Quel sera le visage de l'impérialisme américain sous Joe Biden ?
Joe Biden est officiellement devenu le nouveau président des États-Unis. Sa politique extérieure va-t-elle amener du nouveau ou sera-t-elle une variation sur un air connu ? Ce qu’on peut déjà dire, c’est que ses cinquante années de carrière ont toujours été placées sous le signe de la défense des multinationales de l’armement et des interventions militaires.
Joe Biden a promis à l'industrie de l'armement qu'il poursuivrait les investissements dans la plus grande machine de guerre de l'histoire de l'humanité. Sous les présidents Clinton, Bush fils et Obama, le budget officiel de la Défense américaine est passé de 266 milliards en 1996 à 637 milliards en 2016. Sous Trump, cette augmentation s'est encore accélérée pour atteindre 693 milliards. Biden n'a pas l'intention d'inverser cette tendance. Il déclare : « Les États-Unis ont l'armée la plus puissante du monde et, en tant que président, je veillerai à ce que cela reste comme ça, en faisant les investissements nécessaires pour équiper nos troupes face aux défis de ce siècle ».
Les fabricants d'armes ont investi 2,4 millions de dollars dans la campagne électorale de Biden. L'un de ses principaux sponsors est Palmora Partners, un gestionnaire d'actifs qui jongle avec des milliards et possède plus de 260 000 actions de Raytheon, un important fabricant d'armes, et l'un des plus grands fournisseurs de l'Arabie Saoudite.
Cette loyauté vis-à-vis du secteur se manifeste également dans la nomination de son cabinet. Les personnes que Biden a recrutées à la sécurité nationale travaillaient presque toutes pour des multinationales actives dans l'industrie de la guerre ou leurs groupes de réflexion auparavant.
C'est ainsi que le vétéran Tony Blinken a obtenu le prestigieux poste de secrétaire d'État. Blinken était le bras droit de Biden lorsque celui-ci était vice-président sous Obama. Ensuite, Blinken a fondé WestExec Advisors, une agence de conseil étroitement liée à l'industrie de la guerre. Son choix de Lloyd Austin comme ministre de la Défense est aussi significatif. Austin était un général en poste en Irak entre 2010 et 2011. Sous la présidence d’Obama, il s’est explicitement opposé au retrait des troupes du pays. Il était même en partie responsable de l’envoi de milliers de troupes supplémentaires en Irak. Austin a pris sa pension en 2016, et est alors entré dans le conseil d’administration de la multinationale de l’armement Raytheon Technologies.
Tout laisse croire que le « généreux » sponsor de la campagne de Biden attend un retour sur investissement.
L'homme derrière les interventions militaires
En tant que Président de la Commission des Affaires étrangères du Congrès et vice-président d’Obama, Biden n'a manqué aucune occasion de soutenir les interventions militaires à l'étranger au cours des dernières décennies. Il a été l'un des chefs de file des guerres pour le pétrole au Moyen-Orient : « J'ai voté pour l'invasion de l'Irak et je le referais », déclarait-il en août 2003. Auparavant, il avait déjà joué un rôle clé dans le bombardement de la Serbie en 1999.
Après le bombardement de la Libye par l'OTAN, il a fièrement proclamé que « nous n'avons pas perdu une seule vie (de soldat américain) » et que cette guerre était « un exemple de manière de traiter le monde à l'avenir ».1 Que cette guerre ait causé la mort de dizaines de milliers de Libyens et plongé toute la région dans le chaos ne semblait guère important pour lui.
Il a ensuite été l'architecte de ce qu'il a appelé la stratégie du « counterterrorism plus » (le « plus anti-terroriste ») : une combinaison d'attaques de drones et de déploiement de forces spéciales, qui a fait de nombreuses victimes innocentes dans des pays tels que le Pakistan, la Somalie et l'Afghanistan.
Biden est un fidèle allié d'Israël. Dès les années 1980, il était de son côté dans la guerre contre le Liban et il a voté (même contre la volonté du président Reagan) pour une augmentation significative de l'aide financière à Israël. « Si l’État d'Israël n'existait pas, les États-Unis d'Amérique devraient l'inventer pour protéger nos intérêts dans la région », a un jour déclaré Biden.
