Le combat des retraites s’intensifie en France et résonne dans toute l’Europe
Incapable de convaincre les travailleurs, ni même les députés, Macron passe en force pour faire approuver sa très impopulaire réforme des retraites. En conséquence, la colère populaire s’accroît. La répression policière aussi. Mais malgré cela, la classe travailleuse poursuit et approfondit les grèves, les blocages et les manifestations.
Au-delà du report de l’âge légal de la pension officiellement en jeu, cette lutte est surtout la cristallisation d’un conflit de classes plus large autour d’un choix de société : Accepte-t-on une société autoritaire qui tourne uniquement pour les actionnaires ? Ou se bat-on pour une société démocratique qui respecte les travailleurs ? Dans cette lutte qui dure depuis deux mois, les travailleurs français renforcent leur fierté de classe. Et ils sont déterminés à faire reculer Macron, un président de plus en plus autoritaire et assumant de plus en plus ouvertement qu’il est au service des plus riches.
Cette lutte, ô combien cruciale pour la classe travailleuse française, revête aussi une importance dans toute l’Europe. Les travailleurs de tout le continent la regardent avec espoir, les patrons avec crainte.
Le journal britannique The Guardian synthétise bien cette dimension internationale dans ses colonnes du 14 mars : « Si les syndicats français parviennent à battre Macron, ce serait une victoire remarquable. (...) Quoi qu'il arrive dans les prochains jours, ils auront envoyé un message fort au reste de l'Europe, à l'heure où les responsables politiques du continent réfléchissent à des réformes similaires : au lieu de débattre de la réduction des prestations de retraite, il serait bien plus judicieux de réfléchir à la manière de les étendre. »
En Belgique, une victoire du mouvement social français serait un signal très fort pour notre ministre de la Santé, Frank Vandenbroucke (Vooruit) et le Premier ministre Alexander De Croo (Open Vld) qui eux aussi veulent revenir prochainement à la charge contre notre système de pension.
Reculer l’âge légal de la pension : c’est non !
Travailler deux ans de plus, c’est hors de question. Dans un front commun solide comme on l’a rarement vu, les huit principales organisations syndicales françaises l’ont martelé dès l’annonce officielle de la réforme au début du mois de janvier 2023. Et ce n’est pas le passage en force du gouvernement, via le très impopulaire et autoritaire 49-3 – article de la constitution française qui permet d’approuver des lois en évitant le vote du parlement – qui va les faire changer d’avis. Que du contraire, elles appellent à une nouvelle journée d’actions pour ce jeudi 23 mars. D’autres suivront certainement.
Une réforme indispensable ? Vraiment ?
Le gouvernement de la Première ministre Elisabeth Borne ne cesse de répéter que la réforme est indispensable pour garantir la viabilité du système des retraites. Qu’avec le vieillissement de la population, il faut travailler plus longtemps et ainsi assurer le paiement des pensions. Faux. S’il y a certes une perspective de déficit de 12 milliards d’euros à l’horizon 2030, celui-ci ne représenterait que 0,5 à 0,8 point de la richesse produite (PIB) seulement, selon le Conseil d’Orientation des Retraites.[1] Ce chiffre de 12 milliards est d’ailleurs bien modeste quand on le compare aux 157 milliards annuels que l’État français offre en subsides aux entreprises privées (souvent avec très peu de conditions). 12 milliards, c’est aussi le montant que l’on obtiendrait si l’on taxait les 42 milliardaires français à hauteur de 2 %, selon les calculs d’Oxfam publiés en janvier dernier.
Mais reculer l’âge de départ à la pension de deux ans, c’est aussi voler les deux meilleures années de la vie d’un pensionné, celles où l’on est en meilleure santé et où l’on peut profiter le plus de ses petits-enfants ou de s’engager dans une association. Reculer le départ en pension, c’est aussi aggraver les inégalités sociales. Aujourd’hui, un quart des travailleurs les plus pauvres, ceux qui justement réalisent les métiers les plus durs, meurent avant même d’avoir atteint l’âge de la retraite. Ils et elles auront cotisé toute leur vie pour... payer les pensions de travailleurs plus aisés, dont l’espérance de vie est plus longue.
