Le Code Colau, la boussole éthique du PTB inspirée de la maire qui a divisé son salaire par quatre
« Impensable ! Populiste ! Et la valorisation du travail ? » De nombreux politiciens traditionnels ont ainsi réagi à la proposition du PTB de diviser par deux le salaire des bourgmestres des grandes villes. Une proposition qui vise l’intégrité, fondement pour tout retour aux sources d’une gauche conséquente. Tout comme l’a fait Ada Colau, la maire de Barcelone, qui, en entrant en fonction, a divisé son salaire… par quatre.
Ada Colau veut redonner la ville à ses habitants. Elle a affecté un peu plus de 27 millions à l’aménagement de logements sociaux
Notre présence dans les quartiers populaires, délaissés depuis longtemps par les autres partis politiques, fait notre force
Faire bouger les gens, les mobiliser, les amener à s’organiser, les sensibiliser sont les missions fondamentales de la nouvelle gauche du 21e siècle
Après plus d’un siècle de palabres consensuelles, il est à présent temps d’ouvrir les fenêtres. Et de parler clairement, sans détou
Dans son livre Au pays des profiteurs, Peter Mertens, président du PTB, explique le « code Colau », du nom de la maire de Barcelone, Ada Colau, qui gagne 2200 euros nets par mois, soit plus de quatre fois moins que son précécesseur. Ce ensemble de règles et de principes encouragent une manière de faire de la politique en écoutant, incluant et mobilisant les gens, avec des gardes-fous contre la corruption et les conflits d’intérêts, et où l’enrichissement personnel n’a pas sa place.
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Le code Colau
Au début 2014, une web-série a été tirée de mon livre Comment osent-ils ? Elle est constituée de courts documentaires que vous pouvez visionner en ligne. La série, traduite en cinq langues, a fait un tabac et a été récompensée du prix du jury au festival du film politique de Buenos Aires en mai 2015. « Un documentaire à l’expression esthétique particulièrement forte », loue le jury. Les jeunes loups du cinéma ont également reçu les félicitations du jury pour leur forte empathie, « amenant le spectateur à prendre part au débat politique et idéologique ».
Empathie. Par exemple avec la lutte contre les expulsions à Barcelone. « C’est une honte qu’on leur réclame 20 000 euros en plus de l’expulsion », s’insurge Ada Colau dans la web-série. Le film montre comment, à Barcelone, la Plate-forme des victimes des hypothèques, la PAH, empêche l’expulsion d’une famille que les banques veulent jeter à la rue. « La politique économique dicte les règles du jeu. Il est clair que ces règles sont injustes envers la majorité de la population. Face à une agression brutale, nous n’avons pas seulement le droit, mais aussi le devoir de désobéir à ces lois et à ces règles de jeu antidémocratiques », nous explique Ada Colau.
Durant la décennie néolibérale, l’Espagne n’en avait jamais assez. Les bénéfices devaient crever le plafond. Les tours, aéroports et immeubles devaient atteindre le ciel. Il fallait construire, que cela soit utile ou pas. Tout le secteur de la construction était dopé aux stéroïdes anabolisants, employant plus d’un tiers de la population active. Jusqu’à ce que la burbuja, la bulle immobilière, éclate en 2007. Le ciel s’est alors écroulé. Les appartements ne trouvaient plus preneurs, des centaines de milliers de personnes ont perdu leur emploi, ne pouvant dès lors plus rembourser leur hypothèque et de très nombreuses familles ont été expulsées de leur logement. Le compteur a atteint la barre des 400 000. Si ces familles perdent leur maison, elles doivent quand même continuer à rembourser aux banques leur dette résiduelle. Elles sont devenues des esclaves de la dette. Alors que 3,4 millions de biens immobiliers sont vides. C’est dans ce contexte qu’Ada Colau a créé la PAH, un groupe d’action qui défend, parfois physiquement, les logements pour éviter les expulsions par la mise en place d’un bouclier humain. Les résultats sont souvent au rendez-vous.
« Ce qui la rend si spéciale, c’est qu’elle est si normale »
En Espagne, vous pouvez déposer une initiative citoyenne au parlement si vous rassemblez un demi-million de signatures, ce qui n’est pas peu. La PAH a élaboré sa propre proposition de loi visant à mettre un terme aux expulsions et a récolté trois fois plus de signatures : 1,5 million.
