Pension minimum à 1 500 euros : les quatre pièges dans lesquels on ne va pas tomber
La campagne du PTB pour la pension minimum à 1500 euros net est un succès. Et l’idée devient si populaire que les autres partis et d’autres instances se mettent à la soutenir. Mais attention : il en existe quatre variantes qui sont autant de « faux amis ».
La première loi d’initiative citoyenne a été déposée le 11 décembre. Plus de 100 000 citoyens ont déjà soutenu la pension minimum de 1 500 euros nets. Et ce n’est pas pour rien que la loi d’initiative citoyenne rencontre un tel soutien. 80 % des salariés et indépendants pensionnés touchent actuellement une pension de moins de 1 500 euros par mois. La moitié a même moins de 1 250 euros. Travailler toute sa vie et payer ses cotisations sociales ne permet même plus de payer une facture moyenne de maison de repos. Les pensions belges sont parmi les plus basses d’Europe occidentale.
« Pourquoi demander 1500 euros net comme minimum ? » Se demandent certains. Le centre de recherche de la Haute-École Thomas More (le CEBUD) a conçu un outil calculant le coût pour un pensionné pour pouvoir participer à part entière à la société, avec des budgets de référence pour le logement, la nourriture, l’habillement, les loisirs, etc. Pas de luxe, juste les besoins de base. Le résultat est un montant de 1 330 euro net, sans voiture et sans frais de soins de santé. Pour un senior ayant besoin d’une voiture ou de soins de manière chronique, le montant nécessaire est d’au moins 1 500 euros net.
Lors des élections, plusieurs partis ont promis de relever la pension minimum à 1 500 euros. L’informateur Paul Magnette veut inscrire ces promesses dans le futur accord de gouvernement. Mais une pension minimum n’est pas l’autre : quatre pièges se cachent dans sa proposition. Lesquels ?
Maintenant, pas en 2024
Le premier piège est celui du temps. Paul Magnette veut lancer sa pension minimum à partir de l’année 2024. Or si l’on calcule l’inflation, une pension minimum de 1 500 euros en 2024 équivaudra question pouvoir d’achat à une pension minimum de 1 320 euros aujourd’hui. Ce serait donc un progrès très médiocre. Voilà aussi pourquoi le coût de sa proposition (1,1 milliard) n’est qu’une fraction du coût calculé par le Bureau du Plan (3,2 milliards).
Renforcer la pension publique, pas la privatiser
S’agit-il d’une pension minimum privée ou publique ? C’est le deuxième piège. L’Open Vld et le CD&V visent une contribution obligatoire à l’assurance-groupe de l’employeur. Via la pension minimum, ils organisent ainsi la privatisation. C’est chercher les problèmes : les pensions privées sont bien plus chères que les pensions publiques. Le rapport de l’HIVA (KULeuven), Het pensioen rendement vergeleken (rendement de pension comparé), l’illustre parfaitement. On constate qu’assez vite, 40 % des bénéfices vont aux assureurs sous forme de toutes sortes de frais. Les pensions privées sont également très inégalitaires. Plus de la moitié des contributions aux assurances-groupes va à moins de 5 % des assurés. Les managers, PDG et cadres supérieurs accumulent des millions d’euros dans leur pension complémentaire alors que le travailleur moyen doit se contenter de miettes. Les pensions privées ne sont pas non plus sans risque. APRA Leven, l’un de assureurs de pensions privées dans notre pays, a fait faillite lors de la crise financière, et l’argent durement épargné par les gens pour leur pension s’est évaporé. Une pension minimum publique est une garantie légale pour ceux qui ont travaillé et cotisé toute leur vie, l’assurance privée – et tous les problèmes que cela implique -, pas.
Investir dans les pensions, pas dans les paradis fiscaux
Cela nous amène au financement. Pieter Timmermans, le patron de la FEB, propose de toucher à l’enveloppe de la sécurité sociale. C’est là le troisième piège : une pension minimum plus élevée en échange d’allocations plus basses en cas de maladie ou d’accident de travail. Timmermans veut que l’on réorganise les budgets contre la pauvreté pour payer la pension minimum.
Pourtant, la clé d’une répartition équitable est bien évidemment la fiscalité. Le Bureau du Plan a calculé qu’une pension minimum de 1500 euros net coûte annuellement 3,2 milliards. Comparons un instant ce montant avec le tax shift. Celui-ci coûte 6 milliards par an, dont la moitié n’est même pas financée. La pension minimum est un investissement dans le pouvoir d’achat des pensionnés. Cet argent-là ne disparaît pas vers de lointains actionnaires. Il reste dans notre société. Et c’est payable. Lors qu’il a fortement diminué l’impôt des sociétés, le gouvernement Michel a promis que, pour chaque entreprise, un tarif minimum de 7,5 % serait appliqué. Mais voilà : les 50 entreprises qui évitent le plus l’impôt ne paient même pas ces 7,5 %. Le tarif moyen de ce top 50 est d’à peine 1,7 %. Une augmentation à 7,5 % rapporterait exactement suffisamment d’argent pour payer la pension minimum.
Net après 40 ans, pas brut après 45
Il y a encore un quatrième piège : qu’il ne s’agisse pas d’un montant net mais d’un montant brut, qui ne vaudrait qu’après une carrière de 45 ans. Tous les partis de droite veulent maintenir le nombre d’années de carrière requis à 45 ans. Pourtant, 9 femmes sur 10 n’arrivent pas à ces 45 années de carrière. Non pas parce qu’elles ne travaillent pas, mais parce qu’elles commencent plus tard, interrompent plus souvent leur carrière ou arrêtent plus tôt pour s’occuper des enfants et/ou d’un parent malade. La moitié des hommes n’atteint pas non plus ces 45 années. Il serait donc logique de fixer le nombre d’années de carrière requis à 40 ans. 1 500 euros brut après 45 ans équivaut à 1 248 euros net après 40 ans. C’est au mieux une protection contre la pauvreté, mais ce n’est pas ce qu’on peut appeler une bonne pension.
La loi d’initiative citoyenne qui a été déposée évite ces quatre pièges et respecte le bon sens. Elle empêche que l’on contourne ce qui est un des piliers de base de notre sécurité sociale : le droit à une bonne pension après une vie de travail.