Sur le sentier de la guerre de Trump, nous n’avons rien à gagner
Les 11 et 12 juillet, Donald Trump viendra en Belgique pour un sommet de l’Otan. Il demandera à notre pays d’investir davantage dans la défense. Cela alors que les États-Unis durcissent leur politique étrangère et veulent assurer leur domination mondiale par la démonstration de leur force militaire. Le 7 juillet, 2000 personnes sont descendues dans la rue avec un message clair : #TrumpNotWelcome et #MakePeaceGreatAgain. Isabelle Vanbrabant est une des organisatrices.
Le 24 mai de l’an dernier, il y avait déjà eu une première marche de protestation contre Trump. Cette fois, le message pour la paix est davantage au centre de votre appel. Pourquoi ?
Isabelle Vanbrabant. À cause de Trump, le danger de guerre devient bien plus concret. Trump vient à Bruxelles pour exiger des alliés de l’Otan beaucoup plus d’investissements dans la défense. Les États-Unis veulent que tous les pays membres de l’Otan, donc aussi la Belgique, consacrent 2% de leur PIB à la défense. Aujourd’hui, en Belgique, c’est 0,9%.
C’est dans ce cadre qu’il faut considérer l’achat par la Belgique de 34 nouveaux avions de chasse. Ceux-ci sont équipés de toutes sortes de gadgets de haute technologie et donc taillés sur mesure pour exécuter des missions dans le cadre d’interventions nord-américaines « profondément en territoire ennemi ». Le slogan « Pas d’argent pour la guerre » du mouvement pacifiste belge, très actif dans notre plate-forme, est donc tout à fait approprié.
Comment ce danger de guerre se manifeste-t-il ?
Isabelle Vanbrabant. La politique étrangère des États-Unis s’est clairement durcie : les bombardements en Syrie, le transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem, la suppression de l’accord nucléaire avec l’Iran et le ré-instauration de sanctions économiques et financières, la politique constamment changeante envers la Corée du Nord, …
Ce qui est également très préoccupant, c’est la récente nomination de deux faucons purs et durs : John Bolton comme conseiller à la sécurité nationale et l’ancien patron de la CIA Mike Pompeo aux Affaires étrangères. On dit de John Bolton qu’il a comme principe que tout problème au monde peut être résolu par la force militaire. C’est lui qui, sous Bush, est parti en guerre contre l’Irak, sous le faux prétexte que l’Irak aurait fabriqué des armes de destruction massive.
Il nous semble donc tout à fait logique que le thème anti-guerre soit central. Qu’est-ce que nous, citoyens, avons à gagner à participer à cette logique de guerre ? Il s’agit d’investissements colossaux – la guerre, c’est du big business. C’est de l’argent qui ne peut pas être consacré à la lutte contre le changement climatique, à la protection sociale, aux droits des femmes, à une politique humaine de l’asile, …
Le cabinet de guerre de Trump est-il tellement différent des précédentes administrations ?
Isabelle Vanbrabant. En fait non. La politique étrangère des États-Unis a toujours été centrée sur la domination mondiale afin de garantir leurs intérêts économiques et stratégiques. Dans ce sens, la politique de Bush, mais aussi celle d’Obama, n’était pas différente.
Ce qui a bel et bien changé, c’est la situation mondiale. Les rapports de force ne sont plus les mêmes. La Chine est, sur le long terme, la puissance émergente au plan économique mais aussi militaire et elle est le plus grand challenger pour les États-Unis. Quant à la Russie, elle n’est plus le loser d’avant et elle joue à nouveau dans la cour des grands. En Syrie par exemple, les Russes ont une influence déterminante. Le cabinet Trump est comme un ours blessé qui peut frapper très fort.
Trump est-il fou ?
Isabelle Vanbrabant. C’est ce que beaucoup pensent. Mais ce n’est pas exact. Il a l’air d’une brute imprévisible mais il suit en fait une ligne cohérente. Il défend les intérêts des multinationales américaines à l’étranger. Leur domination sur les marchés mondiaux est de plus en plus sous pression.
