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Projets De Wever-Bouchez : « Un superministre n’améliorera pas la sécurité »

La note de travail « Sécurité » du formateur Bart De Wever, qui a fuité en octobre dernier, décrit les projets de réforme de la N-VA et du MR en matière de sécurité. Alors que les négociations en vue de la formation d’une coalition Arizona sont toujours en cours, elle donne un aperçu de leurs projets. Les propositions qu’elle contient ne renforceront toutefois pas la sécurité, mais conduiront plutôt à une concentration du pouvoir, à la privatisation et au démantèlement de l’État de droit.

Jeudi 21 novembre 2024

Bart De Wever pose devant une "Bearcats" de la police anversoise

Bart De Wever pose devant un ‘Bearcats’ de la police anversoise.

BELGA

Un superministre au pouvoir incontrôlable

« Il y aura un seul ministre de la Sécurité responsable de tous les aspects liés à la sécurité opérationnelle dans notre pays. » 

(Citation issue de la note ayant fuité)

La N-VA et le MR souhaitent la désignation d’un « superministre » unique chargé de l’ensemble des services de sécurité dans notre pays. Cela signifierait la fin de la répartition actuelle des pouvoirs entre différents ministres.

Ils affirment que cela améliorerait l’efficacité et donc la sécurité. Rien n’est moins vrai : le véritable problème n’est pas la centralisation du pouvoir mais le manque de moyens à la disposition de pans fondamentaux des services de sécurité.

On le voit par exemple au niveau de la police judiciaire fédérale, aujourd’hui incapable de repérer les réseaux criminels, comme la mafia de la drogue. Il en résulte une hausse de la criminalité liée à la drogue dans les rues et une pression accrue pour investir dans des équipes d’intervention locales. Mais tant que nous ne nous attaquerons pas aux grands réseaux (internationaux), la répression des simples dealers de rue ne restera qu’un coup d’épée dans l’eau. La police locale passe en outre d’un travail de proximité à la répression, ce qui rend l’action préventive plus compliquée. La mise en commun des budgets et des compétences sous l’égide d’un « superministre » unique ne ferait que renforcer ces tendances.

Autre aspect inquiétant : le même ministre serait responsable en dernier ressort de la police fédérale et de la Sûreté de l’État. Aujourd’hui, ces compétences sont intentionnellement réparties entre l’Intérieur et la Justice, deux ministères généralement confiés à des partis différents. Actuellement, la Sûreté de l’État ne peut partager des informations avec la police qu’avec l’autorisation d’un juge indépendant.

Cette séparation stricte est apparue après la Seconde Guerre mondiale et les expériences passées d’abus de pouvoir. Les services de police secrète de gouvernements d’extrême droite en Italie, en Allemagne, au Portugal et en Espagne, entre autres, avaient en effet combiné les fonctions des services secrets et de l’appareil policier pour espionner, arrêter et faire taire voire éliminer les opposants politiques, les syndicats et les intellectuels ou artistes critiques. Il a donc été décidé de séparer ces pouvoirs dans l’intérêt de la démocratie. Voir des dossiers de la police et de la Sûreté de l’État se retrouver sur le même bureau d’un « superministre » unique serait la porte ouverte à de nouveaux abus de pouvoir, surtout si un ministre d’extrême droite venait à occuper ce poste à l’avenir. On observe d’ailleurs la même tendance à la concentration de l’appareil répressif dans la composition de l’administration Trump aux États-Unis.

Ces projets s’inscrivent dans la lignée de propositions antérieures de la N-VA, comme la loi relative à l’approche administrative en vertu de laquelle les pouvoirs locaux reprennent des compétences au pouvoir judiciaire. En tant que bourgmestre, Bart De Wever a déjà eu recours à l’« assignation à résidence préventive » en s’appuyant sur cette loi. Aujourd’hui, la N-VA et le MR semblent déterminés à poursuivre dans ce sens et à affaiblir encore un peu plus la séparation des pouvoirs. Le rôle du juge d’instruction, qui doit déterminer si les actes d’instruction de la police ou les restrictions de liberté sont justifiés, est notamment en péril.

