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Pour éviter une deuxième crise, il faut que les pertes de revenus soient entièrement compensées

Tant que nous n'aurons pas atteint le pic des nouvelles infections, la production non essentielle soit être mise temporairement à l’arrêt. Cet arrêt temporaire doit s’accompagner d’une protection totale des revenus du travail.

Dimanche 5 avril 2020

Pour le ministre-président du gouvernement flamand, Jan Jambon (N-VA), « il faut maintenant concentrer nos efforts sur la mise au travail d'un plus grand nombre de personnes. »  Il ajoute : «Je pense qu’on a trop aisément recours au chômage technique. » Ce faisant, il répond à l'appel de Pieter Timmermans, le dirigeant de la FEB. « Rester à la maison devient peu à peu plus intéressant que d’aller travailler », a en effet déclaré Timmermans. « Et nous devons prendre garde à ce que le remède n'aggrave pas la maladie. »

De tels propos méritent une brève vérification des faits. Rester chez soi est-il plus intéressant qu’aller travailler ? Et quel est le remède et quelle est la maladie dans cette crise sanitaire, la plus grande que nous ayons connue depuis la Seconde Guerre mondiale ?

Chômage temporaire : perte de 519 à 814 euros par mois

Les personnes au chômage temporaire en raison de la crise du coronavirus perçoivent une allocation de 70 % de leur salaire brut. Mais, attention, ce salaire brut est plafonné à 2.755 euros par mois. Cela fait 800 euros de moins que le salaire brut moyen en Belgique, ce qui signifie qu’une personne ayant un salaire brut moyen perçoit une allocation de chômage temporaire de 54 % de son salaire. En plus de l’allocation, il y a un supplément de 5,63 euros nets par jour, soit une moyenne d'environ 150 euros par mois. Dans certaines entreprises ou certains secteurs, un petit supplément est accordé par l'employeur : un paiement d'au moins 2 euros par jour de chômage temporaire.

Le prestataire de services en ressources humaines Acerta a calculé que la perte de revenus pour les revenus faibles et moyens se situe entre 519 et 814 euros par mois. Le gouvernement flamand, qui prend en charge la facture de gaz, d'eau et d'électricité pendant un mois, ne compensera pas cette perte-là. Les banques qui accordent un report de remboursement du prêt hypothécaire ne compenseront pas non plus cette perte. Un report n'est pas une annulation. Par après, ce sera toujours exactement le même problème qui se posera.

Pour de nombreux travailleurs, il n’y a désormais aucun revenu de remplacement : pour les travailleurs temporaires dont le contrat n'est pas prolongé, pour les free-lance qui ne reçoivent actuellement plus de commandes, pour les personnes dont le contrat à durée déterminée arrive à son terme. « Mon partenaire et moi, nous avons actuellement un revenu de 0,0 euros. » , m’explique par mail un technicien indépendant dans le secteur culturel.

Le flot de témoignages dans ma boîte mail grossit de jour en jour. Des personnes expliquent qu'elles utilisent leurs jours de congé pour limiter cette perte de revenus, qu'elles sont dans l’obligation d'aller au boulot pour des raisons financières, même si, sur leur lieu de travail, la distance sociale ne peut être respectée. « Dans mon entreprise, il y a des personnes qui présentent des symptômes du virus. J'ai peur de contaminer ma femme, qui souffre de problèmes respiratoires. C'est pourquoi j'ai finalement pris congé. » Cela me met en colère : même dans cette crise du coronavirus, la FEB qualifie la protection de base de notre sécurité sociale de « trop intéressante ».

Où est le remède et où est le mal dans cette crise ?

Tant que nous n'avons pas atteint le pic, ma première préoccupation reste la santé. Le danger que notre système de santé ne puisse plus faire face au nombre de personnes malades est toujours bien présent. Il y a déjà des hôpitaux qui sont confrontés à un manque de lits. Les patients du Limbourg sont transportés à Anvers, à Bruxelles et dans le Hainaut, et les hôpitaux atteignent leurs limites.

Personne actuellement ne veut semer la panique, mais l’appel à retourner au boulot n’est pas très responsable. Les nombreuses réactions à l'appel de Jambon en disent long : « Monter à l’étage quand la femme de ménage arrive ?, écrit Kurt. Facile à dire quand on travaille tous deux à la maison et qu’en plus il ne faut pas s’occuper des travaux d’école des enfants. » « De toute façon, comment pourrais-je monter à l'étage puisque j’habite un appartement de 50 mètres carrés ? », demande Julien. « Dans combien d'entreprises la distance minimale de 1,5 mètre peut-elle être garantie ? Une minorité », répond Johan. « Avant que son excellence ne prenne place derrière le micro, tout l'environnement est décontaminé, mais cela ne marche pas comme ça pour les travailleurs », fait remarquer Noella.

