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Le Pacte migratoire européen s'attaque aux droits humains plutôt qu'aux causes

Les États membres de l’Union européenne se sont mis d’accord sur une nouvelle politique commune en matière de migration. « Dans ce nouveau Pacte migratoire, la solidarité entre pays reste un mirage, des paroles en l'air, dénonce notre député européen Marc Botenga. Le droit de demander l'asile en Europe est attaqué frontalement, pendant que les politiques européennes continuent de pousser toujours plus de gens à quitter leurs terres. »

Jeudi 21 décembre 2023

Des migrants s'entraident au bord de la mer.

« Les craintes exprimées par plus de 50 organisations de la société civile se sont révélées justifiées », estime Marc Botenga, député européen PTB. L'accord qui vient d'être conclu le mercredi 20 décembre au parlement européen normalise la détention arbitraire (y compris d’enfants), le profilage racial, les refoulements vers des « pays tiers sûrs » où les gens risquent quand même violences et persécutions. Le choix est laissé aux pays d’accueillir ou de payer pour ne pas le faire. De nouvelles procédures « rapides » se feront directement aux frontières, sans évaluation individuelle ni accès à une aide légale gratuite. Entretemps, les politiques européennes poussent toujours plus de gens à fuir leurs terres... « Sans solutions réelles, ce Pacte s’en prend aux droits humains. Il aggravera les abus et traitements inhumains subis par ceux obligés de fuir. Une honte pour l'Union européenne, qui normalise des idées de l’extrême droite. »

Le Pacte migratoire européen ne reconnaît pas les causes de la migration

Le débat sur la migration en Europe n’aborde jamais le pourquoi de celle-ci. Il se focalise sur la nécessité de bloquer l’afflux de migrants. L’Union européenne elle-même contribue pourtant à perpétuer ces causes. Afin d’inverser la situation, l’Europe doit se concentrer sur ces causes et mettre en place des procédures d’asile équitables et humaines.

I brahim est originaire du Sénégal. En 2006, il a osé faire la traversée vers les îles Canaries. Un voyage très dangereux qui a duré environ 11 jours. Il ne l’a pas entrepris par goût de l’aventure. Pêcheur, il n’arrivait plus à survivre dans son pays. Depuis que les bateaux de pêche européens ont accès aux eaux sénégalaises, il n’y a quasiment plus de poisson pour la population locale. L’expansion des entreprises européennes et asiatiques de farine et d’huile de poisson en Afrique de l’Ouest contribue également au problème. Le poisson sénégalais est de plus en plus utilisé pour garantir les profits économiques d’autres pays plutôt que pour assurer la sécurité alimentaire de la population locale.

« Si un pêcheur ne peut plus subvenir aux besoins de sa famille parce que l’UE nous vole notre poisson, quelle option reste-t-il ? », se demande Abdoulaye Ndiaye, représentant de Greenpeace Afrique. Pour beaucoup de jeunes pêcheurs comme Ibrahim, la réponse à cette question est : suivre notre poisson volé en Europe, où notre richesse est accumulée. Greenpeace fait campagne dans les eaux ouest-africaines : EU licence to plunder (« Autorisation de l’UE pour piller »). Les bateaux de pêche européens qui pratiquent de la surpêche dans la région reçoivent des millions d’euros de subventions de l’UE et des États membres.

 

Une sélection aux frontières extérieures

En Europe, toutefois, le débat migratoire n’aborde jamais les causes de la migration. Après les réfugiés consécutifs aux guerres en Ukraine, en Syrie et en Palestine, les migrants dits économiques, originaires d’Afrique de l’Ouest, sont en tête de liste des migrants qui font route vers l’UE. Les chefs de gouvernement européens s’accordent de plus en plus à dire qu’il est nécessaire d’agir pour endiguer cet afflux. Depuis 2021, le Conseil européen négocie un nouveau Pacte migratoire européen. Le Premier ministre, Alexander De Croo, a déclaré aux Nations Unies à New York qu’il voudrait clôturer les négociations au printemps 2024, lorsque la Belgique présidera le Conseil européen.

Mais quʼy a-t-il dans ce pacte ? La pièce maîtresse de ce document est la « procédure de frontière unifiée » : un tri serait effectué pour toutes les personnes arrivant aux frontières extérieures de l’Europe, comme en Italie, en Grèce et en Espagne. Là serait décidé si les migrants peuvent entamer une procédure d’asile ou non. L’un des critères est le pays d’origine. Il y a par exemple la catégorie « pays dont le taux de reconnaissance est inférieur à 20 % ». Cela signifie que moins de 20 % des personnes originaires de ce pays obtiennent finalement l’asile. Ceux qui tenteraient encore de rejoindre l’Europe depuis ces pays n’auraient plus la possibilité d’entamer une procédure d’asile et seraient expulsés à la frontière extérieure.

Les politiques européennes poussent toujours plus de gens à fuir leurs terres : pillage des ressources naturelles des pays du Sud, ingérence ou encore politique climatique insuffisante.

Marc Botenga

Député au parlement européen

Le droit à une procédure distincte

Cette nouvelle procédure frontalière est une violation du droit d’asile. Car même dans les pays dont le « taux de reconnaissance » est faible, les gens peuvent être persécutés pour leurs convictions politiques, fuir la violence, etc. La Convention de Genève de 1951, le traité des droits humains sur lequel repose le droit d’asile, stipule que la demande de chaque demandeur d’asile doit être examinée séparément, sans considération du pays d’origine.