Trump représente une partie de l’establishment nord-américain qui veut agir plus fermement contre la menace du déclin de l’hégémonie nord-américaine. Il est prêt à prendre plus de risques, à amener « fire and fury » (le feu et la colère) dans différentes régions.
Pour cela, la suprématie militaire est essentielle. Une de ses décisions les plus importantes lors de l’élaboration du budget américain a été de consacrer chaque année 54 milliards de dollars de plus à la défense. Ça, ce n’est pas une question interne nord-américaine mais une question qui nous concerne tous.
Les États-Unis se sont unilatéralement retirés de l’accord nucléaire avec l’Iran. Que s’est-il précisément passé ?
Isabelle Vanbrabant. L’accord nucléaire avec l’Iran a pour but d’empêcher que ce pays puisse développer la bombe atomique. L’Iran accepte ce faisant des inspections permanentes et une surveillance par caméras de ses installations nucléaires. En échange de quoi les États-Unis et l’Union européenne doivent lever progressivement les lourdes sanctions contre le pays. Des inspecteurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) ont déjà mené à dix reprises des inspections approfondies et ils ont à chaque fois constaté que l’Iran respectait les conditions de l’accord.
Le 8 mai, les États-Unis se sont retirés de l’accord, sous prétexte que l’Iran ne le respecterait pas. Cela veut dire que les États-Unis peuvent ré-instaurer des sanctions économiques et financières contre l’Iran. Et ce sont non seulement les entreprises américaines – le commerce direct entre les États-Unis et l’Iran est minimal – mais aussi les pays et les entreprises qui ne se sont pas retirés de l’accord qui en seront victimes. S’ils font du commerce avec l’Iran, ils risquent de lourdes sanctions de la part des États-Unis. De cette manière, Trump endosse aussi le rôle de gendarme économique du monde.
Qu’y a-t-il en fait derrière ce retrait ?
Isabelle Vanbrabant. Cette décision a très peu à voir avec le danger nucléaire; elle est motivée par le fait que l’Iran est riche en pétrole et en gaz.
L’Iran possède la quatrième plus grande réserve de pétrole et la deuxième plus grande réserve de gaz au monde. Le pays suit une voie indépendante et ne marche pas du tout au pas des États-Unis. De plus, l’influence de l’Iran dans la région augmente continuellement, au grand déplaisir des États-Unis et de leurs alliés au Moyen-Orient : Israël et l’Arabie saoudite. Israël a d’ailleurs lui-même un très important programme d’armes nucléaires, sur lequel personne en Occident ne trouve à redire.
Des sanctions économiques dures cadrent en fait dans une stratégie de changement de régime. Elles affaiblissent et isolent le pays. Qui sait, espère Trump, une crise sociale mènera bien à l’instabilité politique en Iran, le terreau idéal pour un changement de régime. Lorsque les sanctions contre l’Iran ont été instaurées, une grande partie des Iraniens ont perdu en pouvoir d’achat. Les prix des produits de base ont doublé. Au début de cette année, il y a eu des manifestations en Iran, surtout de la part de petits commerçants qui se plaignent du manque de perspectives économiques. Le but est donc de raviver ce mécontentement et de l’élargir, de discréditer le gouvernement ; les États-Unis veulent ainsi que celui-ci soit remplacé par leurs marionnettes.
Le seul grand challenger des États-Unis à long terme est la Chine. Pour contrer cette puissance en plein essor, les États-Unis ont besoin d’amis qui ont le contrôle du gaz et du pétrole au Moyen-Orient. Et l’option militaire n’est certainement pas exclue. John Bolton a un jour déclaré : « Pour arrêter la bombe de l’Iran, nous devons bombarder l’Iran. » Si l’Iran ne plie pas sous les sanctions économiques, les États-Unis peuvent décider de choisir la stratégie du chaos et intervenir militairement, comme ils l’ont déjà fait en Irak et en Libye.
Trump a-t-il réellement des alliés ?
