Le chiffrage des programmes du Bureau du Plan et le PTB
Le chiffrage du Bureau du Plan suscite pas mal de questions sur les mesures du PTB, qui a dénoncé le fait que plusieurs mesures phares n’ont pas pu être calculées et a critiqué la logique néolibérale de l’exercice : « Les partis qui veulent rompre le statu quo et proposer de nouvelles initiatives sont désavantagés. » Explications.
(Lire aussi « Le Bureau du Plan sur la Taxe des millionnaires : qu’en penser ? »)
Le PTB n’a-t-il pas introduit de mesures pour le pouvoir d’achat comme l’affirme certains médias?
Faux. La vérité, c’est que le Bureau du Plan a refusé de calculer des mesures phares de notre programme sur le pouvoir d’achat comme la remise en cause du blocage salarial (loi de 1996), ainsi que celle du blocage des prix de l'électricité. La fin du blocage salarial permettrait une hausse des salaires notamment pour les travailleurs des grandes entreprises et secteurs qui ont fait des bénéfices ces dernières années ce qui serait bon pour la consommation et pour l’économie.
En outre, les modèles employés par le Bureau du Plan considèrent que les propositions PTB de baisse de la TVA à 0 % sur l’alimentation, la suppression des accises sur lʼélectricité, la gratuité des consultations médicales, n’ont pas d’effet tangible sur le pouvoir d’achat. Il s’agit de mesures directes de l’ordre de trois milliards qui allègent la facture d’énergie, le ticket de caisse, l’accès aux soins. Mais ces mesures n’ont pas d’effet tangible pour les modèles du Bureau du Plan, alors qu’ils en ont pour les portefeuilles des ménages.
Le programme du PTB serait-il néfaste pour l’emploi et la croissance ?
Faux. Le chiffrage du Bureau du Plan considère que les milliards dégagés par un impôt sur la fortune proposé par le PTB ont un effet négatif sur l'économie, l’emploi et le revenu disponible. Le Bureau du Plan estime que la Taxe des millionnaires s’apparente à une réduction du revenu disponible total de l'ensemble de la population : un impôt de 4 milliards sur les 1 % les pluss riches aurait un effet négatif pour tous les ménages équivalent à 2 milliards, nous a-t-on expliqué.1
Cette situation serait alors négative pour la consommation et donc pour l'économie et l'emploi. Ce raisonnement – ainsi que le refus de calculer l’impact d’une hausse des salaires bruts – amène à ce que la croissance « prévue » par le Bureau du Plan si les mesures du PTB étaient appliquées ne serait que de 1 % en 2029 au lieu de 1,3 % et que même si le taux de chômage diminuerait (la pension est ramenée à 65 ans), la croissance de l’emploi serait moindre que prévue de 20 000 emplois.
L’hypothèse reprise par le Bureau fédéral du Plan se conforme à l'idée néolibérale de la théorie du ruissellement (idée selon laquelle la richesse ruisselle vers les revenus les plus bas lorsque les plus riches deviennent encore plus riches). D’après cette vision, un impôt au sommet aurait également un effet négatif sur tous les revenus, selon la même dynamique. Cette idée a justifié des décennies d’allègements fiscaux pour les plus riches et d'économies imposées aux citoyens ordinaires. Entre-temps, il a été prouvé que la théorie du ruissellement ne fonctionne absolument pas et que cela ne profite qu’aux plus riches. Cela a même incité des économistes comme Joseph Stiglitz, lauréat du prix Nobel d'économie, et Thomas Piketty à proposer un impôt sur la fortune pour endiguer la vague néolibérale.
A l’inverse les programmes du MR et du Vlaams Belang présentant les plus fortes baisses d’impôts de tous les programmes (tax-cut) surtout aux bénéfices des plus hauts revenus (voir graphiques) sont jugés par les modèles du Bureau du Plan comme ceux qui créeraient le plus d’emplois et la meilleure croissance d’ici 2029. Sachant que le VB comme le MR, selon les mêmes modèles, sont les partis qui creusent le plus le déficit de l’État (jusqu’à 7,6% du PIB). Il s’agit là clairement de modélisations économiques à l’avantage des tenants du cadre ultra-libéral.
Le Bureau du Plan est resté sourd aussi à la logique d’investissements publics que nous pourrions faire avec des milliards d'argent dormant activés par la Taxe des millionnaires : dans l'isolation massive de nos logements, dans le développement de nos transports publics ou dans la recherche et l'éducation. Il s'agit pourtant d'investissements productifs qui créent des emplois et de l'activité économique.
