Samsonite : La semaine de 30 heures peut sauver 160 emplois
Alexander Van Ransbeeck et Geert Haverbeke Service d'études du PTB Supprimer des heures de travail, pas des emplois. En pleine crise du coronavirus, la réduction du temps de travail est le seul bon choix pour maintenir l’emploi. C’est aussi bénéfique pour la collectivité, puisque les travailleurs peuvent continuer à cotiser pour la sécurité sociale, sans avoir à recourir aux allocations de chômage.
- Supprimer des heures de travail, pas des emplois. En pleine crise du coronavirus, la réduction du temps de travail est le seul bon choix pour maintenir l’emploi. C’est aussi bénéfique pour la collectivité, puisque les travailleurs peuvent continuer à côtiser pour la sécurité sociale, sans avoir à recourir aux allocations de chômage.
- Chez Samsonite, la semaine actuelle de 38 heures peut être remplacée de deux manières :
◦ soit par une semaine de 30 heures, ce qui permettrait de maintenir la totalité des 160 emplois que la multinationale veut supprimer ;
◦ soit par une semaine de 34 heures, ce qui permettrait de maintenir les 94 emplois fixes. - Cette diminution peut parfaitement se faire avec maintien du salaire pour l’ensemble du personnel. Cela ne coûtera rien de plus à Samsonite. En effet, le gouvernement octroie des aides aux entreprises dans ce cas de figure.
- C'est une solution juste à l’égard des travaileurs, et qui n'a quasiment aucun impact sur les bénéfices de Samsonite. Entre 2016 et 2019, Samsonite International a réalisé plus d'un milliard de dollars de bénéfices.
- La semaine de 30 heures présente de gros avantages, tant pour le personnel que pour la collectivité :
◦ Meilleur pour la santé. Une pression trop importante au travail peut engendrer des maladies de longue durée. Les travailleurs qui en sont victimes sont indemnisés par la sécurité sociale, alors que c’est le travail qui les a rendus malades.
◦ Meilleur pour l’esprit. De nombreuses études démontrent que la diminution du temps de travail sans perte de salaire a un impact positif sur la concentration et la créativité.
◦ Égalité hommes-femmes. Ce sont principalement les femmes qui travaillent à temps partiel (et qui, dès lors, touchent un salaire plus bas que les hommes). Avec des temps pleins à 30 heures, nous réduisons cet écart.
Le 8 mai, Samsonite annonce sa restructuration. Le 29 mai, la multinationale dévoile les chiffres : 94 emplois fixes et 66 emplois temporaires sont menacés sur le site d'Audenarde, soit 160 emplois au total. Samsonite évoque les raisons suivantes pour justifier sa décision :
- le confinement et la fermeture des magasins dus à l’épidémie de coronavirus ;
- l'effondrement du tourisme et des voyages internationaux, en partie dû aux difficultés des compagnies aériennes ;
- les coûts structurels excessifs de l'entreprise.
Le coronavirus a eu un réel impact sur l’économie. Les travailleurs, en Belgique comme à l'étranger, ont été gravement touchés. Sur le site de Samsonite à Audenarde, les ouvriers sont au chômage temporaire depuis la mi-mars, tandis que les employés sont en télétravail. La moitié des ouvriers était censée reprendre le travail à partir du 1er avril, et la moitié des employés devait être mise en chômage technique.2 Samsonite prévoyait donc de relancer la production, mais, au mois de mai, la société a décidé de supprimer 160 emplois.
C’est un non-sens. Mais il est encore possible d’inverser la tendance. Dans son livre « La taxe des millionnaires et 7 autres idées brillantes pour changer la société » (EPO, 2015), le PTB proposait déjà la semaine de 30 heures, en partant du principe que la technologie permet d’alléger le travail.3
Dans cette analyse, le service d'études du PTB a calculé qu’en passant à la semaine de 30 heures, les 160 emplois menacés chez Samsonite peuvent être sauvés. La semaine de 34 heures permettrait quant à elle de préserver au moins les 94 emplois fixes. La conclusion est claire : ce sont des heures de travail qu’il faut supprimer, pas des emplois. Et c'est tout à fait finançable, grâce aux aides publiques, et avec une contribution dérisoire pour Samsonite.