Isabelle Vanbrabant. Il sait bien choisir ceux-ci. À la différence de ses prédécesseurs, il conclut des alliances encore plus fortes. Ainsi, le régime théocratique d’Arabie saoudite bénéficie de son soutien inébranlable. L’Arabie saoudite a été la première destination à l’étranger de Trump après son accession à la présidence. Son premier acte en politique internationale a été de signer un contrat d’armement de 110 milliards de dollars avec la régime saoudien. L’Arabie saoudite a actuellement, après les États-Unis et la Chine, les plus grandes dépenses militaires, c’est un sponsor reconnu de groupes terroristes ; elle mène une politique de déstabilisation dans la région et n’hésite pas à utiliser les armes de manière brutale, surtout contre la population au Yémen.
C’est là un exemple d’école de la double morale des États-Unis. Il ne s’agit pas ici des droits humains en Iran ou du supposé soutien iranien au terrorisme, car alors les États-Unis devraient s’en prendre tout aussi durement à l’Arabie saoudite. Mais, parce que cette alliance a pour but de garantir les intérêts stratégiques et économiques, on ferme soigneusement les yeux.
Une autre alliance controversée des États-Unis est celle avec Israël. Israël occupe la Palestine et y construit des colonies. Sous Trump, on observe un durcissement de la politique israélienne de confrontation envers les Palestiniens, vu que Trump donne carte blanche au Premier ministre israélien Netanyahu, de toutes les manières possibles. En décidant de transférer l’ambassade américaine à Jérusalem, Trump a clairement montré que l’alliance avec Israël était prioritaire. Tout comme Trump, Netanyahu pense que tout peut être obtenu par la force militaire.
Tels sont les alliés avec lesquels Trump part en guerre. C’est cette « troïka » qui est soutenue par nos dirigeants belges et européens. La politique internationale des États-Unis n’a rien à voir avec la démocratie, la paix, le respect des droits humains, la lutte contre le terrorisme et la dénucléarisation. Il faut «Make America Great Again», quel que soit le nombre de victimes que cela entraîne.
Y a-t-il alors encore de l’espoir ?
Isabelle Vanbrabant. Il y a de nombreux signaux positifs. Aux États-Unis mêmes, les jeunes de Parkland ont réussi à lancer tout un mouvement contre la loi sur les armes. Au plan international, il n’y a jamais eu de soutien aussi large pour l’interdiction des bombes nucléaires. L’an dernier, plus de 120 pays (sur 154) ont signé un accord des Nations unies à ce sujet. Tous les pays membres de l’Otan ont refusé de le signer, ce qui montre clairement leur position. Mais nous sommes nombreux à lutter contre la voie de la guerre et de la militarisation.
Pas mal de gens pensent que la politique nord-américaine ne les concerne pas vraiment directement. Voyez-vous des liens entre cette politique et des thèmes ici en Belgique ?
Isabelle Vanbrabant. Certainement. Voyez par exemple le débat sur les réfugiés. Ces dernières années, nous avons assisté à un important afflux de réfugiés, qui viennent précisément des pays que nous avons bombardés. Des politiciens de droite comme Theo Francken remettent aujourd’hui ouvertement en question la Convention de Genève et la Convention européenne des Droits de l’homme (CEDH), affirmant que nous ne pouvons pas accueillir ces gens. C’est incroyablement hypocrite.
Au Parlement, Theo Francken était à l’époque un des plus ardents partisans des bombardements en Libye. Aujourd’hui, ce même Theo Francken vient déclarer que la Convention de Genève, qui établit les droits des réfugiés de guerre, est dépassée. Il déclare également qu’il faudrait pouvoir le plus possible contourner l’article 3 de la CEDH qui protège les personnes contre la torture et des traitements inhumains ou dégradants.
Ce sont nos bombes et nos armes qui ont mis le Moyen-Orient à feu et à sang. Les flux migratoires et l’expansion du terrorisme islamiste sont une conséquence de ces interventions militaires et déstabilisations. Ces gens sont désormais présentés comme un danger, alors qu’ils fuient précisément le danger que l’Occident a créé dans leur région.
Quand Theo Francken commence ses discours par « America First » et parle de la nécessité d’une forte collaboration transatlantique pour garantir notre « sécurité », je vois de manière évidente un lien entre lui et Trump. Leur devise : il faut acheter encore plus d’armement, investir encore plus et exclusivement dans notre « sécurité », militariser encore davantage pour défendre notre suprématie et nos intérêts.