Lors de la présentation de sa proposition de loi devant la commission parlementaire, il n’a pas fallu dix minutes à Ada Colau pour abandonner ses notes. C’est du fond du cœur et la voix chargée d’émotion qu’elle pointe du doigt l’orateur qui l’a précédée. Il s’agit de Javier Rodriguez Pellitero de l’Association bancaire espagnole, convoqué en tant qu’expert. « Cet homme n’est pas un expert. C’est un criminel et c’est ainsi que vous devez le traiter. À cause de ses pratiques, des gens sont expulsés de leur logement et se retrouvent endettés à vie. Cette situation provoque du stress et des maladies. Son expertise a mené des gens au suicide. » L’accusation d’Ada Colau résonne posément mais de manière cinglante au sein du parlement. « Ce sont les délégués des institutions financières qui ont causé le problème, qui ont ruiné l’économie de ce pays et vous continuez à les considérer comme des experts. » Le président de la chambre espagnole exige de Colau qu’elle présente ses excuses au banquier en chef. Elle secoue calmement la tête. No. Avoir osé dire la vérité au parlement lui vaut le profond respect de très nombreux Espagnols.
Quand Ada Colau a témoigné pour la web-série Comment osent-ils ?, nous n’imaginions pas qu’elle occuperait la mairie de Barcelone à peine un an plus tard. Mais, le 24 mai 2015, une situation jugée impensable en Espagne s’est produite : la liste des gauches unies, Barcelona en Comú, remporte les élections et Ada Colau est nommée maire de la ville. « Nous avons réalisé l’impossible. David a battu Goliath », exulte Colau, enthousiaste, ce soir-là. Le matin suivant, je reçois un appel de la radio. Mon opinion sur cette victoire ? Cette victoire est magnifique : de l’activisme de base à la mairie, un signe d’espoir, un vaccin contre le pessimisme. « Ada est vraie », m’ont dit les jeunes cinéastes de Docwerkers. « Ce n’est pas évident dans une Espagne corrompue jusqu’à la moelle, où les politiciens se cachent derrière des masques. » « Ce qui la rend si spéciale, c’est qu’elle est si normale », déclare très justement quelqu’un à la télévision.
Practice what you preach
Ada Colau veut redonner la ville à ses habitants. Elle a affecté un peu plus de 27 millions à l’aménagement de logements sociaux. Les banques qui conservent des logements vides se voient infliger une amende. Elle supprime les 4 millions d’euros de subsides du Grand Prix de Barcelone et consacre la somme aux repas scolaires destinés aux enfants les plus démunis. « Virez-nous si nous ne faisons pas ce que nous avons promis », dit-elle à ses électeurs, « mais vous devez aussi comprendre que nous n’allons pas tout pouvoir faire en un jour ».
Ada Colau a immédiatement saisi le taureau espagnol par les cornes. Une nouvelle politique, cela signifie un nouveau code éthique. Elle a donc instauré la tolérance zéro pour la corruption et une transparence totale. Elle fait examiner les contrats précédemment conclus par la Ville afin de voir si ceux-ci ne sont pas mêlés à des pratiques de dumping social. Il y a désormais de lourdes amendes pour les banques qui laissent vides des logements qu’elles ont saisis. La Ville a aussi mis sur pied un « bureau pour la transparence et la bonne gouvernance ». L’Oficina para la Transparencia y las Buenas Prácticas compte cinquante-six travailleurs chargés de faire en sorte que la gestion des fonds publics soit opérée de manière entièrement légale. Une « boîte aux lettres éthique », buzón ético en espagnol, est mise à la disposition des fonctionnaires et des habitants qui veulent mettre au jour des abus et la corruption. Il y a un nouveau code éthique strict pour tous les représentants des pouvoirs publics et pour les dirigeants des entreprises communales. La Ville ne peut plus non plus conclure de contrats avec des entreprises qui ont des filiales dans des paradis fiscaux.
En juin 2017, Peter Mertens a participé au sommet Fearless Cities, qui s'est tenu à Barcelone. L'occasion d'y rencontrer Ada Colau et d'autres politiciens et militants actifs au niveau local partout dans le monde pour mener une autre politique. Retrouvez ici ce qu'il en a retenu. |
Ada Colau a mis fin à la pratique des portes tournantes entre le monde politique et le monde de l’entreprise et elle a également limité la possibilité pour les politiciens d’être réélus. Pour elle, ce code n’est pas seulement une question de mots, mais aussi d’actes. Elle a décidé de réduire son propre salaire de 60 %. Elle gagne actuellement 2 200 euros nets par mois, un montant pour lequel pas mal de politiciens de notre pays ne sortent même pas de chez eux.
