« L’Arizona, un désert où presque rien ne pousse… sauf la résistance »
Attaques contre nos salaires, nos pensions, nos services publics, nos droits… Si les cinq partis de la future coalition Arizona ont cherché à garder leurs plans secrets avant les élections communales, cʼest quʼil y a une raison : lʼampleur de leur offensive devrait provoquer une résistance populaire. Une résistance qui commence déjà à émerger.
Bleu, jaune, orange et rouge. Le drapeau de lʼÉtat américain de lʼArizona rassemble les couleurs des cinq partis qui forment la future coalition fédérale : MR, Engagés, N-VA, CD&V et Vooruit. « L’Arizona est connu pour son immense désert dans lequel il n’y a pas grand chose qui pousse, à part des cactus, explique Benjamin Pestieau, responsable du département Monde du travail du PTB. Ce qui est moins connu, ce sont les luttes des mineurs qui ont marqué lʼhistoire de cet État du sud-ouest des États-Unis. Il y a beaucoup de mines de cuivre. En 1915, une grande grève a démarré dans trois villes de lʼÉtat. Les mineurs mexicains et américains nʼacceptaient pas la volonté des patrons de baisser leur salaire de 10 %, alors que le coût de la vie explosait. Lʼunité et la détermination des mineurs leur ont permis dʼarracher une augmentation salariale de… 60 %. Cette victoire a montré la force du mouvement ouvrier uni par-delà ses origines. Depuis, de nombreuses luttes ont marqué lʼArizona. » Cette histoire, le responsable de la nouvelle campagne du PTB, « Stop Arizona », compte bien sʼen servir pour montrer que oui, il est possible de gagner.
À quelques jours des élections communales, Solidaire, le magazine du PTB, a invité Benjamin Pestieau dans ses locaux pour expliquer le plan du parti de gauche.
Les partis veulent garder leurs futures mesures secrètes, mais une partie a fuité dans la « super note » écrite par le formateur Bart De Wever. Mais pour qui est-elle « super », cette note ?
Benjamin Pestieau. Cʼest Bart De Wever lui-même qui lʼappelle « super ». Mais elle ne prévoit rien de bon pour la classe travailleuse. Au contraire. Si De Wever et Georges-Louis Bouchez, par exemple, ont fait campagne pour les élections régionales et fédérales de juin dernier en promettant quʼils allaient récompenser le travail et les travailleurs, « ceux qui se lèvent tôt », cʼest lʼinverse. Cette « super note » est une attaque généralisée contre le monde du travail, contre les travailleurs, contre ceux qui travaillent dur, contre ceux qui exercent des métiers pénibles. Par contre, quand on voit les cris d’enthousiasme des fédérations patronales à la sortie de cette note, on peut comprendre assez rapidement au service de qui et pour qui elle est « super ». Les organisations patronales étaient même déçues que les négociations nʼaboutissent pas plus vite car la note prévoit des gains énormes… pour elles.
Dans la brochure que le PTB a publiée sur le contenu de la note Arizona, il a identifié six attaques. Quelles sont-elles ?
Benjamin Pestieau. Il y a une attaque contre les salaires des travailleurs, une attaque contre les pensions des travailleurs, une attaque contre le temps de travail des travailleurs, une attaque contre les travailleurs malades, une attaque contre les travailleuses et une attaque contre les organisations syndicales. Derrière chacune de ces attaques, il y a une vision de société. Cʼest très important de bien le comprendre.
Vous avez commencé en parlant d’une attaque contre nos salaires. Pourtant, comme vous l’avez dit, la droite a fait campagne en disant qu’ils allaient augmenter. Qu’en est-il ?
Benjamin Pestieau. Les partis de lʼArizona disent que nos salaires nets vont augmenter. Mais cette augmentation, si elle se confirme – ce qui est encore à voir –, serait de toute façon très faible et ne compenserait pas du tout ce quʼils comptent nous reprendre de lʼautre main. Car ce qui est clair, cʼest quʼils comptent nous faire (re)passer à la caisse : hausse de la TVA sur les produits de première nécessité, augmentation des accises sur le carburant…
Mais il y a plusieurs attaques contre nos salaires. Entre autres par la prolongation de loi de 1996 qui bloque nos salaires. Concrètement, elle donne le pouvoir au gouvernement d’interdire aux syndicats de négocier des augmentations de salaire. C’est unique au monde et la Belgique a été condamnée au niveau international pour cette loi. L’Arizona entend faire appliquer cette loi illégale les prochaines années encore. Deuxièmement, ils veulent attaquer l’indexation automatique des salaires en “lissant” l’index sur 12 mois. Il s’agit d’une nouvelle technique pour ralentir l’indexation de nos salaires. Si cette mesure avait été appliquée en 2024, un travailleur avec un salaire moyen aurait perdu plus de 330 euros par an rien qu’avec cette mesure.
