Sofie Merckx (PTB) : « La fermeture des maternités est le symbole d'une réforme qui rate sa cible »
Le débat sur la réforme du financement des hôpitaux est à nouveau ouvert, et c’est une bonne nouvelle. Car le système de financement actuel engendre surconsommation, gaspillage de moyens et épuisement des soignants. La continuité et la qualité des soins n’est plus assurée. Réformer le financement est donc nécessaire et urgent. Face à l’immobilisme des dernières législatures, le plan du ministre de la Santé Frank Vandenbroucke (Vooruit) est ambitieux. Mais il suscite aussi des inquiétudes : d’une part, il a des allures de plan d'austérité, et d’autre part, il rate sa cible en préservant le financement par prestation.
Une opinion de Sofie Merckx, députée PTB et médecin
Il y a quelques bonnes nouvelles dans le plan du ministre Vandenbroucke. La volonté, par exemple, d’objectiver et de réduire les écarts faramineux (de un à dix aujourd’hui) de revenus entre les différents spécialistes. D’augmenter la part du financement allant directement aux hôpitaux, en arrêter d'utiliser les spécialistes pour financer ceux-ci. De concentrer l’expertise et la technologie de pointe dans certains hôpitaux spécialisés, en introduisant un minimum de planification, en opposition à l’anarchie actuelle. Ce sont des objectifs positifs et ambitieux. Mais les étapes prévues pour 2022-2023 et les objectifs généraux eux-mêmes interpellent.
Mettre patients et soignants au centre des préoccupations
Frank Vandenbroucke veut limiter le gaspillage de moyens. Comment ? Notamment en fermant... des maternités. Il s'agit des plus petites maternités, probablement celles qui étaient déjà dans le viseur de Maggie De Block. Pourquoi ? Fermer des maternités ne relève pas d’une utilisation intelligente des moyens. Il s’agit ni plus ni moins que d’une réduction de l’offre d’un soin de base. Une offre de qualité, proche des patients, à l’image des soins de santé dont nous avons besoin. Pas plus de trente minutes de déplacement pour se rendre dans une maternité, promet le ministre. Quid des patients qui se déplacent en transport en commun ?
En outre, Frank Vandenbroucke veut encore raccourcir la durée des hospitalisations. Demandez l’avis de n’importe quelle infirmière. Elle vous dira : c’est moins de temps pour le patient, un moins bon suivi et plus de pression au travail. Et pour cause, ce processus est en marche depuis vingt ans, à mesure que le gouvernement réduit la durée des hospitalisations. Cela conduit à fermer des lits et à faire plus avec moins, chaque année. Là où trois patients étaient soignés en 2003, on en soignera quatre en 2025. Rien qu’entre 2010 et 2019, plus d’un lit d’hôpital sur dix a été supprimé en Belgique, ainsi que les 2 000 postes de soignants qui y étaient liés. L’hôpital est, en quelque sorte, en restructuration permanente. Le ministre veut encore accélérer ce processus, pour le rendre encore plus rapide et encore plus rentable. Or, c’est cette logique qui pousse notre système de santé au bord de l’effondrement. Quand on voit aujourd’hui la souffrance du personnel soignant, qu’un soignant sur quatre envisage de quitter le secteur… On va droit dans le mur.
Arrêtons de prendre les médecins pour des banquiers
Aujourd'hui, les honoraires des médecins sont la première source de financement des hôpitaux. Ils financent 40 % de leur budget. Comme les hôpitaux reçoivent bien trop peu de financement de la sécurité sociale, les hôpitaux utilisent en quelque sorte les médecins comme des banquiers. À la différence près que ces médecins sont eux-mêmes payés par la sécurité sociale. Un système kafkaïen. Frank Vandenbroucke veut retirer des honoraires la partie qui revient à l'hôpital, pour financer, par exemple, le matériel médical. Et il a raison. Mais les honoraires des médecins, eux, vont continuer à être financés à la prestation. Or, ce mode de financement pousse à privilégier les actes médicaux (coûteux), au détriment du temps accordé au patient en consultation.
Mettre fin au financement par prestation serait bénéfique pour les patients et la sécurité sociale, mais aussi pour les spécialistes eux-mêmes. Les incitants financiers actuels entrent souvent en contradiction avec la motivation de bien soigner les gens. Comme l’ont démontré plusieurs études, cela conduit à un risque de burn-out plus élevé chez les spécialistes que dans le reste de la population. Le système actuel pousse également les médecins à adopter un statut d’indépendant, voire à se constituer en société, et à devoir assumer toute une série de tâches administratives et comptables. Pourquoi ne pas laisser les médecins être des médecins ? Payons à l’ensemble des spécialistes un bon salaire, de l’ordre de celui des professeurs d’université. C’est déjà le cas dans les hôpitaux universitaires. Par exemple, 200 000 euros brut annuel, avec une fourchette de 150 000 à 250 000 en fonction de l’expérience, des qualifications, de la disponibilité pour les patients, etc.
