Suppléments de pension illégaux : Raoul Hedebouw répond à l’avocat de Herman De Croo
L’avocat de l’ex-président de la Chambre Herman De Croo (Open-VLD) a envoyé une lettre recommandée au PTB contenant des menaces de poursuites judiciaires.
Ce courrier arrive quelques jours après qu’un autre ex-président de la Chambre, Siegfried Bracke (N-VA), a lancé une action en justice à notre encontre. Leur objectif ? Faire supprimer la pétition en ligne du PTB demandant le remboursement intégral des suppléments de pension illégaux que les deux intéressés se sont octroyés pendant des années. Voici la réponse de Raoul Hedebouw, président du PTB.
Au printemps 2023, nous avons révélé que Siegfried Bracke (N-VA) et Herman De Croo (Open Vld), tous deux anciens présidents de la Chambre, ainsi qu'un certain nombre de députés, s'étaient illégalement octroyé des primes de pension illégalement. Nous avons lancé une pétition demandant que chaque euro soit remboursé et, sous la pression du PTB et des nombreuses signatures récoltées, Herman De Croo a rendu l’argent. Mais Siegfried Bracke, lui, continue de vouloir conserver son précieux pécule. Après Bracke la semaine dernière, c’est De Croo, via un courrier de son avocat, qui tente de nous faire taire.
Vous trouverez ci-dessous la réponse de Raoul Hedebouw, président du PTB, à Herman De Croo.
Cher Monsieur Herman De Croo,
J'ai bien reçu le courrier adressé par votre avocat le 19 septembre au PTB, le parti politique que je préside. Vous mettez mon parti en demeure de retirer la pétition via laquelle la population peut soutenir notre demande que vous et M. Siegfried Bracke remboursiez intégralement les suppléments de pension illégaux que vous avez perçus pendant des années.
Dans la mesure où de nombreux pensionnés doivent vivre avec des pensions de 1 200 euros, voire moins, cette requête ne nous semble pas excessive.
Avant de m'exprimer sur votre question, il me semble important de rappeler les faits.
Début mars 2023, il a été rendu public que vous-même et M. Bracke, en tant qu'anciens présidents de la Chambre, perceviez des suppléments de pension mensuels de respectivement 5 300 et 3 000 euros en plus de vos pensions déjà élevées. Cela va à l'encontre du plafond de pension fixé en 1978 par la loi Wijninckx. Cette loi fixe une limitation du cumul des pensions. Ainsi, pour vous et vos collègues, le plafond est fixé à 7 800 euros bruts par mois.
En 1998, les partis traditionnels cherchent des « moyens créatifs » de contourner cette limitation. L'application du plafond prévu dans la loi Wyninckx était bien connue à l'époque. Le rapport du Collège des questeurs (l’organe chargé de la gestion matérielle et financière de la Chambre) stipule littéralement : « Considérant que les dispositions statutaires relatives au cumul des pensions s'appliquent aux rentes des présidents ». Malgré cela, il a approuvé les premiers suppléments de pension dès 1998. Vous êtes devenu président de la Chambre le 1er juillet 1999, un an après l’instauration de ce système (je me suis trompé dans De Afspraak le 19/09 mais, comme vous l'aurez constaté, je me suis immédiatement corrigé lors de l'émission). En 2003, alors que vous étiez vous-même président de la Chambre, il a été décidé de doubler la durée des bonus de pension.
De nombreux avis juridiques montrent que le système des suppléments de pension pour les présidents de la Chambre enfreint la loi Wijninckx. Qui suis-je pour remettre cela en question ? L'ensemble des faits montre que ce système a été délibérément mis en place dans le but de contourner la loi. La Chambre a également reconnu, en mars 2023, que les suppléments de pension dépassant le plafond étaient illégaux et devaient être remboursés. Avec notre pétition, nous voulons faire pression sur le débat pour dénoncer ce système et faire en sorte que ces sommes soient effectivement remboursées, y compris par M. Bracke. L’objectif de la pétition est parfaitement légitime. Nous ne voyons pas en quoi cela peut constituer une infraction.
Nous estimons que ces suppléments de pension posent également un problème démocratique, tant par leur montant et leur nature que par la manière dont ils ont été obtenus. Pour rappel, les 5 300 euros de supplément qui vous ont été accordés s'ajoutent à votre confortable pension de plus de 7 000 euros bruts par mois, en tant que président de la Chambre. Ces indemnités illustrent bien le système de notre pays dans lequel la classe politique traditionnelle s'octroie toute une série de privilèges (salaires, indemnités pour frais, indemnités de sortie, etc.) d’un côté, pendant qu'elle prend des mesures pour baisser les salaires et les pensions de la population de l’autre. Comme vous le savez, mon parti et moi-même luttons contre cette culture des privilèges en politique.
Vous avez tout à fait le droit de considérer que le système est éthique et légal, tout comme nous avons tout à fait le droit de le considérer comme problématique et illégal et de qualifier cet octroi de somptueux suppléments de pension de profit. J'ai lu dans votre courrier que vous assimilez l'emploi du mot « graaien » dans notre pétition en néerlandais à de la calomnie et de la diffamation. Nous ne savons pas à qui revient la faute. Mais passons.
