Quelle école pour nos enfants ? Les défis de l’enseignement en Fédération Wallonie-Bruxelles
Plus de 900 000 enfants fréquentent l'école en Fédération Wallonie-Bruxelles. Mais cette année, la déclaration de politique du gouvernement MR-Engagés inquiète et pose de vraies questions. Et d’abord la question cruciale : quelle école voulons-nous pour nos enfants ?
Article par Grégory Dolcimascolo
Ce que la classe travailleuse veut avant tout pour ses enfants, c’est une école accessible, donc gratuite et proche ; c’est une école qui accueille tous les enfants et les amène à comprendre le monde dans lequel ils évoluent ; c’est une école de qualité pour toutes et tous. Le PTB réclame une école au service de tous les enfants et, donc, les moyens de l’organiser.
État des lieux
La première donnée marquante à propos de notre enseignement, c’est son caractère inégalitaire. En Flandre comme en Fédération Wallonie-Bruxelles, la Belgique est quasi-championne des inégalités scolaires sur bases sociales : moins les familles ont des moyens, plus les enfants ont de risques de connaître l’échec, donc la relégation ou l’exclusion, et les gouvernements successifs le reconnaissent depuis de nombreuses années. Un exemple parmi tant d’autres : un élève issu d’une famille « pauvre » a 14 fois moins de chances de commencer des études supérieures que celui qui provient d’une famille « riche ». Et s’il les commence, il n’a qu’une chance sur quatre de les réussir1.
L’état des lieux de notre école, ce sont aussi des bâtiments scolaires qui se délabrent. Les partis traditionnels ont sans cesse sous-investi dans l’enseignement durant les dernières décennies. Un des résultats attendus et vérifiés, ce sont de nombreux bâtiments qui ne répondent plus aux normes, voire qui tombent en ruines (voir encadré). Le ministre Daerden (PS) a beaucoup communiqué sur le milliard d’euros investis durant la dernière législature, mais il reconnaissait en même temps qu’il en fallait entre huit et neuf.
Enfin, une autre conséquence visible de la dégradation de l'enseignement en Belgique, c’est la pénurie d’enseignants. Elle a des conséquences catastrophiques pour de nombreux élèves. Certains n’ont pas de cours de maths ou de néerlandais pendant six mois, voire pendant toute une année scolaire. Dans ce cas, il n’est même pas possible de parler de qualité : il n’y a plus d’enseignement du tout ! Un tiers des enseignants, en première ou deuxième carrière, quittent la profession dans les cinq premières années. Et ça ne s’arrange pas : la baisse des inscriptions dans les filières pédagogiques doit vraiment nous inquiéter.
L'état déplorable des bâtiments scolaires
Les témoignages à propos de l’état des bâtiments scolaires sont très nombreux et plus scandaleux les uns que les autres. Or, comment envisager un apprentissage de qualité dans des bâtiments délabrés ? Voici quelques témoignages que nous avons reçus :
« Le Pouvoir Organisateur (PO) a acheté des bâtiments et a envisagé plusieurs projets, sans en mener aucun à son terme. Sous le prétexte de ces projets en cours, il n’a pas investi dans les bâtiments déjà occupés. Leur état est tellement délabré que l’école perd des élèves. Et puisque l’école perd des élèves, le PO refuse d’investir. »
« Notre école était au départ prévue pour 800 ou 900 élèves. Ils sont maintenant plus de 1500, donc nous manquons de place. Régulièrement, des collègues doivent aller voir la liste des profs absents pour avoir un local pour donner cours. »
« Dans notre école, il n’est pas possible d’ouvrir les fenêtres. Un châssis est même tombé sur une collègue. Le PO a donc décidé de… visser les châssis. Pendant la pandémie de covid, il était impossible d’aérer les locaux. »
« Notre chauffage tombe en panne régulièrement. L’école est parfois fermée plusieurs jours quand il fait trop froid. »
« Dans notre école, nous nous sommes habitués aux pannes d’électricité. Une classe est restée sans lumière pendant l’hiver dernier. Lors de la première heure de cours, les élèves sortaient leur téléphone et éclairaient leur cours avec leur lampe de poche parce qu’ils n’y voyaient rien. »
« Il pleut dans la salle des profs et dans plusieurs classes. L’eau s’infiltre jusque dans le système électrique. Conclusion des autorités : laissez pourrir le toit jusqu’à ce que le chantier devienne prioritaire. »
« Le bâtiment que j’occupe avait été désaffecté dans le but de le démolir, mais on m’y a affecté par manque de place. Les fenêtres sont faites de simple vitrage et l’une a été comblée par du plexi. Lorsque j’ai fait remarquer à ma direction que la perte énergétique devait être énorme, on m’a répondu qu’il valait mieux ne pas remplacer la vitre, pour permettre une aération contre une éventuelle saturation de l’air en amiante… »
Le projet du nouveau gouvernement : derrière les annonces, une volonté très claire
Ces constats sans appel, le nouveau gouvernement MR-Engagés les connaît parfaitement, mais il a une vision très claire pour l’école : il veut une sélection plus forte et plus rapide des élèves. L’avis de Luc Toussaint (voir encadré), nouveau président de la CGSP-enseignement, permet de mieux comprendre ces déclarations : « Si le gouvernement concrétise ses intentions, il va renforcer l’école duale, où seuls les enfants de familles riches pourront faire des études. » La droite annonce donc, entre les lignes, qu’elle veut renforcer tous les mécanismes de concurrence, pour déterminer quel élève au final aura le droit de finir ses études.
