Qui sont les responsables de la libéralisation de l’énergie en Belgique ?
Face à la crise énergétique et la flambée des prix, la remise en cause de la libéralisation du secteur est de plus en plus populaire… Parmi ces voix critiques, on entend aujourd’hui des partis politiques qui ont pourtant été les architectes de cette politique énergétique libérale favorisant les monopoles. Explications.
Pierre-Yves Dermagne, ministre de l’Économie (PS), déclarait récemment dans l’émission Matin première sur la radio publique : « Les chantres (défenseurs, NdlR) de la libéralisation, ceux qui ont voulu libéraliser le marché de l'énergie voient aujourd’hui que ça ne fonctionne pas, que cela ne fonctionne plus... » Mais qui sont les architectes de cette libéralisation ? De qui parle le ministre de l’Économie ?
Le Parti socialiste dit en pleine crise qu’il veut se battre contre la libéralisation du secteur et assurer le retour de l’État. Les socialistes devraient commencer par reconnaître les erreurs du passé car ils ont davantage été la locomotive de la libéralisation plutôt qu’un frein à celle-ci. Paul Magnette, président du PS, prétendait récemment le contraire au journaliste Christophe Deborsu et lui reprochait de propager « les fake news du PTB ».
Une libéralisation en 3 actes
Retour sur l’historique de cette libéralisation qui s’est déroulé en trois actes, correspondant à trois paquets énergie votés à l’échelon européen avant d’être transposés dans les États membres. Pour l’électricité, les trois directives que nous évoquons ici ont été votées en 1996, 2003 et 2009.(1) D’abord destiné aux grands consommateurs d’énergie, cette libéralisation concerna ensuite les particuliers ainsi que les petites et moyennes entreprises. Enfin, le troisième paquet législatif vise à accentuer la concurrence en séparant les différentes activités liées au secteur : production, gestion du réseau, transport et fourniture. Tout au long de ce processus, on retrouve les socialistes qui agissent.
Elio Di Rupo, le précurseur
Au milieu des années 1990, au niveau européen, on discute de la première directive concernant les règles communes pour le marché intérieur de l’électricité… La Commission européenne prône l’ouverture à la concurrence et la libéralisation. En Belgique, elle trouvera un allié pour entamer ce travail : Elio Di Rupo, l’homme des « consolidations stratégiques ».
En 1995, ce dernier devient Vice Premier-ministre et ministre de l'Économie, des Télécommunications et du Commerce extérieur sous le gouvernement Dehaene II regroupant sociaux-chrétiens et socialistes des deux côtés de la frontières linguistiques. Il initie la libéralisation du marché belge de l’électricité en rédigeant la première note à ce sujet… Une note qui servira grandement son successeur, Jean-Pol Poncelet (PSC, ex-cdH/Les Engagés), qui n’aura plus qu’à la reprendre presque telle quelle pour finaliser ce projet de loi qui verra le jour en 1999.
Au moment du vote à la Chambre des représentants, libéraux (PRL, ancêtre du MR) et chrétiens démocrates (PSC) soutiennent le texte tout comme les 20 députés socialistes francophones, dont Rudy Demotte, aujourd'hui président du Parlement de la Communauté française de Belgique ou Jean-Marc Delizée, toujours député fédéral. Ensemble, ils votent ce projet de loi « relatif à l'organisation du marché de l'électricité » qui entame la libéralisation de l’électricité et concerne les plus grosses industries du pays. Parmi les partis traditionnels, on se réjouit de pouvoir étendre cette libéralisation aux autres consommateurs, aux petites entreprises et aux particuliers pour qu’ils puissent jouir des « bénéfices » de la libéralisation et pour qu’ils puissent payer l’électricité moins cher… « Il est évidemment bon que les entreprises, en tant que principales créatrices de prospérité, puissent réduire leurs coûts énergétiques, mais les consommateurs doivent aussi bénéficier de la diminution des prix de l'énergie » déclare le député socialiste Claude Eerdekens sans remettre en cause la thèse selon laquelle libéralisation rime avec baisse des prix.
Des prix plus bas et une énergie verte ? Raté.
Les Régions jouent également leur rôle dans la libéralisation du secteur de l’énergie. En Wallonie, on retrouve un certain Elio Di Rupo aux manettes. Le ministre-président wallon forme un gouvernement regroupant socialistes, libéraux et écologistes. Aux côtés du bourgmestre de Mons, José Daras prend le poste de Vice-président, ministre des Transports, de la Mobilité et de l’Énergie.
Celui qui est aujourd'hui le président d’Etopia, centre d’études d’Ecolo, poursuivra sa mission de ministre sous le gouvernement de Jean-Claude Van Cauwenberghe (PS) suite à la démission d’Elio Di Rupo… Le gouvernement wallon décide alors de privatiser la société de production d’électricité (SPE). Deuxième producteur d’électricité en Belgique, cette entreprise naît du regroupement de plusieurs petits producteurs des villes et communes ainsi que des intercommunales provenant de la région de Liège mais aussi de Gand et de Flandre-Occidentale. Il y avait là une opportunité historique pour investir dans une société publique existante dans un secteur essentiel et stratégique pour faire reculer la place du marché, définir une politique énergétique basée sur le renouvelable et garantir des prix bas pour les consommateurs.