Le financement par pathologie : pas une solution
La ministre Maggie De Block (Open VLD) a lancé en 2015 un financement par pathologie pour un nombre limité de maladies. Frank Vandenbroucke (Vooruit) veut dans les années à venir généraliser cette méthode de financement. Quel est le principe ? Aujourd'hui, le financement des hôpitaux se fait d'un côté sur base du nombre de lits 'justifiés' (c'est la base pour calculer le financement du personnel soignant) et d'un autre côté via les honoraires des médecins (qui servent entre autres à payer le matériel médical). À la place, Vandenbroucke veut aller vers un financement forfaitaire par patient malade, qui varie selon la pathologie.
Ce n'est pas une solution aux problèmes actuels, pour au moins trois raisons. D'abord, on continue à financer les soins par volume, comme dans le système par prestation actuel. En d'autres termes, on continue à financer la maladie, plutôt que de financer la santé. Ensuite, prenons le cas d'une pathologie qui permet de financer trois nuits d'hospitalisation. Le patient risque d'être renvoyé chez lui après trois nuits, même s'il a encore besoin de soins. C'est contre nature pour le personnel soignant, cela crée du stress, comme dans le système actuel. Et si le budget de l'hôpital est dans le rouge, la question se posera de renvoyer le patient après deux nuits au lieu de trois. La pression sur la qualité des soins et sur le personnel soignant va rester, comme aujourd'hui. Enfin, la pression sur le personnel risque encore d'augmenter. Pourquoi ?
La base concrète permettant de calculer le financement du nombre de soignants au chevet du patient va disparaître avec le nouveau système. L'hôpital pourra lui-même décider quelle partie du financement forfaitaire sera utilisée pour payer du personnel, quelle partie pour payer du matériel médical, ou pour renflouer les comptes de l'hôpital. Tout le concept de 'norme d'encadrement', tellement important dans le combat syndical, disparaît. Les syndicats demandent depuis des décennies de revoir ces normes d'encadrement pour diminuer la pression au travail. Comment pourront-ils obtenir gain de cause si le nombre de soignants au chevet du patient ne peut même plus être calculé ?
Finançons la santé, pas la maladie
Il est étonnant d’entendre dans ce débat sur la réforme du financement des hôpitaux aussi peu de références aux expériences à l’étranger. Serait-on tellement gênés de l’absurdité de notre système belge, qu’on n’ose même pas le comparer à d’autres modèles? Il y a pourtant de nombreuses sources d’inspiration autour de nous.
En Allemagne, en Espagne, en Suède ou encore en Nouvelle-Zélande, des districts de soins financent leur système de santé selon une toute autre logique. La question à laquelle ils essaient de répondre avant tout, c’est : « Comment maintenir la population en bonne santé? » C’est pourquoi les hôpitaux, les médecins généralistes, les services de santé mentale, de prévention et de soins à domicile sont financés par un budget commun. Tous ces professionnels de la santé deviennent ensemble responsables, zone de soin par zone de soin, d'améliorer l'état de santé de la population, plutôt que de maximiser la quantité de soins comme on le fait en Belgique. Résultat : une population en meilleure santé, des hospitalisations en baisse et une diminution des coûts, qui peuvent être réinvestis autrement. Dans la région de la Forêt noire en Allemagne, par exemple, un groupe de médecins a convaincu deux mutuelles de financer les soins de santé au forfait pour un groupe de population d’environ 30 000 habitants. De là est née l’organisation de santé Gesundes Kinzigtal. Les médecins reçoivent un complément de revenu s’ils participent au programme. Et les initiatives de prévention se multiplient, notamment l’encouragement des patients à pratiquer de l'exercice physique. En quatre ans, on a vu une réduction des hospitalisations urgentes, permettant de réduire les dépenses de 17 % par rapport au reste de la population.
Nous avons besoin de ce type de levier pour changer le moteur du financement des hôpitaux en Belgique. Donnons aux hôpitaux un budget conjoint avec la première ligne de soins. Payons aux médecins un bon salaire fixe. Et mettons fin à la médecine par prestation. C’est bon pour la santé des patients, des soignants et des spécialistes. Et ça coûte moins cher à la collectivité.