Évidemment, aujourd’hui en Belgique, personne ne peut assumer cette volonté ouvertement. Pour faire passer la pilule, la droite a depuis longtemps créé tout un contexte idéologique : au lieu de consacrer les moyens nécessaires à la compréhension de chaque élève, elle prétend que certains sont « intellectuels », tandis que d’autres ont « l’intelligence de la main ». Elle oppose systématiquement le « mérite » de ceux qui atteignent « les exigences » au « laxisme de ceux qui veulent faire réussir tout le monde ». Or, nous l’avons déjà dit et nous le répéterons autant que nécessaire : en Belgique, vos chances de réussite scolaire dépendent d’abord des conditions socio-économiques dans lesquelles vous grandissez.
Luc Toussaint, président communautaire de la CGSP Enseignement :
On le sait, la Belgique est une terre d’inégalités depuis des décennies en ce qui concerne l’enseignement. Unia (institution publique interfédérale indépendante qui lutte contre la discrimination et promeut l’égalité) lie très clairement cette situation au « quasi-marché scolaire » : les réseaux d’enseignement et les écoles sont en concurrence permanente, mais aussi les élèves et les étudiants.
Évidemment, les enseignants sont attaqués à travers la déclaration de politique communautaire, mais la plus grande victime dans cette histoire, c’est l’école en tant que service public. Si le gouvernement concrétise ses intentions, il va renforcer l’école duale, où seuls les enfants de familles riches pourront faire des études. Jusqu’où le gouvernement ira-t-il ? Veut-il réellement une nouvelle guerre scolaire, dirigée contre les enfants pauvres ?
Ce qui est certain, c’est que nous devons lutter pour les services publics et nous devons lutter en amenant notre vision de société : nous devons dire clairement que nous voulons une école de qualité et gratuite pour tous.
Une alternative positive, possible et nécessaire : « Une école qui fait briller tous nos enfants »
Pour lutter contre toute forme de défaitisme, il est primordial de bien comprendre qu’une alternative positive est possible, donc nécessaire. Voici la proposition du PTB pour « une école qui fait briller tous nos enfants ».
Une école accessible pour tous : la gratuité en question
Rendre l’école accessible à tous les enfants, c’est d’abord assurer sa gratuité réelle, depuis l’inscription jusqu’aux fournitures scolaires en passant par la garderie et les repas de midi. On éprouve parfois des difficultés à envisager un repas chaud, sain et gratuit à l’école. Pourtant, il devient de plus en plus utile, quand on sait que le nombre de familles qui ont des fins de mois difficiles augmente continuellement : en Belgique, l’extrême pauvreté amène 10 % des enfants - soit 43 000 enfants rien que pour le maternel et le primaire ! - à sauter au moins un repas par jour. On sait aussi que fournir un repas gratuit à l’école, c’est tout à fait possible puisque l’Écosse, le Massachusetts et l’Angleterre (entre autres) mènent divers projets en la matière. D’ailleurs, en Wallonie et à Bruxelles, des expériences du genre existent, mais ne concernent que 6 % des élèves. C’est évident : assurer un repas gratuit à l’école, c’est permettre à tous les enfants de vivre, donc d’apprendre, dans de meilleures conditions.
