SolidariTeams en Espagne : « Seul le peuple sauve le peuple »
Amina Vandenheuvel et Patricia Polanco ont pris l'initiative de se rendre en Espagne avec un groupe de bénévoles pour apporter leur aide après les inondations dévastatrices dans la région de Valence. « Le mot “solidarité” prend tout son sens : malgré la défaillance du gouvernement, des personnes se retroussent les manches et s'entraident. »
Le 12 novembre, c’est la tête pleine de souvenirs et le cœur chargé d’émotion qu’Amina et Patricia sont revenues en Belgique, après une semaine passée dans la région de Valence, et 24 heures de route. Quelques jours plus tard, elles nous racontent leur mission de solidarité dans cette région d'Espagne où les intempéries ont coûté la vie à plus de 200 personnes, et où les SolidariTeams se sont attaquées aux couches de boue à coups de pelle et de raclette pour redonner aux habitants un semblant de quotidien.
Quelle était votre motivation pour vous rendre dans cette zone sinistrée ?
Amina. J’ai été frappée par toutes ces images hallucinantes en provenance d'Espagne, la destruction, la souffrance humaine. Beaucoup de gens se sont spontanément dit qu'il fallait les aider. Nous avions déjà acquis une certaine expérience avec les SolidariTeams après les inondations à Verviers durant l’été 2021. Chaque fois qu'une catastrophe d'une telle ampleur se produit, où que ce soit, la solidarité humaine se met immédiatement en marche, car cela pourrait arriver à n'importe qui.
Patricia. J'avais déjà participé aux SolidariTeams à Verviers. J’étais allée apporter à manger aux sinistrés. Et depuis la Belgique, je voyais bien que ça ne bougeait pas en Espagne, et que la même chose était sur le point de se reproduire là-bas. Il leur fallait une aide concrète.
Vous vous êtes donc rapidement rendues sur place. Comment ça s'est passé ?
Amina. Il fallait que tout aille vite. Le lundi matin, on a imaginé le projet de partir en Espagne et 24 heures plus tard, nous étions déjà 35 personnes (dont 27 jeunes) prêtes à partir.
Qu’est-ce que ça fait de voir ce désastre de ses propres yeux ?
Patricia. Ce qui m’a frappée quand je suis arrivée, c’est qu’à Valence-même, où vivent les plus nantis, tout était nickel. Mais une fois qu’on a passé le pont pour arriver dans la banlieue de Paiporta, dans les quartiers les plus populaires, c’était l’apocalypse. Les classes travailleuses sont clairement les victimes de cette catastrophe.
Amina. C'était très ambivalent. Avant, on se dit : on va arriver dans la misère totale ; beaucoup de drames, des gens qui ont tout perdu... Et c'était le cas, mais nous avons aussi vu comment les gens font face à un tel désastre et surtout la solidarité qui se crée.
Chaque fois qu'une catastrophe d'une telle ampleur se produit, où que ce soit, la solidarité humaine se met immédiatement en marche, car cela pourrait arriver à n'importe qui.
En Espagne, il y a un dicton qui dit : « Solo el pueblo salva el pueblo » (seul le peuple sauve le peuple). Vous l’avez constaté ?
Amina. C’est vrai. Des milliers de personnes sont venues d’Espagne et d’ailleurs pour aider. Malgré l'échec cuisant du gouvernement, avant et après la catastrophe, on a vu les gens se retrousser les manches.
Patricia. Dirk Van Duppen, qui a été médecin et président de Médecine pour le Peuple, a écrit que l’être humain, pour survivre en tant qu’espèce, était par nature un « super-collaborateur », capable d’entraide. Contrairement à l’idée reçue selon laquelle « l’homme est un loup pour l’homme », individualiste. La manière dont les gens ont eux-mêmes organisé la solidarité en est la preuve.
Quels témoignages ou situations vous ont particulièrement touchées ?
Patricia. Une dame, employée dans une société de grande distribution, m’a expliqué qu’elle avait décidé de ne pas se rendre au travail le jour des inondations, car elle sentait que cela allait devenir hors de contrôle. Elle a été licenciée sur le champ. C’est dégoûtant. J’ai aussi vu des travailleurs occupés à déblayer les entreprises où ils travaillaient, à la demande de leur patron, alors qu’ils n’avaient même pas encore eu l’occasion de le faire dans leur propre maison. Certains logeaient dans leur famille et ignoraient toujours dans quel état se trouvait leur logement.
Pensez-vous que le gouvernement a fait ce qu’il fallait ?
Patricia. Au national, les météorologues avaient donné l’alerte, mais le gouvernement régional l’a tout simplement ignorée. Ils ont réagi bien trop tard. À Valence, il est tombé en un jour autant de pluie que sur une année et demie. Les conséquences énormes auraient pu être évitées.
Amina. Le pire, c'est que les politiciens locaux avaient annulé une de leurs propres réunions en raison du mauvais temps qui s'annonçait, alors que les gens ordinaires ont dû se rendre au travail. Et beaucoup n’ont pas été autorisés par leur employeur à rentrer chez eux malgré le fait que les précipitations étaient de plus en plus fortes, vous imaginez ?
Et qu’en est-il de l’organisation de l’aide sur place ?
Amina. Elle est arrivée bien trop tard : dans certaines régions, seulement quatre ou cinq jours plus tard. Heureusement, les bénévoles ont moins hésité. Ils étaient plus de cent mille sur place en un claquement de doigts. Mais eux non plus n'ont pas été gérés, ou ont été mal gérés, par le gouvernement. Lorsqu'une crise d'une telle ampleur survient, il faut un gouvernement fort, capable d'assurer le retour à la vie normale le plus rapidement possible.