Une mesure qui risque de mal passer chez de nombreux travailleurs aussi est la volonté de ne plus payer les heures supplémentaires, non ?
Benjamin Pestieau. Oui, ils veulent qu’on fasse des heures supplémentaires le dimanche et la nuit sans supplément de salaire. Normalement, quand on fait des heures supplémentaires, qu’on travaille la nuit, etc. on touche un sursalaire. Ce complément de salaire doit aussi dissuader les patrons de faire travailler les gens la nuit, le dimanche... car c’est mauvais pour la santé, pour la vie familiale et sociale. Et le fait – par exemple – qu’une grande partie d’entre nous sommes en congé – ensemble le dimanche permet d’avoir une vie sociale..., de s’engager, de former une collectivité. C’est à ça qu’ils veulent aussi s’attaquer. Ne plus payer les heures entre 20h et minuit comme des heures supplémentaires, pour toute une série de travailleurs et de travailleuses – les infirmières, les postiers, les éboueurs, etc. c’est beaucoup d’argent en moins. Idem pour le travail du dimanche… Ça pourrait se chiffrer à plusieurs centaines d’euros chaque mois pour certains.
Vous dites dans la brochure que nos salaires différés sont en danger aussi. Qu’en est-il exactement ?
Benjamin Pestieau. Pour augmenter légèrement le salaire net, ils veulent diminuer le salaire brut et les cotisations sociales, cʼest à dire notre salaire différé. C’est le salaire qu’on reçoit de manière différée sous forme de services publics (hôpitaux, écoles, transports, etc.) et d’allocations sociales (maladie, pension...). Diminuer ce salaire veut dire moins de services publics et moins de protection sociale. Cela nous amène à lʼattaque contre nos pensions. Ils diminuent les cotisations sociales qui les financent. Ensuite, ils nous baratinent quʼil nʼy a plus dʼargent pour les payer et quʼil faut donc travailler plus longtemps… alors que c’est eux qui ont vidé les caisses.
Le plan de l’Arizona est de reculer encore l’âge de la pension après 67 ans ?
Benjamin Pestieau. Officiellement non. Mais en élargissant encore plus le champ des flexi-jobs, l’objectif est de remettre au travail pour une bouchée de pain un maximum de pensionnés.
Pour le patronat et leurs représentants politiques, les périodes improductives de la vie sont à bannir, que ce soit les études, la pension, les congés... Le patronat est en recherche permanente de reconquérir ces temps de vie perdus pour eux. Selon eux, chaque temps de vie doit être immédiatement productif. Et donc c’est pour ça que le patronat essaie de s’attaquer aux congés, aux pensions. Pour le patronat, on vit pour travailler alors que pour le monde du travail, on travaille pour vivre. Dit autrement, pour le patronat, les êtres humains doivent être au service de leur économie alors que pour le monde du travail, l’économie doit être au service des êtres humains.
Outre la pension, c’est aussi le droit à la pension anticipée qui est remise en cause.
Benjamin Pestieau. Plus globalement, cʼest lʼaménagement des fins de carrière, les crédits-temps, etc. qui sont menacés par l’Arizona. Pour les gens qui nʼen peuvent plus, qui font un métier pénible, il sera impossible de tenir le coup. Le nombre de gens qui nous contactent déjà maintenant car ils ne savent plus travailler normalement car ils ont le corps cassé, qui ne supportent plus la pression au travail, est déjà très élevé. Avec ces mesures, ça va exploser. La pension anticipée va devenir quasi impossible à prendre vu quʼil faudra 35 années de carrière effectives. De ces années sont exclues toutes les périodes de crédit-temps, d’intérims, de chômage, etc. Cela concerne beaucoup de monde. Actuellement, sept femmes sur dix et quatre hommes sur dix nʼont pas ces 35 années effectives à 60 ans. On veut exclure 70 % des femmes et 40 % des hommes de la pension anticipée. C’est absurde, surtout quand on voit le nombre de jeunes qui aimeraient bosser mais à qui on ne propose aucun job.
La journée de 8h a plus de 100 ans. C’est une des premières revendications du monde ouvrier organisé. Aujourd’hui, la droite veut la supprimer. Sommes-nous face à un retour en arrière d’un siècle ?
