Sept questions et réponses sur la guerre et la militarisation
Est-il naïf de plaider en faveur d’une désescalade et de négociations ? Devons-nous avoir peur de la Russie ? Les États membres de l'Union européenne doivent-ils dépenser des milliards d'euros supplémentaires en armement ? Quelle est la voie à suivre en Ukraine ? Ces questions nous ont été fréquemment posées ces dernières semaines. Nous tentons d’y répondre.

- Est-il naïf de plaider en faveur d’une désescalade et de négociations ?
- Devons-nous avoir peur de la Russie de Poutine ?
- Que doit faire l'Europe maintenant que Trump prend ses distances ?
- Les États membres de l'Union européenne doivent-ils dépenser des milliards d'euros supplémentaires dans l’armement ?
- Pourquoi Trump fait-il ce qu'il fait maintenant ?
- Quelle est la voie à suivre en Ukraine ?
- Vous remettez en question le réarmement, êtes-vous donc un allié de Poutine ?
1. Est-il naïf de plaider en faveur d’une désescalade et de négociations ?
« Croire que toujours plus d’armes pourront mettre fin à une guerre, c'est vraiment naïf », a écrit l'ancien journaliste de la VRT Walter Zinzen dans le quotidien flamand De Morgen à propos de la situation en Ukraine. Il est en effet naïf de penser qu'une escalade militaire encore plus poussée, avec encore plus d'armes, pourrait conduire à la paix. Cela n’a pas fonctionné ces trois dernières années. Combien faudra-t-il encore de morts avant que nous n'abandonnions ces vieilles recettes d'escalade militaire ?
En 2023, dans Mutinerie, notre secrétaire général Peter Mertens qualifiait déjà le conflit en Ukraine de « guerre impossible à gagner ». Au final, il faudra s’asseoir autour de la table, ajoutait-il. « Le plus tôt sera le mieux. » Pendant trois ans, ils ont refusé de négocier, ce qui n’a fait qu’aggraver la situation. On nous a même accusés d’être naïfs quand nous nous sommes prononcés en faveur du dialogue.
Soyons réalistes : accumuler des armes n’aura pas pour effet d’apaiser le conflit. Les armes sont faites pour tuer et détruire, elles jettent de l'huile sur le feu et n’apportent aucune solution. En effet : comment vont réagir les autres pays ? En achetant du matériel de guerre et en produisant des armes. Résultat : chacun disposera de beaucoup plus d’armes, et tôt ou tard, elles seront utilisées. Les seuls à tirer profit de la situation sont les fabricants d'armes, alors que ce sont les enfants de la classe travailleuse qui risquent d'être envoyés au front en cas de guerre. Qui dit plus d'armes dit moins de sécurité.
C'est pourquoi nous plaidons depuis des années en faveur d'une architecture de sécurité collective assortie de garanties claires. Nous devons développer une vision claire des moyens de maintenir la paix et de prévenir la guerre. Nous optons pour le principe de « sécurité collective » de l'ONU et souhaitons évoluer progressivement vers un système européen axé sur la prévention des conflits, une défense vraiment défensive et une diplomatie intensive.
2. Devons-nous avoir peur de la Russie de Poutine ?
La Russie a illégalement envahi l'Ukraine, en violation du droit international, ce que le PTB a fermement condamné dès le premier jour. Mais nous devons aussi analyser la situation avec bon sens, sans céder à la panique. « Ces derniers mois, l'armée de Poutine s'est contentée de conquérir des petits villages », a récemment déclaré Hendrik Vos, professeur à l'université de Gand. Ludo De Brabander, de l’asbl Vrede, estime que « compte tenu du rapport de forces actuel et de la réalité de la guerre en Ukraine, une attaque russe contre un État membre de l'Otan équivaudrait à une mission suicide ».
Tom Sauer, professeur de politique internationale à l'université d'Anvers, garde lui aussi la tête froide face à l’alarmisme ambiant : « L'idée que Poutine va nous attaquer est insensée. La Russie n’en n’a ni l’intention, ni la capacité. » Même l'ancien commissaire européen Karel De Gucht a commenté l'éventuelle agression russe contre les États baltes : « Poutine n'est pas fou. Il n'ose pas lancer les hostilités, car il perdrait cette guerre. »
Le PIB de la Russie n'est pas beaucoup plus élevé que celui du Benelux - environ 2 000 milliards d'euros, soit à peine un quart de plus que celui du Benelux et un huitième de celui de l'Union européenne (De Morgen, 12/03/2025). L'économie russe est en difficulté, et après trois ans de guerre intense en Ukraine, l'armée russe n'a pas réussi à prendre plus de 20 % du pays. Les États européens membres de l'Otan dépensent trois fois plus pour la défense que la Russie : selon les chiffres disponibles : 454 milliards de dollars contre 141 milliards de dollars en 2024.
