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Trump et l’Europe dans le monde de 2025

Début décembre 2024, Peter Mertens était invité au Peoples’ Forum à New York pour le lancement de Mutiny, la version américaine de son livre. Voici un extrait d’un long article de Peter paru sur Peoples’ Dispatch et qui fait le point sur certaines des thèses de Mutinerie.

Vendredi 3 janvier 2025

Photo de groupe de Peter Mertens, Laura Leon Fanjul et d'autres intervenants au Peoples’ Forum à New York

Photo Solidaire, Onno Vandewalle.

Aux États-Unis, Trump a été élu président avec à peine 1,3 % de voix de plus que Kamala Harris. Le problème du système électoral américain est que si l’on punit un groupe de capitalistes, on se retrouve avec un autre groupe de capitalistes. Et dans de nombreux endroits, la différence est à peine perceptible. Ce qui est certain, c’est que les Démocrates ont beaucoup perdu et qu’ils sont en crise. 

Avec l’élection de Trump, l’aile la plus réactionnaire du capital entre à la Maison Blanche. Il semble que Trump ait tiré les leçons de son premier mandat et prépare un programme de purge complète de l’administration. Cette tâche incombera aux milliardaires Elon Musk et Vivek Ramaswamy. Ces derniers détiendront des clés essentielles. Elles leur permettront d’accorder une nouvelle série de cadeaux fiscaux à la classe des milliardaires aux États-Unis, mais aussi de poursuivre le démantèlement d’un grand nombre de réglementations. 

Les trumpistes veulent faire de la lutte contre la Chine un point central et répondent essentiellement par trois axes. Le premier axe est la guerre contre les travailleurs aux États-Unis-mêmes. Avec Elon Musk, le gouvernement se dote de la « personne la plus antisyndicale qui soit ». Cela menace d’éroder encore plus les droits syndicaux dans le secteur public. 

Dans le même temps, Donald Trump a annoncé son intention d’imposer des droits de douane de 25 % sur toutes les importations en provenance du Canada et du Mexique, avec 10 % supplémentaires sur les produits chinois. Il est difficile de savoir si cela se produira réellement, mais ce qui est certain, c’est qu’une telle mesure entraînerait une forte augmentation des prix à la consommation aux États-Unis. Trump a fait campagne en se présentant comme un « ami de la classe travailleuse » et en menant une campagne contre l’inflation, mais ses politiques annoncent le contraire.

Avec l’élection de Trump, l’aile la plus réactionnaire du capital entre à la Maison Blanche

Peter Mertens

Secrétaire général

Un deuxième axe de Trump est l’augmentation des préparatifs de guerre contre la Chine, tant sur le plan économique que militaire. Mais aussi une politique encore plus agressive contre Cuba et le Venezuela, et contre l’Iran. S’ajoute à cela un soutien inconditionnel aux sionistes d’extrême droite en Israël. Trump a prétendu être un « président de la paix », mais le cabinet qu’il est en train de constituer est un cabinet qui intensifiera les guerres américaines.

Le troisième axe qui se dessine est une guerre contre les travailleurs migrants à l’intérieur du pays. On parle de la plus grande campagne de déportation jamais menée. Cela créera des problèmes dans les secteurs de l’agriculture, de la construction et de l’hôtellerie, et pourrait également entraîner une hausse des prix. Ce qui est tout aussi important, c’est que le racisme servira à faire diversion pour faire passer les autres mesures. C’est ce qu’on appelle diviser pour mieux régner, au détriment des droits humains fondamentaux.

Il y aura une grande continuité entre Biden et Trump

Il y a un demi-siècle, en 1973, Henri Kissinger voulait conclure un accord avec la Chine pour former un front uni contre l’Union soviétique. 

Aujourd’hui, le président Trump et le vice-président JD Vance ont indiqué qu’ils voulaient un « Kissinger inversé ». En d’autres termes, ils veulent conclure un accord avec la Russie afin d’isoler la Chine. Il est loin d’être évident qu’ils y parviennent. Tout d’abord, parce que les échanges commerciaux entre la Chine et la Russie ont fortement augmenté depuis. Ensuite, parce que cela dépend également de la guerre par procuration entre les États-Unis et la Russie en Ukraine.

Trump souhaite que les Européens versent au moins 3 % de leur PIB à l’Otan. Cela se ferait au détriment des dépenses sociales dans les pays européens

Peter Mertens

Secrétaire général

Le fait que Trump souhaite une fin négociée de la guerre avec l’Ukraine ne signifie pas qu’il ne souhaite pas que l’Otan gagne la guerre. L’administration Trump n’est pas du tout anti-Otan, comme le prétendent certains démocrates aux États-Unis et en Europe. Trump souhaite que les Européens versent au moins 3 % de leur PIB à l’Otan. Cela se ferait au détriment des dépenses sociales dans les pays européens.