Celui-ci ne reviendra pas sur le déménagement polémique de l'ambassade américaine à Jérusalem, décidé par Trump. Il poursuivra également le très mal nommé « plan de paix » de Trump pour le Moyen-Orient.
Le monde selon Biden
Joe Biden a publié un article intitulé « Pourquoi l'Amérique doit à nouveau diriger le monde. Sauver la politique étrangère américaine après Trump » dans le numéro d'avril du magazine Foreign Affairs. On peut résumer sa pensée comme suit : «
L'épisode Trump est un accident de l'Histoire. Nous devons au plus vite reprendre le chemin entamé par Barack Obama. »
Après la chute du mur de Berlin, les États-Unis se sont positionnés comme première superpuissance mondiale. « Le système international que les États-Unis ont si soigneusement construit est en train de s'effondrer », observe Biden. Cet ordre doit être rétabli dès que possible. Sinon, « soit quelqu'un d'autre prendra la place des États-Unis, mais pas de manière à servir nos intérêts et nos valeurs, soit personne ne le fera et ce sera le chaos ».
Biden préconise ainsi de poursuivre la vision américaine traditionnelle d'un ordre international figé, dirigé par les États-Unis. Il veut donc maintenir l’hégémonie américaine pour préserver les intérêts des multinationales américaines. Comme si les rapports de force entre les grandes puissances sur le plan économique et stratégique n'étaient pas en constante évolution. Comme si les dynamiques régionales ne pouvaient garantir la stabilité hors du contrôle et du pilotage externe des États-Unis. Comme si le système fondé sur l'économie de marché soutenu par les multinationales américaines était le seul choix possible dans le monde.
La Chine comme ennemi numéro 1
Au cours des dernières décennies, la Chine a évolué d’un pays en développement vers une puissance économique mondiale. 800 millions de personnes sont sorties de la pauvreté. Cette évolution s'accélère : selon le Fonds Monétaire International (FMI), en 1980, la Chine représentait 2 % de l’économie mondiale, et les États-Unis 21 %. Aujourd'hui, l'économie chinoise a dépassé l'économie américaine et le FMI prévoit que, d’ici 2025, la Chine ne produira pas moins de 21 % de la richesse mondiale, contre 15 % pour les États-Unis.
« Les États-Unis doivent être durs avec la Chine », dit Joe Biden. Une vision confirmée par Janette Yellen, la nouvelle ministre des Finances : « Les États-Unis sont prêts à utiliser toute une panoplie d’instruments pour contrer la politique commerciale malhonnête de la Chine de dumping, de création de barrières commerciales et d'octroi de subventions illégales aux entreprises. »
Et Biden d’ajouter : « La Chine représente un défi particulier. La meilleure façon de le relever est de faire front commun avec nos alliés. » Il entend donc d'abord renforcer les relations avec les alliés européens historiques de son pays, afin de s’attaquer ensemble à la Chine, sous la direction des États-Unis. La guerre des technologies n'est pas prête de s’apaiser. Les restrictions sur l'exportation des produits de haute technologie importés par le gouvernement Trump seront maintenues. Comme son prédécesseur, Biden estime que la Chine devrait se voir refuser l'accès aux nouvelles technologies autant que possible.
Interventions au nom des droits humains
Au cours des dernières décennies, les États-Unis ont mené plusieurs guerres et ont soutenu ou organisé la chute de dirigeants de pays du Sud. Tout cela au nom de la démocratie, des droits humains et de la lutte contre la corruption.
Biden promet d'organiser, dès cette année, un « sommet mondial de la démocratie » aux États-Unis. Les pays du « monde libre » participeront à ce sommet, avec pour objectif : « combattre la corruption, se défendre contre l'autoritarisme et promouvoir les droits humains dans leur propre pays et à l'étranger ». De belles paroles. L'enjeu de ce sommet est de dixit Biden "pour répondre à l'agression russe tout en construisant un front uni contre les abus et les violations des droits humains par la Chine. »
Mais les États-Unis instrumentalisent le « respect des droits humains » pour s'assurer que la Chine respecte les règles américaines. Comment expliquer autrement son soutien indéfectible et son alliance indéfectible avec le régime d'apartheid israélien et l'Arabie Saoudite. Il n’est finalement pas tant questions de droits humains que d’intérêts économiques et géopolitiques.