Au PTB, nous suivons le même code éthique que Colau : nos mandataires et cadres vivent d’un salaire moyen de travailleur. Prenons Ruddy Warnier, l’un de nos deux élus au Parlement wallon. Comme chauffagiste, il ne gagnait jamais plus de 1 500 euros par mois. Depuis qu’il a été élu, son salaire a explosé. « Mes seuls défraiements forfaitaires mensuels de 2 000 euros sont plus élevés que ce que je gagnais avant », dit-il en riant. Avec 5 820 euros nets, il reçoit près de quatre fois plus que son précédent salaire. Ruddy tient néanmoins à continuer à vivre avec un salaire moyen de travailleur et il verse le montant restant au parti. Le contraste avec ses collègues est grand. Ce qui pour l’un représente un « défraiement pour frais professionnels » est pour l’autre un revenu complet. L’écart entre les deux façons de faire de la politique devient très clair. Non, on ne peut obtenir de la crédibilité avec des discours de gauche et des actes de droite.
Si nous demandons une interdiction de cumul entre les mandats politiques et les mandats privés et un délai de viduité de cinq ans, c’est pour cette raison. Celui qui dénonce la corruption, critique l’enrichissement personnel et entend supprimer le consensus de Davos doit être droit dans ses bottes et être irréprochable lui-même. Practice what you preach, faites ce que vous dites, pas juste des mots, mais des actes. Cette intégrité est le fondement pour tout retour aux sources d’une gauche conséquente.
« Ils nous demanderont : qui êtes-vous ? Ne soyons pas arrogants au point de leur répondre que nous sommes “tout le monde”. Nous sommes les gens de la rue. Nous sommes des gens ordinaires. Nous sommes des gens simples qui parlent chaque jour avec leurs voisins et qui, contrairement aux politiciens de carrière, prennent chaque jour les transports en commun, travaillent dans des emplois précaires et voient les choses telles qu’elles sont », dit la maire de Barcelone. Non, elle ne se balade pas dans une voiture blindée avec chauffeur et n’a pas déménagé dans un appartement de luxe avec vue sur mer. Elle est restée celle qu’elle était. Elle continue à occuper un petit appartement modeste, à proximité de la cathédrale de la Sagrada Familia de Gaudí.
Sous les radars : une gauche généreuse
« C’est parce que vous débutez que vous suivez une boussole morale stricte », affirment les mauvaises langues. Pas du tout. Nous le faisons depuis longtemps. Plus d’un demi-siècle pour être précis. Si nous n’avions pas respecté ce code éthique, nous n’aurions jamais pu créer Médecine pour le Peuple. Quand la première maison médicale a ouvert ses portes à Hoboken en janvier 1971, l’Ordre des médecins a carrément tenté de faire interner son fondateur, Kris Merckx. Une médecine gratuite ? Folie, selon eux. Mais la persévérance paie. Un demi-siècle plus tard, les maisons médicales de Médecine pour le Peuple sont devenues un modèle de soins de première ligne de qualité. Médecine pour le Peuple existe bel et bien, comme une maison. En fait, onze maisons médicales, employant près de deux cents collaborateurs, entre médecins, infirmiers, assistants sociaux, psychologues, kinésithérapeutes, diététiciens et bénévoles permanents. Et aucun de ces médecins ou infirmiers n’est du type à s’en mettre plein les poches. Ils vivent d’un salaire moyen de travailleur, comme la nouvelle maire de Barcelone. Ailleurs, ils pourraient gagner beaucoup plus, mais ils n’adhèrent pas à cette « médecine du fric ». La médecine est un droit fondamental, selon eux. C’est cela la gauche généreuse, telle qu’elle doit être.