C’est une autre voie qui sera choisie par les partis traditionnels. En 2001, la SPE ouvre son capital et voit EDF débouler pour acheter 10 % des parts. Au fil des ans, EDF deviendra majoritaire et renommera la société « Luminus ». José Daras, ministre écologiste de l’Energie, défendait qu’en ouvrant le secteur au marché, la part d’énergie renouvelable se développerait jusqu’à près d’un tiers l’électricité consommée… Vingt ans plus tard, cette promesse s’est également conclue sur un échec puisque, en 2020, « la production nette d'électricité renouvelable représente 19,9 % de la production nette d’électricité totale » selon l’IWEPS.
Le gouvernement Verhofstadt II, réunissant socialistes et libéraux, va poursuivre la libéralisation en 2005 comme inscrit dans l’accord de gouvernement : « La libéralisation des marchés énergétiques : les consommateurs belges doivent pouvoir acheter leur énergie auprès du fournisseur de leur choix. Le gouvernement prendra des mesures pour assurer la liquidité du marché. Si nécessaire, le gouvernement prendra des mesures relatives à la mise aux enchères de capacités de production et d'accès aux capacités de transport transfrontalières. (...) Cette approche doit conduire à une plus grande transparence et à des prix plus compétitifs. »
Une nouvelle directive européenne a été adoptée en 2003 et le gouvernement doit maintenant la transposer dans la législation nationale pour permettre aux consommateurs de choisir librement leur fournisseur et de bénéficier eux aussi des prétendus avantages de cette ouverture à la concurrence.
Une nouvelle fois, c’est l’unanimité parmi les députés socialistes pour voter ce projet de loi « portant modification de la loi du 29 avril 1999 relative à l’organisation du marché de l’électricité ». Parmi les députés de l’époque, on retrouve une certaine Karine Lalieux… aujourd’hui ministre des Pensions et de l’intégration sociale mais aussi Alain Mathot ou Yvan Mayeur, respectivement futurs bourgmestres de Seraing et de Bruxelles et qui furent exclus du Parti socialiste pour des affaires de corruption.
Paul Magnette, le promoteur
En 2009, le troisième paquet énergie est discutée et votée au niveau européen. Il vise notamment à rendre effective la séparation entre les différentes activités du secteur : production, gestion du réseau réseaux, transport et fourniture. Le Conseil de l’Union européenne regroupant les ministres de l’Énergie des 27 États membres se rassemblent le 25 juin et vote à l’unanimité la directive 2009/72/CE. Pour la Belgique, c’est Paul Magnette, ministre du Climat et de l’Énergie au sein du gouvernement Van Rompuy, qui soutiendra ce texte visant à « permettre une meilleure concurrence ».
Rien d’étonnant de la part de l’actuel président des socialistes francophones, puisque, un an plus tôt, Paul Magnette défendant dans sa note de politique générale qu’« il y a lieu de promouvoir et de soutenir le fonctionnement correct du marché libéralisé de l’électricité et du gaz. »
Paul Magnette défend ainsi la séparation entre la production de l’énergie, la gestion de ses réseaux de transport et l’activité de fourniture. Grâce à cette séparation, l’énergie pourra être achetée et revendue à de nombreuses reprises avant d’être fournie au client, c’est le jeu de la spéculation qui est lancé. De nombreux fournisseurs se lancent dans le commerce de l’énergie alors même qu’ils n’en produisent pas… Mais, selon les défenseurs de la libéralisation du secteur, cette logique permettra une concurrence accrue et une guerre des prix au bénéfice du consommateur.
Le ministre de l’époque va jusqu’à vanter l’extension la Bourse de l’électricité où s’échangent des contrats journaliers qui remplacent peu à peu les contrats à longs termes : « Un autre moyen d’augmenter la liquidité du marché de l’électricité est la mise sur pied d’une bourse d’échanges pour la négociation spot d’ensembles d’énergie. Depuis 2006, c’est déjà le cas puisque la bourse Belpex Spot Market est une des bourses d’échanges les plus performantes en Europe. En effet, les volumes échangés sur Belpex sont passés d’environ 5 % de la consommation électrique belge en 2007 à près de 14% en janvier 2008. »
En conclusion, s’il y a bien eu une constante à travers les années de libéralisation du secteur de l’énergie, c’est la présence des socialistes au pouvoir. Le PS a participé à tous les gouvernements qui ont mis en place l’ouverture au marché et qui ont fait croire aux citoyens que cette politique entrainerait des tarifs avantageux pour les consommateurs, comme pour les entreprises, et le développement des énergies renouvelables.
Aujourd’hui, leurs promesses pour lutter contre la libéralisation du secteur et souligner le rôle que devrait prendre l’État rappellent les promesses faites au lendemain de la crise financière qui ont été suivies… de nouveaux renoncements.