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Martha Desrumaux, cheville ouvrière de l'antifascisme

Martha Desrumaux ne craint personne : ni les patrons, ni les nazis. Femme d’action, syndicaliste de combat, féministe engagée, elle incarne toutes les résistances, de son entrée à l’usine jusqu’à sa libération du camp de concentration, il y a tout juste 80 ans.

Lundi 16 mai 2022

Martha Desrumaux

Article écrit par Livia Lumia et publié dans le magazine Solidaire.

1936, un soir de printemps. Dans le bistrot Chez Jules, une voix rauque aux accents du Nord résonne : « Femmes de France, épouses, mères, fiancées, qui rêvez d’un avenir meilleur, aidez-nous à le réaliser. Luttez avec le Parti communiste afin d’obtenir de suite, pour vos petits et votre famille, du pain, la liberté, la paix, un sort meilleur. Femmes du peuple de France, travailleuses manuelles et intellectuelles, rassemblez-vous pour sauvez votre foyer en sauvant la paix ! »

Cette voix, c’est celle de Martha Desrumaux, 39 ans. « La grande Martha », comme on l’appelle (d’ailleurs, son mètre 75 paraît encore plus imposant, ainsi perché sur l’estrade). En contrebas, un public d’ouvriers (femmes et enfants à l’avant-plan) est suspendu à ses lèvres. Dans cette scène du film La vie est à nous de Jean Renoir, Martha incarne son propre rôle. Elle l’ignore encore au moment du tournage mais, dans cinq ans, c’est entre les murs d’un camp de concentration qu’elle organisera la résistance.

L'article continue en-dessous de la vidéo.

« Je veux être une ouvrière »

Le 4 août 1906, à Comines, du côté français de la frontière franco-belge, Florimond Desrumaux, laitier de profession et pompier volontaire, meurt en pleine intervention. Cet ancien ouvrier du gaz, dont les valeurs de gauche et le fort tempérament lui ont valu d’être licencié quelques années plus tôt, laisse derrière lui une épouse, Marie-Florence Vandelannoitte, et sept enfants. La petite Martha, neuf ans, est l’avant-dernière de la fratrie.

À l’aube du XXe siècle, la protection sociale n’existe pas. Le décès de Florimond plonge la famille dans de grandes difficultés. Sachant à peine lire (et malgré l’obligation scolaire et la limitation du travail des enfants de moins de 13 ans), la jeune Martha quitte les bancs d’école pour aller décharger des caisses de betteraves à la distillerie de Comines. S’ensuit un bref séjour en tant que bonne au sein d’une famille bourgeoise.

À 12 ans, elle clame haut et fort  : « Je veux être ouvrière  !  » Elle est embauchée comme varouleuse (ouvrière chargée de changer les bobines des métiers à tisser) à l’usine textile Cousins Frères. Pieds nus, dans une atmosphère humide et des odeurs pestilentielles, elle effectue les tâches les plus ingrates et dangereuses, en échange d’un salaire de misère.

« Si je travaille pour deux, tu me paies le double ! »

Lorsque son supérieur lui demande de travailler sur deux métiers à tisser à la fois, la jeune Martha, 13 ans, rétorque : « Si je travaille pour deux, tu me paies le double ! » Elle s’affilie à la Confédération générale du travail (CGT, syndicat français) et, deux ans plus tard, rejoint la Section française de l’internationale ouvrière (SFIO, ancêtre du Parti socialiste).

En 1917, Martha travaille aux usines textiles Hassebroucq, à Lyon. C’est là que, du haut de ses vingt ans, elle mène sa première grève. La lutte paie : les ouvrières obtiennent la suppression, dans leur contrat de travail, d'une caution de cinq francs pour leur logement. Quelques années plus tard, le patron, qui a pourtant étendu son empire après avoir tiré profit de la Guerre, tente de revenir sur les accords passés. Martha repart aussitôt en lutte. En plus du maintien des accords, elle obtient, pour toutes les ouvrières, un tablier imperméable et des sabots.

En 1920, après la trahison des leaders sociaux-démocrates qui ont soutenu la Guerre, la SFIO se divise en deux. La majorité des adhérents créent un nouveau parti : la Section française de l’Internationale communiste (SFIC), qui deviendra plus tard le Parti communiste (PC). Martha s’y affilie aussitôt. En 1929, elle est la première femme élue au comité central. Parallèlement, elle s’érige comme fer de lance de grèves dans toute la région Nord-Pasde-Calais. Martha n’est pas allée à l’école très longtemps. Mais son sens de l’engagement, son charisme hors du commun et son expérience du terrain compensent largement.

« Je suis Martha Desrumaux, les nazis ne m'ont pas eue »

Martha Desrumaux (deuxième en partant de la droite) lors d’une réunion syndicale en 1947.

Martha Desrumaux (deuxième en partant de la droite) lors d’une réunion syndicale en 1947. (Photo DR)

Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate, l’engagement de Martha prend un nouveau tournant. Publiquement, elle poursuit ses activités syndicales. Au printemps 41, elle organise une grande grève suivie par 100 000 mineurs. Mais elle opère aussi dans l’ombre : fidèle à son parti, dissout en 1939, elle s’affaire clandestinement à sa réorganisation depuis la Belgique. De retour en France, elle prend la tête d’un réseau de sabotage, participant notamment au saccage, pendant la nuit, de l’office de propagande nazie de Lille. Elle revêt une fausse identité, cache et fait transiter des hommes, des armes, des informations. Jusqu’au mois d’août 1941. Cet été-là, elle est arrêtée par la Gestapo, avant d’être déportée à Ravensbrück, un camp de concentration pour femmes situé au nord de Berlin, en mars 1942.

À Ravensbrück, les femmes communistes s’organisent. Qu’elles soient tchèques, allemandes, polonaises ou soviétiques, peu importe : dans la résistance, on est toutes solidaires. Les conditions infâmes de la concentration n’entachent ni leur courage, ni leur détermination. Quand elles voient débarquer la grande Martha, une des premières Françaises du camp, elles reconnaissent immédiatement l’une des leurs.

Lorsqu’il s’agit de mener la vie dure aux nazis, Martha ne manque pas d’inventivité : elle n’hésite pas à glisser des poux dans les uniformes allemands qu’elle est priée de raccommoder, par exemple. Mais à ses compagnes de camp, elle apporte un soutien indéfectible. Elle leur fournit de la nourriture et des vêtements, leur apprend ce qu’il faut dire ou taire pour échapper à l’exécution, veille sur les malades et répand l’espoir d’une vie après la Guerre. Ainsi, elle se fait de nombreuses amies, qu’elle convie à des réunions secrètes, forme et organise.

Libérée de Ravensbrück en avril 1945, Martha Desrumaux passera le reste de sa vie à témoigner des horreurs du fascisme, à faire entendre la voix des déportés et à défendre leurs droits. Elle continuera aussi à militer pour l’émancipation des femmes, les encourageant à prendre, comme elle, des responsabilités politiques et syndicales. Martha s’est éteinte il y a 40 ans, le 30 novembre 1982. Ses combats, eux, continuent à vivre à travers l’engagement de toutes celles et ceux qui, aujourd’hui encore, se dressent contre le fascisme, pour les droits de la classe travailleuse, et pour l’égalité entre les femmes et les hommes.