Notre présence dans les quartiers populaires, délaissés depuis longtemps par les autres partis politiques, fait notre force. Tendant une oreille attentive à ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas, nous voulons discuter avec les gens dans un langage compréhensible, à mille lieues de ce jargon de la rue de la Loi, qui pue à plein nez à dix kilomètres à la ronde. Nous ne promettons rien, mais essayons d’agir ensemble. Il n’est pas facile d’amener des gens à travailler ensemble pour réparer les radiateurs en panne des logements sociaux ou résoudre les problèmes d’humidité dans les couloirs. D’apprendre à ces personnes délaissées par la caste politique à ne pas écraser ceux qui éprouvent encore plus de difficultés qu’elles, mais à les tirer vers le haut de l’échelle sociale. Vous devez écouter pour comprendre pourquoi les gens ne veulent pas travailler plus longtemps, pour savoir ce qu’ils pensent de la crise du logement et des situations pénibles que connaît le secteur des soins de santé, pour entendre par vous-même les critiques cinglantes à l’égard de la chasse aux mandats et de la politique du self-service. Ce n’est pas quelque chose que vous pouvez remplacer par des sondages d’opinion hors de prix ou par des messages publicitaires imaginés par des sociétés de marketing hors de prix.
Rue-Parlement-rue
« Bonsoir tout le monde. Ce soir, je viens tenir une promesse. Ces dernières semaines, j’ai parcouru tout le pays. J’ai rencontré beaucoup de gens, dans des manifestations, des cafés, des familles. Et chaque fois, j’entendais ces mêmes mots : “Raoul, je voudrais que tu leur racontes. Explique à ces ministres ce que nous vivons.” J’ai donc pris note de ce que chacune de ces personnes m’a dit pendant mon périple à travers le pays et j’ai rassemblé leurs messages. »
Ces mots sont ceux de Raoul Hedebouw qui, en décembre 2014, veut faire entendre la voix des travailleurs au Parlement, alors que l’agitation sociale bat son plein. Il sort un petit cahier de la poche intérieure de sa veste : « J’ai consigné tous ces récits dans un petit cahier rouge, c’est moins cher qu’un cahier Atoma. Je les ai couchés sur papier pour pouvoir les rapporter ici, au Parlement. Monsieur le ministre, je pense que vous ne mesurez pas à quel point le débat s’est enraciné dans la société. Vous seriez étonné de l’éveil des consciences. » Le calme se fait dans l’hémicycle et Raoul commence à raconter les histoires, celle de Bea, 42 ans, d’Anvers, celle de Geoffrey, ouvrier à Caterpillar, celle de Johnny qui, chaque jour, manipule quatre à cinq tonnes de bagages à l’aéroport. Rue-Parlement-rue, telle est la devise de nos mandataires, qu’ils soient élus au niveau local ou fédéral. Nous voulons savoir ce qui se passe sur le terrain, dans tous les domaines. Car c’est là que tout commence. Comment intervenir sur les soins de santé si vous n’avez pas discuté avec de nombreuses personnes dans différents établissements de soins ? Comment inscrire de nouveaux problèmes à l’ordre du jour si vous vous enfermez dans les antichambres du pouvoir ? Impossible. Tout commence dans la rue, avant de prendre le chemin du Parlement. Ensuite, nous ramenons le débat dans la rue, par les rencontres populaires, les journaux, les bulletins d’information, mais aussi par Facebook, Twitter et notre propre chaîne YouTube. Les vidéos de Raoul comptabilisent des centaines de milliers de vues. Pour la première fois, les gens voient qu’une autre voix se fait entendre au Parlement.
Ce n’est pas un hasard si les nouveaux partis et figures de proue de la nouvelle gauche décomplexée sont issus de la base. Ils ne sont pas le fruit de décisions prises en congrès ou d’ergoteries politiques. Impossible de parler d’Ada Colau sans évoquer la lutte de la PAH contre les expulsions. Faire bouger les gens, les mobiliser, les amener à s’organiser, les sensibiliser sont les missions fondamentales de la nouvelle gauche du 21 e siècle. L’affairisme et le clientélisme de l’ancienne gauche et de l’ancienne droite ont réduit les électeurs à de simples « consommateurs » passifs des décisions politiques. Relation à sens unique, du sommet vers la base, et appel à venir noircir une petite case tous les quatre ans. Vous deviez simplement donner votre voix « pour la forme » et cela s’arrêtait là. Cette vision est dépassée. Le renouvellement vient de l’implication et de l’émancipation. Fini le sur-mesure pour les classes moyennes supérieures qui se portent déjà très bien et ont su se hisser dans la société, mais du sur-mesure pour la masse des personnes qui travaillent, ceux qui éprouvent d’énormes difficultés, les laissés-pour-compte, ceux qui ne parviennent pas à faire entendre leur voix. Et unir, car l’union fait la force.