Dans cette étude, nous démontrons, chiffres à l’appui, que Samsonite est plus que rentable, et qu’elle peut donc parfaitement traverser cette crise du coronavirus, sans avoir à supprimer un seul emploi.
Réduction du temps de travail : 30 h ou 34 hNous proposons un scénario de réduction du temps de travail à 30 heures/semaine, qui permet de sauvegarder tous les emplois. Une alternative permettrait de conserver les 94 emplois fixes : la semaine de 34 heures. Nous commencerons par analyser les deux scénarios et leurs conséquences pour le personnel. Nous démontrerons ensuite que la réduction du temps de travail est parfaitement finançable, et que ses conséquences sont positives pour la collectivité.
Scénario 1 : les 160 emplois sont maintenus avec la semaine de 30 heures
Nombre de travailleurs actuellement chez Samsonite : 814
Nombre d'emplois que Samsonite veut supprimer : 160
Nombre d'emplois souhaités par Samsonite après restructuration : 654
En d'autres termes, Samsonite veut réduire le nombre d'emplois de 19,66 %.
Nous proposons de conserver les 160 emplois. Au lieu de supprimer près d’un emploi sur cinq, nous proposons de réduire le nombre d'heures de travail de 21,05 %. C’est à dire en réduisant le temps de travail de 38 à 30 heures par semaine, réparties sur quatre journées de 7,5 heures.
Scénario 2 : les 94 emplois fixes sont maintenus avec la semaine de 34 heures
Nombre de travailleurs actuellement chez Samsonite : 814
Nombre d'emplois fixes que Samsonite veut supprimer : 94
Nombre d'emplois temporaires que Samsonite veut supprimer : 66
Nombre d'emplois après restructuration, sans suppression d'emplois fixes : 748
Les 94 emplois fixes peuvent être préservés en réduisant le nombre d'heures de travail de 11,55 %.5 C’est à dire en réduisant le temps de travail de 38 à 33,61 heures par semaine, réparties sur quatre journées de 8,4 heures.
Une autre conséquence positive de la diminution du temps de travail : l’allègement de la charge de travail des ouvriers et des employés. Il est important de souligner ce point, car il est lié à la façon dont Samsonite va organiser le travail après la crise du coronavirus. Pour Samsonite, choisir de supprimer 160 emplois revient à dire : « les 654 emplois restants, ce sera la norme ». Une fois la crise du coronavirus passée et la production relancée, les travailleurs restants et les nouveaux engagés vivront sous la menace de la flexibilité. Le nombre d'effectifs de Samsonite - 654 après restructuration - sera fixé en fonction de la baisse de production actuelle due au coronavirus. Pendant les périodes de pic, ou lorsque la production augmentera, Samsonite aura recours aux heures supplémentaires et au travail intérimaire.
Ce risque existe bel et bien : début juin, les organisations patronales du Voka et de la FEB ont présenté leurs « plans de relance », qui décrit bien comment elles veulent imposer davantage de flexibilité aux travailleurs (en plus de toute une série d'autres mesures).6 Dans son plan de relance intitulé « 4x4-turbo », la FEB recommande « des adaptations importantes au niveau de l'organisation du travail ». Elle précise qu’il faut « un cadre légal permettant plus de flexibilité (par ex. au niveau du temps du travail et des heures supplémentaires, du travail en soirée et le weekend, d'horaires flottants) à l’échelle de l’entreprise. » Soulignons que Samsonite est membre d’Agoria, la fédération sectorielle de l'industrie technologique. Et qu’Agoria est membre de la FEB.
Nous avons donc deux options. Soit nous suivons les recettes de Samsonite, Agoria et de la FEB (à savoir imposer davantage de flexibilité aux travailleurs afin d'augmenter les bénéfices de Samsonite) ; soit nous réduisons le temps de travail, ce qui permettra de préserver les emplois et de réduire la charge de travail du personnel de Samsonite, sans affecter les bénéfices de Samsonite. Pour nous, la réduction du temps de travail est le seul bon choix.