La Convention a été promulguée après l’exode des Juifs allemands, qui avaient massivement fui leur pays lorsqu’Hitler est arrivé au pouvoir, après quoi les pays voisins ont fermé leurs frontières à tous les migrants allemands. Finalement, beaucoup de ces Juifs ont péri dans l’Holocauste. Pour éviter que cela ne se reproduise, la communauté internationale a d’un commun accord décidé en 1951 de ne pas renvoyer de groupes de migrants vers un pays où ils risquent d’être persécutés. S’il peut être établi qu’une personne fuit la guerre, la violence ou la persécution, cette personne a droit à l’asile. C’est pourquoi il est obligatoire d’entamer une procédure distincte pour chaque individu. C’est ce que stipule également le droit européen en matière d’asile. Ce ne serait évidemment plus le cas avec le nouveau Pacte migratoire européen.

Par ailleurs, les gens doivent séjourner quelque part pendant la durée de la procédure. Les personnes en fuite seraient dorénavant systématiquement détenues jusqu’à ce qu’elles obtiennent l’asile ou soient renvoyées. Selon le pacte, le contrôle aux frontières extérieures prendrait de cinq à dix jours maximum. En réalité, il serait probablement beaucoup plus long : la durée moyenne de détention est aujourd’hui de 3 à 6 mois, mais dans de nombreux cas, elle dure un an ou plus.

Cela revient à enfermer des gens qui n’ont rien fait dʼillégal. Ainsi, ceux qui fuient la guerre ou la faim sont plus mal traités que de nombreux criminels. C’est déjà le cas aujourd’hui dans un certain nombre d’États membres. Demain, cela pourrait devenir la norme aux frontières extérieures de l’Europe, loin du regard critique des journalistes ou des organisations de défense des droits humains.

Un marché aux poissons au Sénégal.

Depuis que les gigantesques bateaux de pêche européens ont accès aux eaux sénégalaises, il n'y a presque plus de poisson pour les habitants. (Photo Tjabeljan)

L'Europe refuse d'admettre la réalité

Concrètement, que signifie le Pacte migratoire pour Ibrahim ? Le Sénégal possède un taux de reconnaissance inférieur à 20 %. Les demandeurs d’asile en provenance du Sénégal seraient immédiatement classés comme « ayant peu de chances d’obtenir l’asile ». À son arrivée en Espagne, Ibrahim serait donc immédiatement enfermé dans un centre de détention. Après une détention d’au moins quelques jours, voire de plusieurs mois, il serait renvoyé.

Mais entre-temps, la situation au Sénégal ne se serait pas améliorée. Ibrahim chercherait probablement une nouvelle route, encore plus dangereuse, pour contourner la procédure frontalière et atteindre l’Europe illégalement. Le nouveau Pacte migratoire implique donc une perte d’argent, de dignité et de vies humaines sans changer grand-chose en pratique. Depuis 35 ans, les chefs de gouvernement européens perpétuent les causes de la migration d’une part et tentent d’arrêter les migrants d’autre part. Si elle souhaite réellement mettre fin à la migration illégale, l’UE doit se concentrer sur ses causes profondes.

Comme les accords commerciaux malhonnêtes qui ont été conclus entre l’Europe et les pays du Sud. Comme le poids de la dette, avec laquelle les institutions occidentales limitent la marge de manœuvre des gouvernements du Sud. Il y a aussi le refus des multinationales européennes de partager avec le Sud les brevets de technologies vitales, comme les vaccins. Sans parler des livraisons d’armes européennes dans des zones de conflit et le soutien à des pays comme Israël. Une politique de pêche équitable et durable serait déjà un premier pas important dans la bonne direction.

Des routes sécurisées

L’Europe a besoin de procédures d’asile équitables qui respectent les droits humains. Des procédures qui soient en accord avec le principe de non-refoulement et n’emprisonnent pas de personnes en fuite. C’est pourquoi nous devons inverser la logique concernant les frontières extérieures de l’Europe. Au lieu d’injecter toujours plus d’argent dans des patrouilles de garde-côtes qui refoulent de petits bateaux vers l’Afrique, l’Union européenne pourrait mettre en place des routes sécurisées depuis les zones à risque. De cette manière, nous sauverons des vies en Méditerranée et nous couperons l’herbe sous le pied des passeurs. C’est aussi le seul moyen de mettre en place un plan de répartition équitable et d’éviter les flux migratoires incontrôlés au sein de l’UE.

Qu’en est-il des « migrants économiques illégaux » comme Ibrahim, qui sont déjà en Europe ? Aujourd’hui, les employeurs profitent trop souvent de leur situation désespérée. Ils travaillent au noir pour des salaires de misère et sans aucune protection. Cette situation présente un effet néfaste sur les salaires et les conditions de travail dans des secteurs tels que la construction ou le nettoyage pour tous les travailleurs.

Si des sans-papiers ont un emploi et font donc déjà partie de la société dans la pratique, il est préférable de leur donner des papiers. La seule chose que les gens comme Ibrahim recherchent, c’est gagner leur vie et contribuer à la société. Tant que l’Europe leur empêchera de trouver cela dans leur pays d’origine, il est dans l’intérêt de tous qu’ils se retrouvent sur le marché du travail légal.