Pour Pieter Timmermans de la FEB, « nous devons prendre garde à ce que le remède n'aggrave pas la maladie ». Ce sont exactement les mêmes termes que ceux prononcés par Donald Trump aux États-Unis, afin de limiter au maximum l'impact de la crise sur l'économie. Eh bien, la maladie s'appelle le coronavirus, M. Timmermans, et le remède, c’est : la distance sociale et le respect le plus strict possible de toutes les prescriptions sanitaires. Pour les secteurs essentiels, on n’a bien sûr pas le choix : ceux-ci doivent continuer à fonctionner. Je pense en premier lieu au secteur des soins de santé, mais aussi à l'alimentation, au transport des biens essentiels, à l'approvisionnement en eau et en énergie, aux entreprises qui fabriquent des masques, des tests ou des appareils respiratoires.

Mais pour les secteurs non essentiels, il me semble tout de même qu'un arrêt temporaire est nécessaire. Le gouvernement a de nouveau allongé la liste des secteurs essentiels. Deux tiers des travailleurs se trouvent déjà dans cette catégorie, y compris les travailleurs de l'industrie de l'armement, par exemple. Pour rappel, les entreprises des secteurs reconnus comme essentiels n'ont pas à respecter les règles sanitaires de base, telles que la distanciation sociale. N’est-il pas insensé de faire fonctionner la FN à Herstal, avec 1.300 personnes au travail, ou encore Nike European Logistics à Laakdal, avec 5.000 travailleurs ? La production d'armes ou l'emballage de vêtements de sport peuvent tout de même parfaitement être reportés de quelques semaines, non ? Le risque d'une crise sanitaire plus longue et plus grave est élevé. Et une telle crise frappera de plein fouet, et bien plus durement, non seulement notre santé mais aussi notre économie.

Pour éviter une crise plus profonde, il faut compenser entièrement les revenus

Rester chez soi, trois au maximum dans la rue, interdiction de presque tous les déplacements, mais, en même temps, continuer à travailler avec des millions d'employés dans toutes sortes de secteurs non essentiels ? Ce sont des messages contradictoires. C'est aussi jouer avec le feu, car tant que le pic des nouvelles contaminations n'aura pas été atteint, la situation reste très inquiétante.

Comme c’est actuellement le cas en Espagne, l'arrêt temporaire de la production non essentielle doit aller de pair avec une protection totale des revenus du travail. Dans le cas contraire, la crise de l'offre à la suite de l'arrêt de la production dans les secteurs non essentiels sera encore aggravée par une crise de la demande, c'est-à-dire une forte baisse du pouvoir d'achat des citoyens. Cette crise doit également être accompagnée d’un plan d'urgence pour les PME, qui ont beaucoup moins de réserves et risquent de faire faillite dans cette crise. Il nous faut donc un fonds d'urgence solide. La question se pose de savoir qui va payer cela.

En temps de crise, la discussion sur une fiscalité juste et la répartition équitable des richesses s’intensifie encore. Il y a tout juste un mois, on a appris que les entreprises de notre pays ont transféré jusqu'à 172 milliards d'euros vers les paradis fiscaux en 2019. Plus du double que trois ans auparavant. « On pourrait penser que ce phénomène est en voie de disparition, mais ce n'est pas du tout le cas », a commenté Axel Haelterman, professeur de droit fiscal à la KULeuven. D'une part, des milliers de familles et de PME risquent de faire faillite ; d'autre part, des montagnes d'argent sont parquées chez une poignée de multimillionnaires et de milliardaires qui continuent à chercher les failles de la législation fiscale.

La meilleure façon d'éviter une deuxième crise - une crise économique en plus de la crise sanitaire - est la création d’un fonds d'urgence solide. Le financement de ce fonds d'urgence ne peut être pris auprès des travailleurs. Car il est évident qu’alors cela n’aurait aucun sens. Le fonds d'urgence doit être financé par une taxe unique de 5 % sur les plus grosses fortunes (dépassant trois millions d'euros, à l'exclusion des habitations propres). Une telle taxe unique pourrait rapporter 15 milliards d'euros. Cela nous permettrait d'augmenter les allocations de chômage temporaire. Et de lancer un plan d'urgence pour les PME les plus touchées. Cette « taxe exceptionnelle des millionnaires » ne concernerait que deux pour cent de la population, les deux pour cent les plus riches, qui disposent ensemble d'un capital de 660 milliards d'euros.

« C'est faire preuve de civisme que de faire fonctionner la société », a déclaré Jan Jambon aux personnes qui restent à la maison par crainte pour leur santé et celle de leurs collègues. Eh bien, c’est faire preuve de civisme que de réinvestir une partie des plus grosses fortunes dans la société, afin de pouvoir sortir de cette crise sanitaire et de ses conséquences économiques avec le moins de victimes possible.