Autre élément fondateur de la gratuité : les fournitures scolaires. Les associations progressistes sont parvenues à faire reconnaître le droit des familles à obtenir des fournitures scolaires gratuites. Ce droit, inscrit dans la loi, s’étend pour le moment jusqu’en troisième primaire et devait s’élargir à la quatrième en septembre 2025. Or, l’inaction du nouveau gouvernement annule cette avancée importante, comme le dénonce Amandine Pavet, cheffe de groupe PTB à la Fédération Wallonie-Bruxelles : « Il n’y aura pas d’élargissement de la gratuité scolaire à la quatrième primaire. Ce sont donc 56 000 enfants et leurs familles qui bénéficiaient de la gratuité depuis le début de leur scolarité qui n’y auront plus droit l’année prochaine ».
Une école accessible pour tous : non à la sélection précoce et massive !
Sauf s’ils sont porteurs d’un handicap sévère, tous les enfants sont capables de maîtriser les apprentissages jusqu’en troisième année secondaire. C’est pour cette raison que le PTB soutient l’idée du tronc commun. Pour comprendre le monde dans lequel ils se trouvent, tous les élèves doivent maîtriser des savoirs solides dans plusieurs matières.
Qu’annonce le gouvernement ? Une nouvelle évaluation externe en troisième primaire (!) et une réussite à 60 %, sans moyen supplémentaire pour aider les enfants à maîtriser les apprentissages. Et tout le problème est là : évidemment, tout le monde est d’accord pour dire qu’acquérir les connaissances à moitié n’est pas suffisant ; évidemment, nous voulons toutes et tous que nos enfants approfondissent leurs connaissances. Et cet objectif est tout à fait réaliste, à la condition que nous nous en donnions les moyens (voir point suivant).
Par contre, ce que fait le gouvernement MR-Engagés en refusant de prévoir les moyens de ses politiques, c’est renforcer la sélection des élèves ; c’est aggraver l’école duale, qui avance avec ceux qui réussissent ou qui ont les moyens de se faire aider et qui abandonne les autres. Étant donné que les résultats scolaires des enfants belges sont déterminés par la situation socio-économique de leurs parents, c’est jouer le jeu des « écoles de riches » contre les « écoles de pauvres ».
Une école de qualité : les conditions d’apprentissage des élèves dépendent des conditions de travail des profs
La qualité de l'enseignement est un autre pilier essentiel de l’école pour tous. Si nous voulons amener tous les enfants à maîtriser les apprentissages dans un parcours scolaire serein et émancipateur, il faut que nous nous en donnions les moyens. Au niveau de la pénurie d’enseignants, la situation actuelle est désastreuse et inadmissible : des cours ne sont pas donnés, faute de professeurs. Ce problème est trop fréquent et contribue aux difficultés scolaires des élèves et ﹣ ça ne vous étonnera pas ﹣ ce sont souvent les écoles les moins favorisées qui souffrent le plus de ces pénuries. Mais pourquoi perdons-nous nos instits et nos profs ? Pourquoi un enseignant sur trois quitte-t-il le métier dans les cinq premières années ?
La réponse est connue : ce sont les conditions de travail qui les font fuir, parce qu’elles ne leur permettent pas de faire leur boulot. À côté de l’allègement de la charge administrative et de bâtiments salubres et équipés, leur revendication-phare est la réduction de la taille des classes, en commençant par le maternel et le début du primaire, pour pouvoir consacrer à chaque enfant le temps dont il a besoin, et particulièrement au début de sa scolarité. De nouveau, ce projet est ambitieux, mais il est totalement réaliste et efficace, comme l’a montré l’étude Star2 aux États-Unis, où les petits groupes d’élèves ont permis à tous les enfants de progresser, et surtout ceux des milieux populaires.
Au lieu de répondre aux revendications des professionnels de terrain, le plan proposé par le MR et les Engagés vise, comme toujours, à monter les travailleurs les uns contre les autres. Un exemple dont on a déjà beaucoup parlé : la suppression de la nomination des enseignant.es, annoncée pour 2027 par la ministre Glatigny (MR). Le gouvernement part d’un problème réel : l’instabilité et la précarité du début de carrière. Il tente ensuite de persuader les nouveaux profs que, si leur début de carrière est si difficile, c’est parce que les plus anciens sont nommés. Quelle est leur solution ? Faire miroiter un CDI aux jeunes enseignants, c’est-à-dire leur mentir sur leur entrée dans la profession et détériorer leurs conditions de travail pour toute leur carrière. Ce n’est pas de cette manière qu’on améliorera les conditions de travail des enseignants. Ce n’est pas de cette manière qu’on luttera contre la pénurie qui fragilise le parcours scolaire des élèves. Car c’est aussi dans l’intérêt des élèves que la nomination des professeurs les protège contre l’arbitraire, comme le rappelle Fabien Crutzen, permanent syndical de la CSC-enseignement (voir encadré).