Il n’y a pas de différence « qualitative » entre la nouvelle administration Trump et l’administration Biden. Pas plus qu’entre Trump I et Obama. « Nos adversaires pensent qu’ils peuvent monter l’administration précédente contre la nouvelle. Ils ont tort. Nous sommes le gant et la main, nous formons une seule et même équipe », a déclaré le nouveau conseiller à la sécurité nationale, Mike Waltz. Il y aura une grande continuité, notamment en matière de politique étrangère. Il s’agit du même empire, de la même stratégie impérialiste et du même complexe militaro-industriel.

Le Trumpisme en réponse au mouvement populaire

Un vélo à l'avant-plan d'une manifestation. Sur le guidon, une pancarte où on peut lire "We will fight for our future now"

Dans le cadre de la Marche des femmes, des manifestantes se rassemblent devant la Heritage Foundation. Elles sʼopposent au président Trump et les menaces qui pèsent sur la démocratie. (Photo SIPA USA)

On pense souvent en Europe qu’il n’y a pas de contre-mouvement aux États-Unis. Rien n’est plus faux. La dernière décennie vient d’être marquée par un renouveau des mouvements populaires aux États-Unis : le mouvement syndical, le mouvement Black Lives Matter, la Marche des femmes, la nouvelle « génération Palestine », etc.

Il faut également comprendre l’arrivée au pouvoir de Trump comme une réaction à ces mouvements. Il a été porté au pouvoir en partie pour freiner la contestation aux États-Unis. C’est ce qu’affirme, quasiment littéralement, le Project 2025 élaboré par l’organisation de droite Heritage Foundation. Avant l’investiture de Trump, le 20 janvier 2025 à Washington, d’importantes contre-manifestations ont déjà été annoncées dans plus de 100 villes des États-Unis. Ce mouvement peut compter sur notre soutien.

L’Allemagne en proie à la récession

Pendant ce temps, l’Europe s’enlise davantage dans la crise. Presque aucune économie de la zone euro ne connaît une croissance supérieure à 1 % par an. La moyenne est d’à peine 0,3 %. 

La plus grande économie d’Europe, l’Allemagne, est en récession depuis deux ans et traverse maintenant une crise politique. Les élections de février devront montrer par exemple si Friedrich Merz de la CDU (conservateurs) est capable de se poser en leader pour la bourgeoisie allemande. Rien n’indique que ce soit le cas. 

Le problème se situe aussi bien au niveau de la demande intérieure que de la demande extérieure. Les exportations allemandes stagnent depuis la fin de l’année 2022. D’une part, la demande chinoise, premier partenaire commercial de l’Allemagne, est en baisse. D’autre part, de nouvelles politiques protectionnistes voient le jour aux États-Unis. Si Trump augmente encore ses droits de douane, l’Europe sera affectée. La baisse de la demande touche non seulement les grandes usines allemandes, mais aussi tous les fournisseurs des chaînes d’approvisionnement en République tchèque, Slovaquie, Hongrie et Pologne. La demande intérieure est à son niveau le plus bas depuis 2010. Sur le front de la consommation privée, les dépenses restent inférieures de plus de 2 % au niveau d’avant la crise.

Avec la stagnation des demandes intérieure et extérieure, l’Allemagne se trouve entre le marteau et l’enclume. De plus, lʼéconomie allemande subit les répercussions des sanctions contre la Russie. Les investissements des entreprises restent inférieurs au niveau de 2019. L’incertitude persistante et les coûts élevés de l’énergie, de la main-d’œuvre et du capital incitent les entreprises à reporter leurs décisions d’investissement. L’activité de l’industrie chimique sur le sol allemand a chuté de 20 % en deux ans. Les commandes étrangères offrent également peu d’espoir. 

La France dans l’impasse

La deuxième économie d’Europe, la France, est dans une impasse politique totale. Le président français Macron s’est mis dans les pas de l’extrême droite du Rassemblement national pour former un gouvernement minoritaire. Quant à la troisième économie, l’Italie, elle est dirigée par l’extrême droite de Meloni. 

En France, la désindustrialisation est en cours depuis une quarantaine d’années. Le secteur manufacturier ne représente plus que 10 % du PIB. Le nucléaire est un avantage relatif pour la France, car la hausse des prix de l’énergie a moins affecté l’industrie française que celle des autres pays européens. Mais l’industrie française reste en grande difficulté. Au niveau national, 150 000 emplois sont directement menacés, selon la CGT. En France, il existe plus de 180 « plans de sauvetage industriel ». 

La France se considère toujours comme un État du P-5, un membre permanent du Conseil de sécurité disposant de ses propres armes nucléaires. Mais l’impérialisme français a mordu le sable au Sahel, la médiation de Macron au Liban a échoué, et les Français ont été coiffés au poteau dans l’affaire Aukus. La livraison de sous-marins nucléaires à l’Australie ayant finalement été accordée à Londres. Tout ce qui reste à Paris, c’est une prétention à diriger la politique de défense de l’Union européenne. 