La réduction du temps de travail : une solution parfaitement finançableNos calculs montrent que Samsonite est parfaitement en mesure de financier une réduction du temps de travail. En fait, cela ne ne lui coûtera rien de plus. Au total, Samsonite devra même moins se serrer la ceinture grâce aux aides publiques.
Le coût total du personnel est estimé aujourd'hui à un peu moins de 48 millions d'euros. En supprimant 160 emplois, Samsonite veut économiser 9,5 millions d'euros en frais de personnel. Toutefois, la réduction du temps de travail lui permettra d’économiser encore davantage en raison des facteurs suivants :
- Les coûts de personnel ne changent pas, puisqu'il s'agit d'une réduction du temps de travail avec maintien du salaire.
- Les coûts de personnel sont également plus élevés en raison du coût de la rémunération de la direction qu’ils comprennent.
- Des indemnités de licenciement coûteraient plusieurs millions à Samsonite.
- Le gouvernement accorde des aides financières aux entreprises pour la réduction du temps de travail.
Le montant des subventions accordées par le gouvernement dépend du scénario choisi.
- En optant pour la semaine de 30 heures, Samsonite perçoit 3 256 000 euros la première année et 1 302 400 euros les deuxième, troisième et quatrième années.
- En optant pour la semaine de 34 heures, Samsonite perçoit 2 992 000 euros la première année et 1 196 800 euros les deuxième, troisième et quatrième années.
À elles seules, les aides gouvernementales réduisent les coûts que Samsonite estime excessifs annuellement. En réalité, ces coûts seront encore plus bas en raison des facteurs susmentionnés. Samsonite évoque également la crise des compagnies aériennes pour justifier sa restructuration. Le volume des vols ne reviendra pas à la normale avant 2023 ou 2024. Or, comme Samsonite peut compter sur quatre années d’aides publiques si elle applique la réduction du temps de travail, elle pourra traverser cette crise sans licencier.
Il y a donc deux possibilités. Soit Samsonite économise 9,5 millions d'euros en supprimant 160 emplois ; soit elle préserve les emplois en appliquant la semaine de 30 heures et économise environ 6 millions d'euros répartis sur 4 ans. Il n'y a aucune raison de ne pas choisir cette deuxième option.
Notons également qu'au cours des quatre dernières années (2016-2019), Samsonite a bénéficié d’un cadeau fiscal de 4,4 millions d'euros grâce au Tax-shift. La collectivité est donc en droit d’exiger un retour d’ascenseur, à savoir le maintien de l'emploi, via une réduction du temps de travail.
Qui va payer la crise du coronavirus ?Dans nos scénarios de réduction du temps de travail, les travailleurs de Samsonite conservent leur salaire et, dès lors, leur pouvoir d'achat. Ce n’est pas aux travailleurs de faire des sacrifices salariaux pour sauver les emplois. Le montant que Samsonite estime trop élevé sera de toute façon déjà diminué, grâce aux aides gouvernementales et à des facteurs tels que les coûts du personnel de direction. Par ailleurs, Samsonite peut parfaitement assumer le reste des coûts en puisant dans les bénéfices que la société a réalisés ces dernières années. De 2016 à 2019, la maison-mère Samsonite International a fait plus d'un milliard de dollars de profit. Les quelques millions restants qu’elle voudrait économiser sont dérisoires en comparaison à ce qu’elle a gagné.
Bénéfices de Samsonite International (2016-2019)
- 2016 : 274 825 000 dollars
- 2017 : 355 441 000 dollars
- 2018 : 257 200 000 dollars
- 2019 : 153 400 000 dollars
- Total : 1 040 866 000 dollars
Penchons-nous également sur le salaire de Kyle Gendreau, le PDG de Samsonite. Kyle Gendreau a perçu une rémunération de plus de 13 millions de dollars ces quatre dernières années.
Rémunération de Kyle Gendreau (2016-2019)
- 2016 : 3 194 000 dollars
- 2017 : 2 818 000 dollars
- 2018 : 3 200 000 dollars
- 2019 : 4 400 000 dollars
- Total : 13 612 000 dollars
Enfin, les dividendes versés par Samsonite Europe (dont le siège est situé à Audenarde) parlent d’eux-mêmes. En 2016, les actionnaires ont touché 42 millions d'euros de dividendes, 43 millions en 2017 et 40 millions en 2018.17 Chaque année, donc, quatre cinquièmes du bénéfice annuel est dépensé en dividendes.