Quiconque choisit de soutenir les États-Unis dans ce domaine devient membre du club. Celui qui refuse de suivre les États-Unis en paiera le prix. L'homme qui façonnera cette politique est le nouveau ministre des affaires étrangères, Anthony Blinken. Il l'a bien dit : « La démocratie est sous pression partout dans le monde. Nos amis savent que Joe Biden sait qui ils sont. Nos adversaires aussi. Cette différence sera perceptible dès le premier jour. »1
Renforcer l'OTAN, mais pas l'ONU
Biden veut rétablir la confiance de l'Europe envers les États-Unis en rétablissant les liens avec l'OTAN (l'alliance militaire entre les États-Unis et l'Europe) : « L'engagement des États-Unis envers l'OTAN est sacro-saint et n’est pas un accord commercial. L'OTAN est au cœur de notre sécurité nationale. Ce qui la rend beaucoup plus durable, fiable et puissante que les partenariats construits par la contrainte ou l'argent. »
Biden s’en prend beaucoup à Trump car, par son action, celui-ci a remis en question l'engagement historique des États-Unis à intervenir militairement pour défendre les intérêts européens. Biden, comme Trump et Obama, continuera à exiger des alliés qu'ils augmentent leur budget consacré à la défense à 2 % du produit intérieur brut. La Belgique, par exemple, a dépensé environ 4,95 milliards d'euros à la défense l'année dernière, montant qui devrait être relevé à 9 milliards.
Biden veut redevenir un partenaire loyal de ses alliés européens. Il promet donc de réintégrer l'accord sur le nucléaire iranien (le traité par lequel l'Iran s'est engagé à ne pas poursuivre l'armement nucléaire, et dont Trump s'est retiré). Mais Biden ne veut revenir à ce traité que pour renforcer l'alliance occidentale placée sous la houlette des États-Unis. En 2015, il soutenait que la participation à cet accord permettait aux États-Unis de s'affranchir des règles de l’ONU : « Si l'Iran viole le traité, nous pourrons imposer nos sanctions et personne à l'ONU ne pourra nous en empêcher. Ni la Russie ni la Chine. »
Dans son article pour le magazine Foreign Affairs, Biden ne mentionne pas une seule fois les Nations unies. Ce n'est pas une coïncidence. Dans le passé, les États-Unis ne reconnaissaient les résolutions des Nations unies que lorsqu'elles allaient dans leur sens. Pour Joe Biden, l'ONU ne peut constituer un frein aux guerres et aux sanctions menées par les États-Unis.
La différence avec Trump
« Donald Trump a humilié les alliés et partenaires des États-Unis, les a affaiblis, voire, dans certains cas, abandonnés, écrit Biden. Il a renoncé au leadership américain. Le prochain président devra rétablir la confiance dans notre autorité. ». C'est l'enjeu de la politique de Biden. Immédiatement après son investiture, il signera l'accord de Paris sur le climat. Durant les 100 premiers jours de son mandat, il souhaite également reconstruire les relations avec les alliés européens. Il est donc souvent dit dans les médias qu'il sera beaucoup plus « multilatéraliste » et coopératif que Trump. Cela dit, il veut que l'Amérique revienne à la table des négociations, oui. Mais seulement s'il peut s'asseoir en tête de table.
De nombreux citoyens du monde poussent un soupir de soulagement aujourd'hui en apprenant que Trump n'occupe plus le fauteuil présidentiel. C'est tout à fait normal. Mais nous ne devons pas nous faire d'illusions sur la politique étrangère de Biden.
En fait, nous continuons à voir des variations sur la même chanson dans ce domaine. Trump et Biden veulent tous deux servir les intérêts des 1% d'Américains les plus riches, y compris sur le plan international, mais ils le font avec des tactiques et des coalitions partiellement différentes. Biden veut revenir à la « vieille normalité » : les États-Unis qui dirigent le monde. Lorsque cela se heurte à la réalité, la menace de guerre se profile.
1 Citation tirée de Obama's Unending Wars. Fronting the Foreign Policy of the Permanent Warfare State, Jeremy Kuzmarov, 2019, p.128.