Privatisation, démantèlement de statut et déploiement de l’armée

[Nous allons supprimer les] « obstacles juridiques qui empêchent actuellement les agents de sécurité privée d’effectuer certaines tâches non policières en soutien aux services de police. » 

(Citation issue de la note ayant fuité)

La note de travail préconise une privatisation plus poussée des missions de police, comme la surveillance par caméra. Des entreprises privées seraient même autorisées à intervenir en cas de délit.

Cela soulève de sérieuses questions quant au contrôle démocratique. Car contrairement à ce qu’affirme la note, il s’agit de missions de police qui portent atteinte aux libertés civiles. Les services de police ont le monopole de la restriction des libertés et du recours à la coercition et à la force. Leur statut exige une procédure de sélection spécifique et ils font l’objet d’un contrôle parlementaire particulier. Les entreprises privées, en revanche, ne sont pas soumises aux mêmes règles que la police et peuvent donc agir sans avoir à rendre de comptes.

Les projets de privatisation touchent également les policiers eux-mêmes. À la suite d’un plan similaire proposé par la N-VA en 2015, le syndicat CSC avait calculé que 10 000 emplois seraient menacés si les missions de police en question disparaissaient.

La privatisation s’accompagnerait en outre d’un démantèlement du statut d’agent de police afin de réduire l’écart avec les conditions de travail du secteur privé. La proposition d’aligner le statut des policiers sur celui des autres fonctionnaires fédéraux est actuellement sur la table. Cela se traduirait par neuf années de travail supplémentaires pour avoir droit à une pension, par ailleurs inférieure à celle d’aujourd’hui. Cela suscite une grande inquiétude parmi le personnel policier. D’après le syndicat de police Sypol, plus d’un millier d’agents ont déjà demandé leur pension anticipée, craignant une détérioration des conditions.

La note propose également de déployer l’armée pour surveiller les « infrastructures critiques » et les « institutions critiques ». En 2016, la coalition suédoise autour de la N-VA et du MR avait déjà fait patrouiller des soldats à proximité des gares après les attentats terroristes de Bruxelles et Zaventem. À l’époque, cette mesure avait été critiquée pour son effet avant tout psychologique. L’armée n’est en effet pas formée à la protection des civils ni à la prévention des attentats, contrairement à la police. Cette mesure n’améliorerait donc pas la sécurité mais ne ferait que renforcer l’anxiété. Elle n’est par ailleurs pas sans danger. La formulation de la proposition permettrait par exemple de déployer l’armée dans le port d’Anvers en cas de grève, ce que Bart De Wever avait déjà menacé de faire en 2014.

Préparer la scission

La note de travail propose une définition plus stricte des compétences de la police fédérale. Le recrutement de nouveaux agents ne relèverait plus de la police fédérale mais des zones de police locales. Selon L’Echo, la N-VA demanderait même la mise en place de ministres de l’autorité de police flamand, bruxellois et wallon chargés « d’instruire efficacement les forces de police en ce qui concerne les missions de police administrative. »

Dans le même ordre d’idées, la note contient des propositions visant à accroître la taille et l’autonomie des zones de police locales. Si la N-VA obtient gain de cause, ces zones se retrouveraient sous la gestion administrative d’un ministre régional, ce qui laisserait présager une éventuelle scission future de la police.

Bruxelles est notamment dans le collimateur de l’Arizona. La proposition d’y fusionner toutes les zones de police en une seule est de nouveau sur la table. Et ce, alors qu’aucun chef de corps, aucun bourgmestre et aucune organisation de la société civile n’y est favorable. Car les services locaux ont précisément besoin de proximité.

