Qui a peur d'un vrai débat sur l'avenir de la Belgique ?
« Nous sommes déjà si petits que, si je pisse à Paris, Bruxelles est mouillée. Et alors on va encore découper ça », a dit un jour Arno. Quelques jours après la mort du plus beau, les Belges ont leur mot à dire sur l'avenir de leur pays. Avec la consultation citoyenne du gouvernement fédéral qui débute ce lundi 25 avril.
Enfin. Depuis 1970, nous avons eu six réformes d'État. De larges débats de société n'ont jamais précédé ces changements majeurs : les réformes de l'État sont le fétiche d'un petit groupe.
Aujourd’hui, la question reste : va-t-on vraiment faire autrement que les six dernières fois ? Autrement dit : le gouvernement Vivaldi a-t-il vraiment l'intention d'écouter ?
On peut en douter. La consultation citoyenne va coûter : 2 millions dont 1,2 million rien qu’en publicité. C’est cher, surtout pour un exercice dont l’issue s'annonce déjà aujourd’hui plus que problématique.
D’abord, le processus est opaque. À la veille du début de cette consultation, les questions posées ne sont pas connues, même pas par les députés du Parlement.
Ensuite, les questions seront ouvertes du genre : comment organiser le pays ? Quelles compétences pour quel niveau de pouvoir ? Il n’y aura par exemple pas de choix entre différentes options politiques simples, comme on le retrouve par exemple dans le test électoral de 2019 de la RTBf/La Libre/VRT/De Standaard. La grande majorité des experts relève que la méthode de questions ouvertes rend le seuil d’accès difficile, avec le risque d’une très faible participation de la population. Ceci exclut aussi toute représentativité des réponses (toute analyse quantitative étant impossible).
Enfin, il n’y aura aucune obligation de retenir les recommandations avancées par les citoyens, ni celui du rapport des experts. Comme ce fut le cas, au moins partiellement, lors de consultations citoyennes sur le climat chez nos voisins aux Pays-Bas (2018-2019) et en France (2020). En Belgique, « l'objectif de ce rapport est d'alimenter le dialogue entre les représentants politiques », a déclaré un des deux ministres en charge du processus, le MR David Clarinval, témoignant déjà du peu de considérations que la Rue de la Loi accorde à cette consultation.
L’autre ministre en charge de la Réforme de l’État, la CD&V Annelies Verlinden, a, elle, déjà carrément pris position avant même la consultation, en février dernier, en s’avançant pour la régionalisation des soins de santé1. Or la crise Covid a suscité une forte demande de la population dans le sens contraire : 7 Belges sur 10 se déclarent favorables à la refédéralisation des soins de santé2. La ministre connaissait ces chiffres lorsqu'elle a fait cette déclaration. Que fera-t-elle s'ils sont à nouveau confirmés ?
Se pourrait-il que la Vivaldi ait peur d'une consultation citoyenne plus ambitieuse et plus contraignante ? Un tel projet obligerait la plupart des partis à se regarder dans le miroir. Et au lieu de diviser toujours davantage notre pays, comme les précédentes réformes de l’État, ce projet nous amènerait sans doute dans une autre direction, par exemple celle de la refédéralisation au niveau national de certaines compétences cruciales comme la santé et le climat.
Seuls 10 à 15 % de la population en Flandre disent vouloir la scission du pays, comme le montrent invariablement les sondages depuis 30 ans. Une enquête récente de la VRT/De Standaard3 révélait que deux tiers des habitants au Nord du pays ne voulaient pas aller vers plus de Flandre, la majorité plaidant même pour plus de Belgique. « La Belgique » comme l’a résumé un jour l’écrivain célèbre au Nord du pays, Tom Lanoye, « est constituée de deux pays différents : les Belges, d’une part, et leurs hommes politiques, d’autre part. »
Écouter les citoyens, organiser un large débat, c’est s’y prendre tout autrement. Organiser un processus transparent, avec des rencontres et débats, pas seulement en ligne, mais aussi sur le terrain, dans les quartiers, avec une enquête réellement accessible, quantitative sur base de différentes propositions existantes, représentative et avec la garantie qu’on tienne compte des propositions retenues.
Pour secouer le cocotier de la Rue de la Loi, un mouvement d’en bas sera nécessaire. Car ce sujet intéresse la population s’il est présenté clairement. Des initiatives de la société civile, du monde culturel, sportif, intellectuel, syndical peuvent avoir lieu dans les prochains mois pour prévenir le scénario séparatiste en 2024. Pour que le débat ne soit plus confisqué par une caste de politiciens traditionnels et séparatistes. Et pour que le peuple s’en empare réellement.
David Pestieau, auteur de « We Are One, manifeste pour l’unité du pays » (EPO, 2021)
1Le Soir, 12 février 2022.
2Sondage RTL/VTM/Le Soir/HLN, juin 2020
3De Stemming, De Standaard-VRT, mai 2021