Les milliards supplémentaires que l'Union européenne et l'Arizona veulent injecter dans l’armement ne changeront pas grand-chose au rapport de forces entre l'Europe et la Russie. La Russie ne va pas déménager, on ne peut pas l’enlever de la carte du monde. Pour mettre fin à cette guerre et garantir une paix durable, il faut s’asseoir à la table des négociations, même avec quelqu'un comme Poutine.
3. Que doit faire l'Europe maintenant que Trump prend ses distances ?
Les États membres de l'Union européenne sont désormais mis à l'écart, mais ils se comportent comme des enfants. « Nous ne sommes pas invités à la table », déplorent-ils aujourd'hui. Mais qu'est-ce qui les a empêchés, ces trois dernières années, de prendre eux-mêmes l'initiative des négociations pour la paix ? Pourquoi n'ont-ils pas envoyé des diplomates à Moscou et à Washington ?
De plus en plus de politiciens européens commencent à parler de guerre, et de moins en moins osent parler de paix. L'idée que l'Europe devrait s'armer jusqu'aux dents et devenir un clone des États-Unis ne nous rapproche pas de la paix en Ukraine, ni de meilleures relations avec le reste du monde. L'Europe n'a pas d'avenir en tant que continent de guerre, et certainement pas non plus en tant qu'une sorte de mini-Otan qui a commencé à bombarder des pays comme la Libye, l'Afghanistan et l'Irak pour des intérêts impérialistes. La militarisation se fera au détriment de l'industrie manufacturière en Europe, et la stratégie de tension permanente avec nos voisins de l'Est ne nous rapprochera pas de la paix.
L'Europe doit suivre sa propre voie. La Russie ne va pas déménager, on ne peut pas l’enlever de la carte du monde. Il est temps que l'Europe se comporte en adulte et développe sa propre diplomatie. Une diplomatie qui trace sa propre voie, avec sa propre vision du développement de l'industrie manufacturière en Europe, dans le respect du droit international, avec une politique non alignée et des relations rationnelles et commerciales avec tous les géants économiques, qu'il s'agisse des États-Unis ou de la Chine, de l'Inde ou de la Russie, du Brésil ou de l'Afrique du Sud.
4. Les États membres de l'Union européenne doivent-ils dépenser des milliards d'euros supplémentaires dans l’armement ?
Prenons un peu de recul et examinons le rapport militaire entre l'Europe et la Russie. Les États européens membres de l'Otan dépensent trois fois plus pour la défense que la Russie (454 milliards de dollars contre 141 milliards de dollars en 2024). Même sans les États-Unis, l'Europe surpasse la Russie dans presque tous les domaines. L’Europe de l’Otan compte quatre fois plus de navires de guerre, trois fois plus de soldats, de chars de combat, de véhicules blindés et d'artillerie, et deux fois plus d'avions de chasse (Greenpeace & IISS - 11/11/2024). Les milliards supplémentaires que l'Union européenne et l'Arizona veulent injecter dans l’armement ne changeront pas grand-chose au rapport de forces entre l'Europe et la Russie. Qu'est-ce que ça change, que l'Europe ait trois ou quatre fois plus d'armes ?
L'Europe et la Belgique ne devraient pas chercher à dépenser plus d'argent pour la défense, mais à dépenser plus intelligemment. Augmenter la coopération rapporte de l'argent. Une étude de la Commission européenne en 2021 montre qu'une plus grande coopération entre les États membres pourrait générer des dizaines, voire des centaines de milliards d'euros.
Récemment, la présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, a présenté « ReArm », un plan de 800 milliards d'euros pour (ré)armer l'Europe. C'est plus que le PIB annuel de la Belgique. Et où vont-ils aller chercher l'argent ? Dans les caisses de la sécurité sociale : les pensions, les soins de santé, les services publics. C’est là-dedans qu’ils vont couper. Massivement. Oubliez le secteur de l'énergie, des transports ou de la lutte contre le changement climatique.
Les seuls gagnants de la course aux armements, ce sont les fabricants d'armes, qui enregistrent un chiffre d’affaire et des bénéfices records. On nous a toujours dit qu'il fallait se serrer la ceinture coûte que coûte pour combler le budget, mais quand il s'agit d'armement, ce tabou est brisé. Il n'y a pas assez d'argent pour les pensions, mais pour les armes, il y a des milliards. Combien de milliards faudra-t-il au complexe militaro-industriel pour assouvir leur faim ?
5. Pourquoi Trump fait-il ce qu'il fait maintenant ?
La position étasunienne vis-à-vis de l'Ukraine correspond à la manière dont les États-Unis traitent les pays du Sud depuis des années : comme des néo-colonies qui doivent gentiment dire « merci » pour des accords imposés qui pillent leurs ressources. Les États-Unis voient le monde comme une grosse boule de ressources qui leur appartient. Tout cela a un nom : c'est l'impérialisme. (Lire à ce sujet la réaction de Peter Mertens suite à l'entretien avorté entre Trump et Zelensky.) Cette sale guerre n'a jamais été une question de valeurs. La guerre a toujours été une question d'intérêts géostratégiques et de contrôle des ressources et des terres fertiles.
