Lutte pour la sécurité : comment les travailleurs d'AB InBev ont fait plier une multinationale
Après 13 jours de grève, les travailleurs d’Inbev ont réussi à faire plier la multinationale et à obtenir de belles avancées pour faire respecter les règles sanitaires. Comment ? Petit aperçu des ingrédients d'une victoire.
Malgré le coronavirus, l'usine AB Inbev ne s'est jamais arrêtée. Depuis le début de la pandémie, la colère des travailleurs va crescendo. Inbev a fait 7,4 milliards d’euros de bénéfices en 2019 mais n’a pas suffisamment investi dans des moyens et des procédures efficaces pour faire respecter les règles sanitaires et protéger les travailleurs. Elle est même allée jusqu’à tenter de cacher l'existence d’un foyer de contamination sur le site de Jupille. Deux travailleurs sont aujourd’hui toujours dans le coma, dont un dans un état très grave. Les travailleurs ne se sont pas laissé faire… et ils ont gagné.
Les étapes de la victoire
Les manquements étaient déjà nombreux : pas assez de masques, trop peu de plexiglas, pas de possibilité de se faire tester à la demande, etc. Mais c’est fin août que le vase déborde. « Les 27, 28 août, deux cas positifs au Covid-19 ont été détectés, explique José Borrego, délégué FGTB. La direction a demandé à ces deux personnes qui elles avaient côtoyé, mais personne n’a écarté tous ces gens. Ils sont encore restés jusqu’à six jours. » Résultat : 11 travailleurs contaminés, dont deux sont toujours dans le coma.
Médecine pour le Peuple (le réseau de maisons médicales du PTB) décide de se mobiliser. « On a appris qu’il y avait un foyer de contamination au sein du secteur logistique d’AB Inbev, et on a pris contact avec la délégation syndicale pour proposer notre aide, explique Amandine Linotte, médecin chez Médecine pour le Peuple. » 80 travailleurs sont ainsi testés. Au lieu de collaborer, la direction fait pression pour tenter d’empêcher ce testing. Pour la délégation FGTB, c'est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Elle décide de se mettre en grève, avec les revendications suivantes : le déplacement de la directrice des ressources humaines et du directeur de la sécurité hygiène, et la mise en place de règles plus strictes pour empêcher, à l'avenir, que le virus ne se répande à nouveau dans l'entreprise.
Après trois jours de grève, la direction organise la désinfection du site et installe un dispositif de plexiglas plus conséquent. Mais elle ne veut rien entendre sur le reste. La grève continue. Elle est suivie par un très grand nombre de travailleurs. La direction passe alors aux menaces. Des huissiers distribuent des astreintes à de nombreux grévistes (un délégué syndical reçoit jusqu'à 11 000 € d'astreintes). Ils vont jusqu’à déposer ces astreintes au domicile des travailleurs. La compagne d'un gréviste a même reçu la visite d'un huissier à 21h, chez elle. À chaque changement de pause, la direction envoie des messages aux travailleurs pour les pousser à reprendre le travail. En vain.
Alors que les travailleurs d’Inbev sont en grève depuis 6 jours, un membre du futur gouvernement est testé positif au covid. En conséquence, tous les négociateurs et le Roi sont testés dans l’heure. À Jupille, les travailleurs ne bénéficient pas du même traitement. Mais cela ne décourage pas les grévistes, qui redoublent de combativité.
La solidarité contamine tout le pays
La grève des travailleurs de Jupille inspire et se répand. Les travailleurs du dépôt de Leuven se mettent aussi en grève. Pendant deux jours, sept lignes sur neuf sont à l’arrêt. « Franchement, on ne l’oubliera pas, déclare José Borrego avec émotion. On leur rendra la pareille. » D’autres dépôts (Hoegaarden, Jumet, Anderlecht) se joignent aussi au mouvement par solidarité pendant quatre jours, à l'appel de la FGTB et de la CSC. La mobilisation se forme non seulement au-delà de la frontière linguistique, mais aussi au-delà de l’entreprise où elle est née. La FGTB et différentes délégations d'entreprises de la région se rendent au piquet, pour témoigner de leur soutien.
À Jupille, la délégation propose une procédure « covid » visant à garantir le testing sur demande des travailleurs, l'organisation de la mise en quarantaine et la protection des travailleurs qui ont été en contact avec ceux testés positifs au covid. Ce protocole, entre autres, est présenté lors de la réunion de conciliation, après 13 jours de grève.
La discussion aboutit sur des avancées. Après la réunion, les travailleurs, réunis en assemblée générale, décident de reprendre le travail. Toutes leurs revendications ne sont pas retenues. Mais les travailleurs réussissent néanmoins à faire plier la multinationale sur certains points.
La lutte paie, même en temps de coronavirus
Les acquis de ce combat ne sont pas négligeables :
- dorénavant, chaque travailleur peut se faire tester à sa demande ;
- la direction a dû accepter un audit externe, avec quatre représentants des travailleurs et deux de la direction. Cet audit vise à mettre le doigt sur ce qui a provoqué cette contamination et à mettre au point un ensemble de règles qui empêcheront le virus de se propager rapidement dans l'entreprise à l’avenir (des règles inspirantes qui pourront être utilisées dans d’autres entreprises du pays) ;
- des désinfections et l'installation d'un matériel de protection plus efficace ont également été mises en place ;
- enfin, la direction a dû retirer toutes les astreintes des huissiers.
S’il y a quelque chose à retenir de l’histoire des travailleurs d’Inbev, c’est l’énorme mouvement de solidarité qui s’est mis en place entre les travailleurs. « Ce n’est pas la direction qui a mis en place le testing, ce sont les travailleurs, rappelle Amandine Linotte. C’est le résultat de la mobilisation des travailleurs. Parce que sinon, rien n’était fait. »
Cette mobilisation s’est faite en front commun, et au-delà de la frontière linguistique : la solidarité entre les travailleurs du Nord et du Sud a été une des clés du succès. La grève d’Inbev a montré que la solidarité est possible, et qu'elle paie. Avec leur esprit de lutte, les travailleurs ont prouvé qu'il était possible de gagner, même en temps de coronavirus.