L’avenir de l’Union européenne

Les oppositions entre l’Allemagne et la France restent très marquées, à la fois sur l’énergie et sur le développement militaire. Berlin et Paris s’accordent à dire qu’ils ont besoin de l’Union européenne comme d’un amplificateur, mais les intérêts à l’ouest et à l’est du Rhin sont de plus en plus conflictuels. Du point de vue français, le tournant allemand est trop transatlantique, ce qui laisse peu de place aux alternatives. Cela ne changera probablement pas avec Friedrich Merz : il est farouchement anticommuniste et pro-atlantisme. La Bundeswehr (armée) allemande construit sa propre base en Lituanie sur le modèle américain, tandis que Paris construit son terrain d’essai pour les troupes européennes en Roumanie.

Sans une nouvelle intégration plus poussée, l’Union se désagrégera. Mais chaque étape vers une plus grande intégration comporte de profondes contradictions : sur la mise en place ou non de « recettes propres », sur la création d’euro-obligations pour répartir la dette, sur les droits de douane pour les produits chinois, sur l’indépendance du projet de défense européenne, etc. 

Peter Mertens sur scène au Peoples’ Forum à New York pour le lancement de Mutiny, la version américaine de son livre

Peter Mertens au Peoples’ Forum à New York pour le lancement de Mutiny, la version américaine de son livre. (Photo Solidaire, Laura Leon Fanjul)

Si l’Allemagne et la France ne parviennent pas à formuler ensemble une réponse européenne commune à Trump, d’autres pays se tiennent prêts à conclure leurs propres accords bilatéraux avec Washington. C’est déjà le cas avec la sortie du Royaume-Uni de l’Union. Mais la Pologne est également prête. Avec les États baltes, la Pologne est non seulement la puissance la plus anticommuniste, mais aussi la puissance pro-américaine la plus agressive de l’Union. Le poids de l’Europe de l’Est se reflète également dans la nouvelle composition de la Commission européenne. Avec une direction polonaise ou balte, l’Europe de l’Otan aura encore plus de marge de manœuvre. 

Il n’est pas impossible que l’axe Paris-Berlin se transforme progressivement en un axe Berlin-Varsovie-pays baltes. Avec l’Estonienne Kallas aux Affaires étrangères et le Lituanien Kubilius à la Défense, la soumission de la nouvelle Commission européenne aux États-Unis s’est encore accrue. 

Le fossé technologique

Sven Agten, de la multinationale allemande Rheinzink, affirme que « ce ne sont pas les subventions gouvernementales, mais l’avancée technologique qui empêche les entreprises européennes de rivaliser avec les entreprises chinoises ». Il a raison. ArcelorMittal met au frigo son projet d’un milliard de dollars visant à rendre ses projets européens plus écologiques, y compris le projet phare annoncé à Gand. ThyssenKrupp a annoncé une vague de licenciements en Allemagne, et l’ensemble du secteur automobile européen est en grande difficulté. 

Il n’existe aucun plan sérieux d’industrialisation de l’Europe. Le projet de Draghi – ex-Premier ministre italien qui a remis un rapport sur lʼindustrie européenne – se heurte à la réalité d’une Europe divisée et à la contradiction historique entre l’idée d’une Europe fédérale, d’une part, et la souveraineté des États membres, d’autre part. Par ailleurs, aucun plan crédible n’est prévu pour développer des technologies de pointe propres. Le déclin dramatique du fabricant suédois de batteries Northvolt est un nouveau coup dur pour l’industrie européenne. L’Union européenne mendie auprès des Chinois pour qu’ils ouvrent des entreprises en Europe et partagent leurs technologies, mais la Chine ne le fera pas. Cela montre à quel point le monde a changé.

Socialisme

Nous sommes dans une ère où le centre de gravité économique mondial se déplace vers l’Asie, et plus précisément vers la Chine (et l’Inde). La Chine est une grande puissance en plein développement. Les États-Unis sont un empire qui commence à décliner, même s’ils restent une superpuissance militaire, financière et économique. L’Union européenne est une superpuissance en déclin depuis un certain temps.

Il nous appartient de croire en la capacité des gens à se mobiliser, à s’organiser et à rechercher une perspective socialiste

Peter Mertens

Secrétaire général

Les plaques tectoniques se déplacent. Sur l’échelle de Richter, les chocs à venir seront plus importants que tous ceux que nous avons connus au cours des trois dernières décennies. Ces chocs peuvent aller dans toutes les directions. Cela dépendra aussi de nous et de notre capacité à saisir les nouvelles possibilités. Il nous appartient de croire en la capacité des gens à se mobiliser, à s’organiser et à rechercher une perspective socialiste. C’est à nous d’inspirer la classe travailleuse pour une perspective véritablement socialiste d’émancipation, de paix et de coopération internationale. Contre la barbarie de ce système, il y a le socialisme.

Sur le même sujet, écouter l'entretien de Peter Mertens avec Brian Becker dans « The Socialist Program ».

Visuel de promotion pour Mutinerie, où l'on voit Peter Mertens devant un micro

Mutinerie

Peter Mertens voyage à travers les coulisses du pouvoir et les mutineries qui secouent la planète. Découvrez le livre, la docusérie et le podcast.