Du point de vue de Trump, ce qu'il fait n'est pas fou du tout. There's a method in de madness, comme on dit. Il y a une logique à cette folie. Parce que selon Trump, l'Otan a en réalité poussé la Russie dans les bras de la Chine avec cette guerre. Trump veut maintenant essayer de desserrer le lien entre la Russie et la Chine.
Les États-Unis souhaitent réduire leur présence militaire en Europe et en Afrique de 8 % au cours des prochaines années afin de renforcer leur présence dans la région indo-pacifique. Le secrétaire étasunien à la défense, Pete Hegseth, ne ment pas lorsqu'il déclare : « La guerre avec la Russie n'est pas la question stratégique, l'objectif stratégique est de poursuivre l'encerclement de la Chine. »
L'objectif stratégique est l'encerclement de la Chine. C’est ça qui est en jeu. Cela signifie également que nous devons être très conscients qu'un raz-de-marée de propagande contre la Chine pourrait bientôt arriver pour réchauffer encore davantage la nouvelle guerre froide contre ce pays.
6. Quelle est la voie à suivre en Ukraine ?
Nous avons toujours préconisé une solution diplomatique pour mettre fin à cette guerre tragique le plus rapidement possible. C'est pourquoi nous optons pour le principe de « sécurité collective » des Nations unies. La seule perspective de stabilité et de paix passe par une solution qui tienne compte de la sécurité de l'Ukraine, de la Russie, des pays voisins et de l'ensemble de l'Europe. Ainsi, heureusement, en pleine guerre froide, dans les années 1970, il y a eu quelques hommes politiques qui ont su garder la tête froide, comme Willy Brandt, Olof Palme et le Belge Pierre Harmel. Ils ont appelé à un pacte de paix avec des intérêts de sécurité mutuels et à l'établissement de relations économiques avec l'Union soviétique de l'époque.
Cela a conduit à des accords de désarmement de grande ampleur et à la création de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). L'idée de « sécurité collective et indivisible » était centrale . Personne ne sera en sécurité tant que nous ne le sommes pas tous. Cette idée est toujours essentielle aujourd'hui. Si cela a été possible à l'époque, pourquoi pas aujourd'hui ? C'est un équilibre délicat, mais il s’agit de la seule alternative réaliste et durable à une surenchère militaire, et nucléaire, qui pourrait plonger l’ensemble de l'Europe et l’Ukraine dans un chaos encore plus profond.
Nous voulons évoluer progressivement vers un système européen différent de sécurité collective, de prévention des conflits, de défense vraiment défensive, couplé à une diplomatie intensive avec plus de poids pour des institutions comme l'ONU et l'OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe). Pas vers une course aux armes et à l'armement, mais au désarmement.
7. Vous remettez en question le réarmement, êtes-vous donc un allié de Poutine ?
Non. Le PTB s'oppose à Vladimir Poutine et à son régime depuis son entrée en fonction en tant que président de la Russie il y a vingt ans. Alors que différents partis traditionnels d'Europe faisaient affaire avec Poutine, les partis de gauche cohérents comme le PTB condamnaient ses politiques antisociales et sa sale guerre en Tchétchénie. Poutine est un oligarque capitaliste, anticommuniste, belliciste et un grand nationaliste russe. Sous sa présidence, les inégalités se sont considérablement accrues en Russie. Les oligarques mènent la danse, la classe travailleuse paie le prix. Le PTB a condamné immédiatement, inconditionnellement et sans équivoque l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Ce sont les faits.
Mais Bart De Wever a récemment donné un nouveau coup de semonce au parlement fédéral. Selon lui, toute personne qui n’approuve pas le soutien à l'Ukraine appartient à la « cinquième colonne de Poutine ». Il semble que toute voix qui s'oppose à la militarisation reçoit automatiquement le sceau pro-Poutine. Les professeurs Tom Sauer (UA), Christophe Wasinski (ULB) ou Hendrik Vos (UGent) sont-ils des alliés de Poutine ? Le militant pacifiste Ludo de Brabander est-il un fidèle soldat de la cinquième colonne de Poutine ? Ou bien l'ancienne présidente de l'Open-VLD, Gwendolyn Rutte, est-elle pro-Poutine parce qu'elle s'est prononcée contre la militarisation ? Il n'y a pas de véritable débat démocratique.
« Lors de toute guerre, celui qui se veut prudent, écoute les arguments des deux camps en présence avant de se forger un avis ou met en doute les informations officielles, est immédiatement considéré comme complice de l'ennemi », écrit l'historienne Anne Morelli (ULB). Pourtant, c'est précisément dans les questions de guerre et de paix qu'un débat ouvert et démocratique est absolument nécessaire. Sinon, comment peut-on éviter de suivre aveuglément une politique erronée ou dangereuse ? Comment éviter que la guerre soit utilisée pour faire passer une série de mesures que la population ne soutient pas ? Pour avoir un vrai débat, il faut aussi accepter des opinions contradictoires, ou même des doutes.