Le choix idéologique de Macron et Borne est donc limpide. Ils veulent à tout prix épargner les riches, continuer à gaver les multinationales de subsides, et faire payer la facture par la classe travailleuse. Qu’importe s’ils s’épuisent ou se détruisent la santé à courir derrière un camion de poubelles ou à soulever des patients à longueur de journée.
Mobilisations inédites
Entre le 19 janvier et le 15 mars, huit journées de mobilisations de grande ampleur ont été organisées en front commun par les organisations syndicales, réunissant jusqu’à 3,5 millions de manifestants dans toute la France. Cela n’avait plus été vu dans le pays depuis 1995 (à l’époque contre le « plan Juppé », là aussi une réforme des retraites). Au cours de ces journées, il y a eu plus de 250 mobilisations à travers le pays : dans les grandes villes comme Paris, Lille ou Marseille, bien sûr, mais aussi dans de très nombreuses petites villes, moins habituées à voir défiler des cortèges de manifestants. Dans chacune d’elles, on retrouve le même esprit de lutte, d’optimisme, et de conviction que faire tomber la réforme est à portée de main.
Ces derniers soirs, les rassemblements et les blocages se sont enchaînés dans la foulée du passage en force du 49-3 et celle du rejet (à 9 voix près) de la motion de censure qui aurait pu faire tomber le gouvernement. Isolé comme jamais, minoritaire dans la rue comme au parlement, Macron refuse catégoriquement d’écouter la colère populaire, piétine les institutions démocratiques et s’enfonce dans un autoritarisme inquiétant. La répression s’intensifie. De nombreuses vidéos circulent sur les réseaux sociaux où l’on voit des policiers frapper violemment des manifestants, sans raison. Des journalistes se sont retrouvés en garde à vue, tout comme des syndicalistes. Des travailleurs sont réquisitionnés dans les raffineries ou dans les services de ramassage des ordures. Macron ne respecte plus ni le parlement, ni le droit de manifester, ni le droit d’informer, ni le droit de grève.
Un rapport de force qui peut tout changer
Mais la victoire est possible. Macron est fébrile et affaibli, et la classe travailleuse déterminée. Le rejet de la réforme est énorme. 71% des Françaises et Français y sont opposés. 90 % des actifs sont contre. 82 % des Français sont en désaccord avec l’utilisation du 49-3 pour faire passer la réforme des retraites. Plus de 2 Français sur 3 soutiennent le mouvement social. 56 % des Français soutiennent l’idée d’une grève reconductible pour accroître la pression sur le gouvernement. Et même au sein du camp de Macron, certains doutent. Les députés macronistes ont été menacés d’être expulsés de leur groupe parlementaire si jamais ils ne soutenaient pas la réforme... La preuve s’il en fallait que Macron ne contrôle même plus ses propres troupes.
Un leader syndical déclarait que le 49-3 n’était pas la fin du match, mais juste la fin de la première mi-temps. La deuxième commence avec de nouvelles mobilisations et de nouvelles grèves, notamment dans les secteurs stratégiques (SCNF, raffineries, etc.). Les caisses de grève se mettent sur pied pour soutenir les travailleurs dans la durée. En 2006, le mouvement social avait déjà fait retirer une loi préalablement adoptée par le gouvernement français. Pourquoi ne pas rééditer l’exploit en 2023 ?
Car, après avoir tout donné durant la crise du coronavirus, après avoir subi de plein fouet l’inflation et l’augmentation inédite de ses factures d’énergie, la classe travailleuse française refuse que ses droits soient à nouveau amputés. Elle sait qu’elle mérite le respect. Elle sait qu’elle peut compter sur la solidarité des travailleurs de toute l’Europe. Et elle sait que, si elle poursuit ses mobilisations et maintient son unité, la victoire est au bout du chemin.
[1]. Le COR est un service du Premier ministre. Il s'agit d’une structure pluraliste et permanente, associant des parlementaires, des représentants des partenaires sociaux, des experts et des représentants de l’État français.
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