de nouveau faire appliquer l’austérité et les réformes les plus néolibérales. Il est fort probable que d’ici un an, la Commission présentera à nouveau des réformes structurelles, de l’austérité ou par exemple la casse des systèmes publics des pensions.
Qui gagne, qui paie
Où va aller cet argent ? A peu près deux tiers du nouveau paquet passera via des plans de réformes et de relance nationaux, soumis par les États-membre à la Commission européenne dans le cadre du Semestre européen. Ne rêvons pas : contrairement à ce que pourraient croire les partis écologistes et sociaux-démocrates, cet argent ne servira pas une stratégie ambitieuse d’investissements publics, de renforcements des services publics ou des pensions… Il est plus probable que ce soit le modèle « tout soutien aux multinationales » avec un programme de subsides massifs et gratuits pour les grandes multinationales. Comme chez Lufthansa, qui reçoit de l’argent de l’État allemand, mais peut entre-temps restructurer, licencier, précariser, et envoyer de l’argent dans des paradis fiscaux, pour devenir plus grand dans le même monde qu’avant. D’autant plus que les PME sont réduites à une note en bas de page de tout le plan de relance. Finalement, le nouveau programme européen pour la santé recevra 9,4 milliards seulement.
Vient enfin la question de qui paiera au final ce paquet d’aide. Comment sera remboursé cet argent emprunté par la Commission européenne ? Il n'y a aucune certitude. Une option serait de nouvelles ressources fiscales pour l’Union européenne, mais la Commission ne présente aucune proposition concrète et ne mentionne que quelques pistes dont certaines très discutables : une taxe carbone aux frontières, une taxe digitale, une TVA simplifié, une taxe sur le plastique et les revenus du marché de carbone.
Une autre option, si les pays ne sont pas d’accord de puiser dans de nouvelles ressources européennes, sera d’utiliser le budget européen pour rembourser cette dette mutualisée. Et là, les plans sont prêts : on couperait par exemple dans les fonds structurels ou de cohésion, qui sont déjà largement insuffisants pour pallier les pires inégalités créées par le marché unique. Un retour de l’austérité, une diminution des fonds de cohésion, de nouvelles réformes structurelles seraient des façons de faire payer les travailleurs et la collectivité pour ce plan de relance dont profiteront en fin de compte surtout les grandes entreprises.
La lutte est lancée
Pour l’instant, il ne s’agit que de projets, donc la lutte sur le plan final est ouverte. Il paraît toutefois déjà évident qu’il nous faut tout autre chose. Plutôt qu’un plan qui vise à sauver le marché, il nous faut un plan ambitieux européen d’investissements publics à la hauteur de la crise sociale et climatique. Plutôt qu’un plan qui risque de faire payer les travailleurs de l’Allemagne à l’Espagne, il nous faut un plan qui fasse contribuer les grandes multinationales et les multimillionnaires européens par des taxes, telle la taxe sur les transactions financières et un impôt touchant la fortune des milliardaires européens. Un tel plan ambitieux devrait inclure une rupture nette avec l’austérité européenne et tous ses mécanismes, afin de pouvoir profiter tant aux travailleurs européens qu’au climat.