Si l’on créait de grandes zones de police, les agents perdraient le contact avec les quartiers qu’ils connaissent bien et risqueraient de perdre le lien avec les habitants. Et cela ne résoudrait nullement les problèmes de financement et de pénurie de personnel. Comme l’a fait remarquer un chef de corps de Flandre-Occidentale : « De deux indigents, on en fait un grand ; les fusions ne résoudront rien. »

La scission opérationnelle des compétences est une tactique éprouvée des partis séparatistes visant à éroder le niveau fédéral afin de rendre une nouvelle réforme de l’État inévitable. « Toutes les grandes réformes ont été introduites de manière extralégale puis légalisées », a expliqué Bart De Wever. « C’est de cette manière que de grands départements nationaux ont été scindés. »

Le chef de groupe N-VA à la Chambre Peter De Roover l’exprime quant à lui en ces termes : « Une fois le dentifrice sorti du tube, impossible de l’y faire rentrer à nouveau. »

Comme lors des précédentes scissions des services publics, la conséquence prévisible sera la disparition des économies d’échelle, la fragmentation de l’expertise et la nécessité de reconstruire les directions. Le démantèlement des services va faire exploser les coûts. Une scission complète entraînera également des différences de financement et de qualité du travail de la police, ce qui aura un impact négatif sur la lutte contre la criminalité. Car le trafic de drogue et la traite des êtres humains ne connaissent pas de frontières, et encore moins linguistiques.

Besoin d’une véritable police de proximité

Les projets de De Wever, Bouchez et compagnie menacent le contrôle démocratique et notre sécurité. La concentration du pouvoir, la privatisation et la régionalisation mettent l’État de droit sous pression et creusent le fossé entre la police et les citoyens. Elles renforcent également le penchant pour la répression et l’intervention musclée, au détriment de la prévention et du service.

Si nous voulons renforcer notre politique de sécurité, nous devons tout d’abord renforcer notre police de proximité. Des agents de quartier qui connaissent leur quartier et passent du temps sur le terrain en établissant des relations avec les habitants. Des bureaux de quartier accessibles, où les victimes peuvent obtenir rapidement l’aide dont elles ont besoin. Une revalorisation de la police judiciaire fédérale, qui joue un rôle fondamental dans la lutte contre la grande criminalité, s’impose également. Dans un souci de coordination et d’efficacité, il est important de renforcer le niveau fédéral sans créer de niveau intermédiaire régional superflu.

Pour finir, une politique de sécurité efficace et démocratique a besoin de services publics performants. Avec un statut professionnel garantissant des conditions de travail attractives, une procédure de sélection stricte et un contrôle démocratique de l’exercice d’une des professions les plus spécifiques de notre société.

Anvers pour laboratoire

Anvers, zone de police locale comptant de loin le plus grand nombre de policiers par habitant, est en quelque sorte un laboratoire de cette vision de droite de la sécurité. Depuis que la N-VA y est au pouvoir, elle a investi dans des forces d’intervention lourdement armées, des armes militaires mortelles de calibre 300 et même des véhicules blindés de type « Bearcat ». Ces mesures n’ont pourtant pas permis d’enrayer la montée de la violence liée à la drogue.

L’administration communale a alloué 300 millions d’euros à la centralisation de l’ensemble des services de la ville dans une grande tour de police avec salle de commandement centrale. Là, le bourgmestre De Wever et le chef de corps Muyters peuvent superviser toutes les images des caméras de la ville et envoyer des troupes sur place en cas d’incident.

Mais dans le même temps, la ville a fermé quatre bureaux de quartier, les autres étant accessibles uniquement sur rendez-vous et pendant les heures de bureau. Le service et le lien avec les citoyens ont pratiquement disparu. Sur un total d’environ 3 000 agents, il ne reste que 127 agents de quartier.

Le bourgmestre De Wever contribue largement à l’érosion de la séparation des pouvoirs. En tant que chef de la police locale, il a imposé une « assignation à résidence préventive » à plusieurs jeunes le soir du Nouvel An deux années de suite. Cette décision devrait normalement relever de la justice, mais De Wever s’appuie notamment sur la loi relative à l’approche administrative pour s’arroger de telles compétences judiciaires.