Témoignages : les conditions de travail inhumaines des bagagistes chez Alyzia, le nouveau manutentionnaire de bagages à Zaventem
La concurrence fait rage entre les entreprises de bagagistes à l'aéroport de Bruxelles-National. Les travailleurs et travailleuses en sont les victimes. « Jamais de toute notre carrière, nous n'avons connu de pareilles conditions. Nous sommes au bout du rouleau », confient-ils.
Les larmes aux yeux, Fons* nous explique qu'il travaille à l'aéroport depuis vingt ans. En tant qu’employé qualifié, il coordonne le chargement et le déchargement des avions. Les compétences qu'il a acquises au sein de la désormais défunte société Swissport ne valent plus rien. Il travaille à présent pour Alyzia, le nouveau prestataire de services de manutention des bagages, ce qui implique qu’il doit reprendre à zéro toutes ses formations. Les cours sont dispensés en français, alors qu'il est néerlandophone.
Par ailleurs, les nouvelles recrues sont souvent insuffisamment formées, ce qui peut entraîner des situations dangereuses. Malgré sa longue expérience professionnelle, il travaille toujours sous contrat intérim et son salaire n'est souvent pas payé à temps. Sur le tarmac, il doit utiliser son propre téléphone portable pour les communications professionnelles. L’absence fréquente d’un plan de chargement implique, de surcroît, un très grand risque pour la sécurité. Fons est épuisé mentalement.
« Les journées de 10 à 11 heures, souvent sans pause repas, sont la norme, et non l’exception »
Kevin explique qu'il arrive souvent qu’il ne soit informé que quelques jours à l'avance de quand il doit travailler. Malgré cela, son emploi du temps est susceptible d’être modifié à tout moment. « Nous ne savons jamais combien de temps nous allons devoir travailler. Les heures supplémentaires sont monnaie courante. Les journées de 10 à 11 heures, souvent sans pause repas, sont la norme, et non l’exception. Il arrive aussi régulièrement qu'il n'y ait pas onze heures de coupure entre deux shifts de travail et que nous commencions notre shift de travail épuisés. La charge de travail est très lourde et le personnel est bien trop peu nombreux pour charger et décharger les gros-porteurs. Il nous arrive également de devoir travailler en horaires coupés, ce qui signifie que nous devons nous présenter pour quelques heures tôt le matin et parfois aussi l'après-midi ou le soir. Et, même lorsque nous signalons au bureau d’intérim quels jours nous ne pouvons pas venir travailler, nos noms figurent tout de même dans le planning. Il n'y a pas de vestiaires ni de douches. Les gens doivent se rendre sur le lieu de travail dans leur tenue de travail. Le local où nous nous réunissons est trop petit et n'est pas sécurisé contre le Covid. »
Un collègue et ancien du service affirme avoir toujours aimé travailler à l'aéroport. « Il me reste deux ans de travail avant de pouvoir prendre ma retraite, mais je ne sais pas si je tiendrai jusque là. Nous sommes tous heureux de reprendre le travail, mais pas dans ces conditions. Je n'ai jamais connu cela de toute ma carrière. Nous sommes tous au bout du rouleau. Pour couronner le tout, le week-end dernier, c’est le système de traitement des bagages tout entier qui a planté. Plus de 10 000 valises n'ont pas décollé avec leur propriétaire. Tous ces bagages ont dû être traités et expédiés manuellement. L'aéroport est pratiquement resté à l'arrêt pendant plus d'un an. Pourtant, l'exploitant de l'aéroport, BAC, n'a pas saisi cette occasion pour remettre à neuf le système de traitement des bagages obsolète. Il n'y a pas le moindre respect pour les personnes qui travaillent ici. Aucune attention n'est accordée à la sécurité du personnel et des passagers. »
« Ces abus doivent être dénoncés de toute urgence, réagit Maria Vindevoghel, députée PTB qui a elle-même travaillé à l'aéroport pendant de nombreuses années. Je suis encore récemment intervenue à ce sujet au parlement. »
« Je suis extrêmement préoccupée par la santé et la sécurité du personnel, mais aussi celle des passagers, a-t-elle ajouté. De telles situations peuvent conduire à des accidents. Au PTB, nous plaidons depuis des années pour un statut protégé pour le personnel aéroportuaire. La concurrence acharnée que se livrent les entreprises de l'aéroport rend l'emploi plus précaire. Chaque fois qu'une entreprise perd son contrat ou sa licence, les droits acquis de haute lutte par les personnes qui y travaillent sont remis à plat. Nous voulons que les classifications des emplois et les conditions de rémunération et de travail à l'aéroport soient harmonisées, à l'instar de celles des dockers. Ce n'est qu'ainsi que nous pourrons protéger les travailleurs aéroportuaires de la spirale infernale qui lamine leurs droits. »
*Tous les noms de travailleurs sont des prénoms d’emprunt.
De Swissport à Alyzia
En juin 2020, la société de manutention des bagages Swissport a déposé le bilan. La crise du coronavirus a porté le coup de grâce à une entreprise déjà en difficulté et mal gérée. À l'aéroport de Zaventem, les deux manutentionnaires Aviapartner et Swissport se livraient depuis des années une concurrence acharnée. Dans le cadre de ce processus, les deux sociétés ont systématiquement cassé les prix afin de remporter des contrats avec les compagnies aériennes. Une spirale descendante qui remonte à la faillite de la Sabena et dont les travailleurs paient le prix fort.
Peu après la faillite de Swissport, un nouvel acteur est entré en lice. Le 1er juillet 2020, la société française Alyzia s'est vu délivrer une licence provisoire pour opérer à Zaventem. Cependant, Alyzia ne peut pas simplement reprendre les contrats de manutention de Swissport ; tout doit être renégocié. La concurrence effrénée bat son plein. Sur les 1 500 salariés licenciés, seul un petit nombre retrouve un emploi chez Alyzia. Cependant, au lieu d'être réintégrés à leur poste, ils sont cette fois réembauchés par le biais d'une agence d'intérim. Toutes les conditions de travail sont revues.