Pour évaluer le poids des coûts structurels du maintien des emplois, il faut donc tenir compte des facteurs que sont la rémunération élevée du PDG et les dizaines de millions d’euros de dividendes versés aux actionnaires. Proportionnellement, cne sont pas les travailleurs qui pèsent le plus lourd dans les coûts structurels de Samsonite. Ce n’est donc pas à eux de perdre leur emploi et leurs revenus à la suite de la restructuration. Ce n’est pas non plus à eux à de sacrifier une partie de leur salaire pour conserver leur emploi, dans le cadre d’une réduction de temps de travail qui se ferait sans maintien de l’intégralité des salaires. Samsonite a réalisé suffisamment de bénéfices ces dernières années pour pouvoir surmonter la crise du coronavirus sans que les travailleurs soient impactés.
Bien sûr, les aides gouvernementales pour la réduction du temps de travail ont un coût, tout comme le chômage temporaire des employés de Samsonite. C'est pourquoi la question de savoir qui doit payer pour la crise du coronavirus ne concerne pas seulement le personnel de Samsonite, mais chaque citoyen du pays, la collectivité dans son ensemble.
Au niveau de l'entreprise, nous soutenons que ce n'est pas au personnel de Samsonite de payer pour la crise du coronavirus. Samsonite peut parfaitement faire face à cette crise en puisant dans les bénéfices de plus d'un milliard de dollars qu’elle a réalisé au cours des quatre dernières années. Sur le plan de la collectivité, nous affirmons que ce n’est pas à la classe des travailleurs de payer la crise du coronavirus. C'est la raison pour laquelle le PTB veut instaurer une taxe corona sur les multimillionnaires, qui s’applique exclusivement aux très grandes fortunes et rapporterait 15 milliards d'euros. Grâce à cette taxe, la facture de la crise du coronavirus ne retombera pas sur le dos des travailleurs. Plus de 70 000 personnes ont déjà signé notre pétition en faveur d'une taxe corona.
Annexe : Réduction du temps de travail pour les entreprises en restructurationDans le dossier sur la réduction du temps de travail chez Samsonite comme alternative aux licenciements, nous disons (p. 6) que le gouvernement octroie des subventions pour la réduction du temps de travail.
D'une part, nous faisons référence au régime existant, sur la base duquel nous avons calculé le montant des subventions que Samsonite recevrait dans l’hypothèse d'une semaine de 30 heures et d'une semaine de 34 heures. D'autre part, nous nous basons également sur l'annonce faite par le gouvernement, le 12 juin, d’un arrêté qui encourage les entreprises en restructuration à recourir à la réduction du temps de travail afin d’éviter des licenciements. Les mesures concrètes en la matière n’étaient pas encore connues au moment où nous finalisions notre dossier. Le 1er juillet, l'Arrêté royal relatif à cette mesure est paru au Moniteur belge.
La principale différence avec le régime existant est que l'employeur peut désormais instaurer une réduction temporaire du temps de travail pour une durée maximale d'un an. Des options supplémentaires ont également été ajoutées. En bref, ces mesures peuvent être résumées comme suit :
- Réduction d’un cinquième du temps de travail = subvention de 600 euros par salarié et par trimestre.
- Réduction d’un quart du temps de travail = subvention de 750 euros par salarié et par trimestre.
- Aménagement temporaire du temps de travail visé au point 1° combiné à un passage temporaire à la semaine de quatre jours = subvention de 1 000 euros par salarié et par trimestre.
- Aménagement temporaire du temps de travail visé au point 2° combiné à un passage temporaire à la semaine de quatre jours = subvention de 1 150 euros par salarié et par trimestre.
La nouvelle réglementation confirme ce que nous avançons dans notre dossier, à savoir que la réduction du temps de travail est bien une alternative à la suppressions d'emplois. C'est le seul bon choix à faire face aux plans de restructuration de Samsonite, ainsi qu'à la future flexibilisation que l’entreprise, avec le soutien d'Agoria et de la FEB, compte imposer à son personnel une fois la crise du coronavirus terminée et la production relancée.