Penchons-nous sur la signification du mot "graaien". Le dictionnaire en ligne Vandale donne la signification suivante :
“graai·en (graaide, heeft gegraaid) : met de handen in iets zoeken = grabbelen; graaiende politici die zichzelf voordeeltjes bezorgen”
« saisir quelque chose avec les mains = grappiller, gratter ; politiciens profiteurs qui s'octroient des avantages »
Sur le site www.woorden.org, on peut lire :
Graaien
1) lukraak dingen pakken (saisir au hasard)
Exemple :
“graaien in een bak met afgeprijsde artikelen” (« piocher dans un bac d'articles en promotion »)
Synonyme :
grabbelen (grappiller)
2) zonder scrupules rijkdom vergaren (s'enrichir sans scrupule)
Exemples :
“Het grote graaien is met de komst van dit kabinet nog erger geworden.”
(« Le grappillage s'est aggravé avec l'arrivée de ce cabinet. »)
“graaicultuur” (« culture du profit »)
Nous maintenons que ce terme s'applique parfaitement aux faits tels que nous les avons résumés ci-dessus. Il n'est nullement question d'offenser qui que ce soit. Les faits en cause, qu'ils soient légaux ou illégaux, se sont produits. C'est indéniable. Soulever cette question n'a rien de diffamatoire.
Je suis également très surpris que vous qualifiiez notre pétition d'outil de propagande et de haine. Notre revendication n'a rien à voir avec cela. Tout ce que nous demandons, c'est de signer une pétition exigeant le remboursement des suppléments de pension indûment perçus. Estimer que cela est punissable pose un gros problème dans une société démocratique.
Depuis, vous avez remboursé les montants concernés à la suite, entre autres, de la pression du PTB et de la pétition lancée par mon parti en mars 2023. C’est une bonne chose. C'est la raison pour laquelle notre rédaction en ligne a mis le texte de la pétition à jour dès que vous avez annoncé le remboursement dans la presse. Votre avocat a raison d'écrire que votre situation est différente de celle de M. Bracke. Vous estimez qu'après cette mise à jour, le fait que vous avez remboursé les montants n’était pas suffisamment clair. Le texte et l'image de la pétition ont donc été modifiés afin d'être parfaitement limpides. Il est en effet important que les gens sachent que vous avez remboursé les montants. Vous l'avez déjà très largement communiqué dans la presse, à juste titre.
Nous utilisons le mot « graaien » non pas pour vous insulter mais pour nommer une réalité que nous voulons changer. Le mot correspond parfaitement aux faits et reflète bien notre opinion. D'ailleurs, nous nous étonnons que vous ne vous adressiez à nous que six mois après le lancement de la pétition. Nous pensons qu'il est de notre devoir, en tant que parti politique, de traiter ces questions. Nous le devons aux citoyens. Ils ont le droit de savoir. Il me semble plus que normal qu'ils soient scandalisés par de tels faits.
Lancer une pétition est un droit constitutionnel. Même si vous vous en sentez offensé. Son contenu et son existence relèvent incontestablement du droit à la liberté d'expression. C'est essentiel dans une société démocratique. La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), en appliquant l'article 10 de la CEDH et selon une jurisprudence établie, l'exprime comme suit : « La liberté d’expression constitue l’un des fondements d’une société démocratique, l’une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun. Cela s'applique non seulement pour les ‘informations’ ou ‘idées’ accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l'État ou une partie de la population. Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de ‘société démocratique’ ».
En particulier en ce qui concerne le discours politique ou les questions d'intérêt public, la marge de manœuvre pour restreindre la liberté d'expression est très limitée. Dans cette appréciation, la Cour européenne des droits de l'homme établit une distinction entre la présentation de faits et les jugements de valeur. Nous soulignons à nouveau que tous les faits que nous avons mentionnés sont rigoureusement exacts. Si ce n'est pas le cas, nous serons ravis de le savoir.
Vous êtes une personne publique. Vous avez une longue carrière politique derrière vous. Vous connaissez sans aucun doute les principes de la liberté d'expression. Vous savez également que la Cour européenne des droits de l'homme considère invariablement que les limites de la critique admissible sont beaucoup plus larges par rapport aux figures d’autorité qu'aux particuliers.
Cher Monsieur De Croo, votre avocat a déclaré qu'il envisageait de lancer une action en justice. En effet, vous ne l'avez pas encore fait. Je suis d'avis que l'ensemble de cette discussion n'a pas sa place dans un tribunal. Je vous invite donc à ne pas amener le débat là-bas. Les batailles politiques doivent se dérouler au parlement et sur la place publique, et non devant les tribunaux. Aussi, l’ensemble de cette situation nous préoccupe fortement. Il est inacceptable que des mandataires politiques belges n'aient plus le droit d'utiliser des mots tels que « graaien » (« profiter ») ou « graaiers » (« profiteurs »). Tout ceci ressemble très fort à une tentative de réduire le PTB au silence.
Vous comprendrez que tant que M. Bracke n'a pas remboursé les suppléments de pension, nous ne pouvons pas retirer d'Internet la pétition mise à jour. Cela nous semble nécessaire pour donner plus de poids à la demande de remboursement qui émane de la Chambre.
Je vous invite à poursuivre la discussion sur ce sujet au sein de l'arène politique tout en respectant les droits démocratiques de chacun.
Vous comprendrez également que je vous envoie cette lettre sous toute réserve et sans aucune reconnaissance préjudiciable, comme le dit si bien la lettre de votre avocat.
Veuillez agréer, Monsieur De Croo, l'expression de ma très haute considération,
Raoul Hedebouw