Si l’Europe doit dire quelque chose sur nos pensions, c’est qu’elles sont toujours trop basses
Les finances de l'État sont dans le rouge vif. L'inflation, les mesures d’aide pour l'énergie, le fait de taxer bien trop faiblement les surprofits d’Engie and Co… Tout cela, ça pèse sur le budget. Notre pays se fait taper sur les doigts par la Commission européenne. Celle-ci exige une « réforme » plus conséquente des pensions. Sans quoi, les 850 millions d'euros du plan de relance ne seront pas versés. Mais de quelles réformes parle-t-on, exactement ?
Le rétablissement des cotisations sociales sur nos salaires ? Ces cotisations fondent comme neige au soleil. On parle déjà de quelque 17 milliards d'euros par an qui ne tombent pas dans la caisse de la sécurité sociale, mais vont plutôt remplir les poches des actionnaires et PDG.
Le droit à des aménagements de fin de carrière à partir de 45 ans ? Le nombre de malades de longue durée bat tous les records, en particulier chez les travailleurs plus âgés. En dix ans, le nombre de prépensionnés a diminué de moitié. Mais pour chaque prépensionné qui a disparu, un travailleur âgé malade de longue durée est venu s’ajouter. C’est ça, une politique sociale « responsable » ?
S'attaquer aux discriminations sur le marché du travail ? À fonction égale, les femmes sont toujours moins bien payées que les hommes. Cela fait donc des cotisations en moins pour la sécurité sociale. Et il n’y a pas que les femmes : les personnes plus âgées, porteuses de handicap ou d’origine étrangère sont discriminées sur le marché du travail.
La Commission européenne ne tient pas compte du montant des cotisations sociales que nous perdons à cause de ces discriminations. Elle ne lance pas de débat sur les testings anti-discrimination, sur des quotas par genre, âge ou origine dans les grandes entreprises. Elle ne dit rien non plus de la casse des cotisations sociales. 17 milliards, ce n’est pas rien. Ça revient à un tiers du montant total que nous investissons chaque année dans les pensions.
Non, la Commission européenne propose une seule voie politique : une nouvelle baisse du montant de la pension et un nouveau relèvement de l'âge de la pension. Dans son dernier Livre vert, elle avance même la pension à 70 ans : « Le taux de dépendance économique des personnes âgées en 2040 dans l’UE resterait au même niveau qu’en 2020 uniquement si la vie active était prolongée jusqu’à l’âge de 70 ans. »
Un cas d’école de pur dogmatisme, qui ne tient pas compte de la réalité vécue par des milliers de travailleurs et travailleuses au quotidien. Notre Premier ministre libéral Alexander De Croo s’empresse évidemment de reprendre cette vision.
« Quand cela va-t-il s’arrêter ? », m'a demandé dans un mail ce week-end un policier en colère. Je me pose exactement la même question. Bien sûr, personne ne souhaite un plus grand dérapage budgétaire. Mais pourquoi faudrait-il nécessairement tailler plus dans les pensions ? Pourquoi n’y a-t-il aucun débat sur les mesures ci-dessus ? Ou sur une vraie taxe sur la fortune au niveau européen ?
La Belgique consacre aujourd'hui moins de 11 % de son PIB aux pensions. Ce chiffre restera sous le 12 % en 2030. Aujourd’hui, l'Autriche consacre 13,3 % de son PIB aux pensions et atteindra 15 % en 2030. Le Danemark est aujourd’hui déjà à 14 % et la France à presque 15 %. Ces pays dépensent la moitié ou un quart de plus que nous pour les pensions, mais les nôtres seraient impayables ? Qu’ils arrêtent de se moquer de nous. Si l’Europe doit dire quelque chose à propos de nos pensions, c’est plutôt qu’elles sont toujours trop basses.
Kim De Witte est le spécialiste pensions du PTB, auteur de Ils nous rendent fous (Epo, 2021).