Fabien Crutzen, permanent syndical CSC-Enseignement :
Nous devons tous refuser l’idée de supprimer les nominations dans l’enseignement, parce qu’il s’agit aussi de l’intérêt de nos enfants. En effet, les nominations sont intimement liées à l’idée de service public, c’est-à-dire un service accessible à tous, sans aucune forme de discrimination.
Les nominations ont été créées pour mettre les agents à l’abri des pressions politiques ou religieuses. Avant ce statut, l’arbitraire était très important dans l’engagement ou dans la rupture de contrat : dans certains réseaux, vous pouviez perdre votre emploi à la suite d’un divorce. Dans d’autres, vous pouviez être remplacé par une personne qui affichait la couleur politique réclamée. Avec la nomination, c’est beaucoup moins facile de mettre un enseignant sous pression pour des raisons subjectives. On le constate encore régulièrement aujourd’hui : il arrive souvent que des directions cherchent à remplacer des collègues qui ne sont pas encore nommés, sur une base totalement arbitraire.
En suivant cette logique, on est en droit d’avoir des inquiétudes à propos de la volonté du gouvernement de supprimer le statut des enseignants. Nous venons de vivre deux périodes électorales successives : les enseignants pourront-ils toujours avoir une liberté politique dans les réseaux officiels ou devront-ils craindre d’être licenciés en cas de changement de majorité ?
Pourront-ils toujours exercer leur liberté d’expression dans le réseau catholique ? Pensez à la venue du pape en Belgique : pourra-t-on toujours défendre l’IVG en classe ? Les profs sont des « ouvreurs de conscience » pour les enfants. C’est aussi l’intérêt des élèves qui est mis en cause !
Pourront-ils toujours se mobiliser, quel que soit le réseau, pour faire valoir l’intérêt du service public ? Ou devront-ils craindre un licenciement à la suite d’une action contre telle ou telle décision du gouvernement ?
Conclusion : deux projets d’école pour deux projets de société
On a parfois tendance à envisager l’école comme une bulle déconnectée de la réalité, ce qui est une erreur. Elle est un des reflets de la lutte des classes dans la société : depuis la création de la Belgique, les dirigeants de la société capitaliste dans laquelle nous vivons se sont toujours arrangés pour que l’école serve leurs intérêts, en dépensant le moins possible et en s’adaptant un maximum aux besoins des entreprises. Ce fonctionnement a toujours favorisé la reproduction sociale : les enfants des familles les plus aisées font des études, tandis que ceux qui naissent dans des familles pauvres sont très majoritairement envoyés au travail le plus tôt possible, avec des conséquences importantes sur leurs revenus, donc sur leur santé et même sur leur espérance de vie. Vous lisez bien : votre réussite à l’école et le nombre d’années que vous vivrez en moyenne sont les deux conséquences d’une même cause, les conditions dans lesquelles vous vivez depuis votre enfance.
Il y aurait encore beaucoup de choses à dire au sujet des intentions du nouveau gouvernement MR/Engagés en matière d’enseignement et nous y reviendrons certainement lorsque les détails de leurs projets seront plus clairs. Mais ce qu’il faut comprendre dès maintenant, c’est l’opposition entre deux logiques, pour la société comme pour l’enseignement : une école élitiste qui exclut ou une école qui fait briller tout le monde.
L’intention du nouveau gouvernement est de s’attaquer à tous les services publics, y compris l’enseignement. Cette démarche va renforcer le caractère inégal et élitiste de l’école et de la société et le gouvernement l’assume : les élèves qui ne réussiront pas pourront emprunter des parcours scolaires qui les dirigeront directement vers le travail en entreprise. Pour parvenir à faire passer ces idées inacceptables, pour affaiblir la résistance qui a surgi dès l’annonce de ses premières mesures, la droite veut diviser la classe travailleuse, en montant les profs les uns contre les autres et les autres travailleurs contre les profs.
Ce n’est évidemment pas notre vision des choses. Pour le PTB, l’école doit être un lieu d'émancipation, où tous les enfants peuvent s'épanouir et acquérir un socle commun de connaissances, un lieu qui leur permet de devenir des citoyens responsables, actifs, critiques et solidaires. C’est dans ce but que nous devons donner à l’école les moyens dont elle a besoin. C’est dans ce but, entre autres, qu’il faut aller chercher l’argent là où il se trouve, notamment par une taxe des multi-millionnaires.