Soupe aux tomates avec boulettes
« Il s’agit d’une révolte contre l’élite. Sous la crise européenne, gronde une énorme crise du système démocratique », écrit l’auteur néerlandais Geert Mak juste après le Brexit. Le malaise est profond. À raison. Du moins, si vous sortez de la cloche de verre parlementaire. Neuf ans après la crise, près d’une décennie perdue s’achève. L’encéphalogramme de la planète est plat. Avec des salaires moyens qui n’augmentent plus depuis des décennies. Avec des grandes entreprises qui font des bénéfices faramineux mais n’ont jamais payé aussi peu d’impôts. Avec des inégalités salariales comparables à celles gigantesques de la Belle Époque, à la fin du 19 e siècle. Avec une caste politique qui tweete depuis la Toscane que, finalement, les vacances, c’est surfait. Avec un mépris sans pareil pour le « peuple » qui ne comprend rien.
La gauche était autrefois le mégaphone de ce « peuple », la voix de ceux qui ne pouvaient faire entendre la leur, impitoyable à l’égard de l’establishment. Est-ce toujours le cas ? La nouvelle gauche se doit d’être extrêmement cinglante face au self-service de la caste politique et de l’étouffant consensus de Davos que partagent tous les partis. Vous savez : « la primauté au marché », « nous n’y pouvons pas grand’chose », encore moins de règles, moins de protection, plus de flexibilité, plus de commerce et une pensée encore plus fossilisée.
À la fin mai 2016, le quotidien Het Laatste Nieuws a brossé un portrait fouillé de « cool Raoul », comme l’a surnommé le journal. « Il faut écouter les craintes des gens. Et les prendre au sérieux. Ne pas penser : qui peut bien être encore contre la semaine des 45 heures de Kris Peeters ? Beaucoup de gens, en fait. Pour des raisons que les politiciens, même de gauche, ne parviennent plus à concevoir. Parce qu’ils ont perdu tout contact avec la réalité, quelque part en cours de route », raconte sans cesse Raoul.
Quand il intervient au Parlement pour relater des expériences vécues dans des quartiers populaires ou à un piquet de grève, les ricanements et moqueries vont bon train. Ah, les bas-fonds de la société, mais où donc Hedebouw va-t-il chercher tout cela. « Brouhaha », est-il indiqué dans les comptes rendus in extenso des séances plénières. On a l’impression d’avoir fait un bond dans le passé, comme si nous étions encore en 1894, quand, un 13 novembre, les 28 premiers élus socialistes ont fait leur entrée au Parlement. Ils étaient venus à pied et comptaient dans leurs rangs quatre mineurs, trois ouvriers du textile, un ancien souffleur de verre et un forgeron. Des socialistes purs et durs qui se servaient de la tribune parlementaire pour dénoncer sans fard l’intolérable situation sociale. Ils lisaient des lettres d’ouvriers du textile de Zele, de mineurs du Borinage. À l’époque déjà, un « brouhaha » s’élevait dans l’hémicycle. Non pas provoqué par les récits d’une exploitation odieuse, mais par les « détails écœurants » de ces récits. Quel langage intolérable ! Tous les députés étaient forcés de s’accoutumer à une nouvelle langue épurée, le jargon de la rue de la Loi.
Après plus d’un siècle de palabres consensuelles, il est à présent temps d’ouvrir les fenêtres. Et de parler clairement, sans détour. De manière convaincante et honnête, mais aussi accessible, dans un langage que chacun peut comprendre. C’est aussi cela la démocratisation. Tant pis si les costumes à rayures nous traitent de populistes, crient au manque d’éducation des électeurs et parlent de politique négative. Pourquoi devrions-nous laisser la critique de l’ordre établi aux Marine Le Pen et Geert Wilders ? Ce serait la pire chose à faire. Le feu doit brûler en nous, feel the Bern, nous devons être mus par un projet mobilisateur qui remettra le monde sur pied. Donc, s’il vous plaît, en plus d’une boussole éthique stricte, de l’intégrité, du travail à la base et du rue-Parlement-rue, la nouvelle gauche a besoin d’une bonne dose de grinta. La passion, l’acharnement, dire les choses telles qu’elles sont. Nous ne voulons pas d’une soupe froide, mais d’une soupe aux tomates avec des boulettes.