Le chiffrage du Bureau du Plan est-il neutre ?
Pas du tout. Les mesures non calculées car « systémiques » ou les modèles conçus pour les recettes habituelles des gouvernements (baisse d’impôts, économies dans la santé, etc.) et hostile aux solutions innovatrices comme la Taxe des millionnaires disent beaucoup sur la vision néolibérale de l'exercice de chiffrage des programmes imposé au Bureau du Plan. Et pourquoi il faut prendre les conclusions qui en sortent avec beaucoup de précaution et une bonne dose d’esprit critique. La méthodologie du chiffrage – et surtout son interprétation – est plus que discutable. Nous ne sommes pas les seuls à le dire. L’économiste et professeur d’économie à l’université d’Anvers Ive Marx faisait déjà remarquer en décembre dernier : « On peut se demander ce que ce chiffrage (du Bureau du Plan), même dans les meilleures circonstances, apporte. Il nous présente une fausse certitude alors qu'il n'y a tout simplement pas de certitude. D'une petite intervention plutôt technique telle qu'une augmentation du revenu d'intégration ou une extension du bonus à l’emploi, il est possible d'estimer l'impact budgétaire.
En revanche, ce qu'elle apporte en termes d'emplois et de croissance économique est beaucoup plus incertain, bien qu'un modèle puisse vous donner des indications.
De nombreuses propositions des partis ne peuvent pas être calculées à l'aide des modèles du Bureau du plan, aussi sophistiqués soient-ils. Pour autant que nous le sachions, car le Bureau du Plan n'est pas, dans ce domaine, un modèle de transparence. Un modèle mathématique aboutit toujours à quelque chose si on le torture assez longtemps, mais la fiabilité de ce résultat est sujette à caution. »2
Ce qui est inquiétant est que certains veulent enfermer le débat politique en exigeant que les programmes soient entièrement calculés par le Bureau du Plan, comme cela se passe aux Pays-Bas, dans le carcan austéritaire européen. Ainsi, un éditorialiste dit tout haut ce mercredi 8 mai ce que certains pensent tout bas : « Il manque à l'exercice du Bureau du Plan un cadre budgétaire imposé dans lequel les partis devaient faire leurs choix. Ce cadre est chose faite. L'Europe a récemment redéfini les normes budgétaires. La question de savoir si elles sont trop strictes peut être débattue, mais le fait est que les États membres ont validé ces règles de base. Et aucun parti ayant des ambitions de coalition n'y échappera après le 9 juin. »3
Si ce carcan devient l'alpha et l'oméga des budgets et du débat politique, nous ne sommes absolument pas d'accord.
Mesures partielles du PTB calculées par le Bureau du Plan
Mesures qui rapportent : 9 milliards
1. Taxe des millionnaires (2 % au-dessus de 5 millions, 3 % au-dessus de 10 millions) : 3,9 milliards
2. La fin de l’exonération de la taxation sur les plus-values sur actions (personnes et sociétés) : 3,7 milliards
3. La taxe sur les surprofits bancaires : 600 millions
4. Mesures envers Big Pharma : 650 millions
5. Mesures envers monde politique : suppression primes de départ et diminution de moitié de la dotation publique : 55 millions
Mesures pour les gens
1. Pour le pouvoir d’achat 2,9 milliards
par baisse de la TVA sur biens alimentaires : 2 milliards
par suppression de la hausse des accises sur gaz et électricité : 840 millions
remise en cause loi de blocage salarial : non calculé par Bureau du Plan
blocage du prix de l'électricité : non calculé par Bureau du Plan
2. Pension maintenue à 65 ans : mal calculé par Bureau du Plan
3. La gratuité des transports publics (bus, tram, métro) en Wallonie, Bruxelles et Flandre: 557 millions
4. La gratuité du généraliste : 147 millions
5. Rénovation tiers payant logement (120.000 en Flandre, 60.000 en Wallonie, 20.000 à Bruxelles par an) : 1 milliard
6. Investissements dans la recherche publique : 550 millions
Surplus : 1,7 milliard
1. Or, une taxe de 2 à 3 % sur ces fortunes n’apportera aucun changement radical au comportement de consommation ou aux investissements dans l’économie réelle des familles riches - ce qui a été démontré en France lors des 30 ans où un impôt sur la fortune (ISF) a existé, comme l’ont montré les travaux des professeurs Zucman et Piketty.
2. De Standaard, 12 décembre 2023
3. De Standaard, 8 mai 2024