Patricia. Par exemple, 200 bénévoles s'étaient inscrits auprès du gouvernement pour apporter leur aide. Au lieu de les envoyer chez les gens qui en avaient le plus besoin, ils ont dirigé les bus vers le centre commercial pour y faire le ménage. Cela a mis tout le monde très en colère : au lieu de veiller à ce que les gens puissent à nouveau vivre en sécurité, le gouvernement a estimé qu'il était plus important que le centre commercial puisse rouvrir le plus rapidement possible.
Les classes travailleuses sont clairement les victimes de cette catastrophe.
Il y a donc une responsabilité politique…
Amina. Quand une crise d’une telle ampleur survient, il faut un gouvernement fort, capable d'assurer le retour à la vie normale le plus rapidement possible. Mais le gouvernement régional (de droite) a fait des économies dans les services publics, et ce sont les gens qui paient aujourd’hui les conséquences...
Patricia. Les hôpitaux, définancés, ne peuvent pas faire face à une catastrophe d’une telle ampleur. Un jeune avait reçu de la boue dans l'œil et avait besoin de gouttes antibiotiques… Impossible d’en trouver. Alors que c’est quelque chose de basique. De même, un membre de notre groupe s’était blessé au pied et il a dû attendre des heures avant de recevoir son injection. Ça montre à quel point le gouvernement n'était pas préparé.
Qu’avez-vous fait concrètement sur place ?
Patricia. On a été accueillis par les brigadas voluntarias, composées de plusieurs associations. Leur objectif était de nettoyer en priorité des lieux de socialisation, comme les écoles, les bibliothèques. C’était important de remettre en route tous ces lieux où les gens peuvent se rencontrer, se parler, trouver du réconfort, pour briser l’isolement.
Amina. Nous avons passé la plupart de notre temps à travailler à l'intérieur et autour d'une école pour que les enfants puissent à nouveau y avoir accès le plus rapidement possible. On a dégagé la boue, nettoyé et décontaminé.
Nous avons également nettoyé les rues environnantes : quatre jours de pelletage de boue dans les rues. Le meilleur moment a été celui où nous avons revu la rue telle qu'elle était avant, avec les marquages des places de parking et des passages piétons. Certains d'entre nous sont allés chez les gens pour les aider.
Patricia. Dans l’école, on a installé un point de collecte de fonds et de dons, où les gens pouvaient s'organiser. On a notamment récolté et distribué de la nourriture et des médicaments. Quand on est partis, ce sont les habitants qui ont repris le point en main.
Comment était l’ambiance au sein de votre SolidariTeam ?
Amina. Très intense. Avec des hauts et des bas. On a beaucoup pleuré face au drame, mais on était heureux de voir le résultat concret de notre travail. On a vraiment pu compter les uns sur les autres. On a traversé tellement de choses ensemble…
Le matin, on ne sait pas où on va atterrir, et puis d’un coup, on se retrouve dans la cuisine ou le salon de quelqu'un en train d’évacuer de la boue, en compagnie de 20 autres personnes qu’on n’avait jamais vues de notre vie. Et ça c’est beau.
Comment les habitants ont-ils réagi à votre présence ?
Patricia. Les gens étaient très en colère contre le gouvernement. Tout le monde courait dans tous les sens, sans organisation. Il n’y avait pas de brigade coordonnée par les autorités pour aller chez les gens. Les habitants étaient donc super contents de voir des personnes débarquer pour aider.
Amina. C'est aussi parfois ce qui leur permettait de tenir. En temps de crise, on s’appuie les uns sur les autres.
Le gouvernement régional (de droite) a fait des économies dans les services publics, et ce sont les gens qui paient aujourd’hui les conséquences…
Ce type de conditions météorologiques extrêmes est de plus en plus fréquent. Qu’en pensez-vous ?
Amina. Les scientifiques s'accordent pour dire que ces phénomènes sont et vont être beaucoup plus fréquents en raison du changement climatique. On l’a aussi vu avec les inondations à Verviers.
J'ai moi-même commencé à m'engager politiquement lors des manifestations pour le climat. Je suis descendue dans les rues tous les jeudis avec mes amis et mes camarades pour une politique climatique ambitieuse et sociale qui cible les plus gros pollueurs : les très grosses entreprises. Le monde politique nous écoute encore trop peu, mais on arrive à faire bouger les lignes.
Ce n’est pas demain la veille que la vie reviendra à la normale…
Amina. Non. Les dégâts sont énormes et à une échelle bien plus grande que ce qui s'est passé à Verviers. La première priorité est d'évacuer la boue le plus rapidement possible, à cause des risques sanitaires.
Patricia. L’armée est venue désinfecter l'école. On a demandé s’ils allaient le faire aussi chez les gens. Ils ont répondu : « On ne s’occupe pas des logements privés, les habitants doivent le faire eux-mêmes. » C’est un calcul aberrant de la part du gouvernement, car ils ne vont pas tous pouvoir le faire.
Des bactéries et de la moisissure vont s’installer. Les gens vont tomber malade, ça va devenir un vrai problème de santé publique. Les enfants, les personnes âgées, celles qui sont fragiles des poumons, vont être particulièrement touchées. Le gouvernement pourrait faire les choses autrement, avec un plan de prévention et de désinfection par quartier, par rue.
Que pouvons-nous faire de plus pour aider les personnes en Espagne ?
Amina. Les besoins en matériel sont énormes. Du matériel médical, mais aussi de nettoyage. C'est pourquoi nous avons également lancé une collecte avec les SolidariTeams afin d'envoyer du matériel sur place.
Vous voulez aider ? Faites un don sur le compte BE17 7340 5689 1721 des SolidariTeams avec la mention « Solidarité Espagne ».