Benjamin Pestieau. Le mouvement ouvrier sʼest toujours battu pour qu’il y ait des normes collectives de travail. Sa force réside dans sa collectivité. Quand un travailleur ou une travailleuse est seul face à son patron, il n’a pas le pouvoir. Le pouvoir qu’il a, c’est quand il arrive à se coaliser avec ses collègues et à faire face de manière collective à la force du patron. Une des premières luttes collectives était donc des normes collectives de temps de travail. Et ce sont ces normes collectives de temps de travail que l’Arizona veut mettre à la poubelle. Elle veut nous conduire à un système de négociation individuelle du temps de travail, que chacun négocie individuellement son temps de travail avec comme seule limite le fait de travailler 48h par semaine, calculée sur quatre mois. Ce qui ouvre la porte à des semaines de 52h, puis dʼautres un peu moins chargées. La seule norme collective de temps de travail qui resterait, c’est le fait qu’on a droit à 11 h d’interruption par journée de travail. Donc, à l’inverse, ça veut dire que les journées de 13 h de travail sont autorisées. Il n’y aurait plus aucun contrôle syndical. Donc oui, cʼest un grand retour en arrière.
Vous dites dans la brochure que l’Arizona ne veut en fait pas remettre les malades et les chômeurs au travail.
Benjamin Pestieau. Exact. Leur but est de sanctionner beaucoup plus rapidement les malades et les chômeurs. Mais pas pour les remettre au travail, leur but n’est pas qu’ils aillent mieux grâce à une activité professionnelle. Leur but est quʼun travailleur malade fasse concurrence à un travailleur actif en forçant les premiers à accepter nʼimporte quoi. Ce qui va tirer les salaires vers le bas, encore une fois. Les partis de lʼArizona n’arrêtent pas de répéter que le taux d’emploi est plus bas en Belgique que dans les pays voisins. Mais sʼil y a plus de gens qui sont au travail en Allemagne et aux Pays-Bas, on ne travaille pas plus là-bas quʼici. Pourquoi ? Là-bas, il y a beaucoup plus de contrats précaires, donc le temps de travail est divisé pour une large couche de travailleurs précarisés. En Belgique, le travail disponible est plus occupé par des travailleurs qui ont un contrat stable, un contrat à durée indéterminée à temps plein. C’est cette couche de travailleurs que lʼArizona veut réduire. Pour sanctionner, ils veulent contrôler les médecins qui délivrent des certificats. Le médecin de famille – qui connaît le travailleur et qui sait donc sʼil a besoin de repos, de soins ou pas – pourra être sanctionné aussi. À la chasse aux malades, lʼArizona veut ajouter une chasse aux médecins.
Vous avez aussi parlé d’une attaque spécifique contre les travailleuses. Quelle est-elle ?
Benjamin Pestieau. Compliquer l’accès à la pension minimum en devant justifier des années effectives de travail, c’est une attaque directe contre les travailleuses. Ce sont les femmes qui ont les carrières les moins régulières, parce qu’elles font un travail qui est invisibilisé dans notre société, un travail de soins. Que ce soit pour les parents ou les enfants, ce sont souvent elles qui doivent arrêter de travailler ou réduire leur temps de travail pour en prendre soin.
Enfin, les syndicats sont aussi dans le viseur de l’Arizona…
Benjamin Pestieau. LʼArizona veut attaquer les organisations syndicales par plein de leviers. Ils veulent donner une personnalité juridique aux organisations syndicales. Cela veut dire quʼen cas dʼincidents lors dʼune manifestation, dʼun piquet de grève, etc. les syndicats pourraient être attaqués en justice. Le but est de neutraliser les organisations syndicales par des procès qui leur coûtent du temps et de lʼargent. Les partis de lʼArizona veulent surtout donner aux patrons, et aux gouvernements, lʼoccasion de connaître lʼétat des finances des syndicats. Donc, de savoir sʼils sont capables de mener une grève et si oui, combien de temps ils peuvent tenir. LʼArizona veut aussi limiter la protection des délégués syndicaux. Quand un délégué est licencié, lʼemployeur doit payer un plus gros préavis. Cʼest une manière de protéger les délégués de licenciements abusifs, parce quʼils sont trop combatifs, quʼils sʼopposent efficacement aux dérives patronales, etc. Cette petite protection, lʼArizona veut la faire sauter.
Vous vous attendiez à une telle attaque globale ?
Benjamin Pestieau. Honnêtement, non. Tous ceux qui ont suivi ça pour les organisations progressistes nʼen revenaient pas. Cʼest du jamais vu depuis des dizaines et des dizaines d’années. Il faut bien être conscient que cʼest le fruit dʼune vision de société. Tout ce quʼon connaît aujourdʼhui en terme de protection sociale, de limitation de temps de travail, etc. vient des luttes du mouvement social. Au début du capitalisme, les ouvriers n’avaient pas de syndicats. Le patronat mettait en concurrence permanente les ouvriers les uns avec les autres au sein d’une usine, entre les usines, etc. Et le mouvement ouvrier s’est construit dans un long processus pour se regrouper, s’unifier et sʼorganiser collectivement parce que c’est là que réside son unique force. Et ce long processus s’est fait à travers les différentes luttes qui ont fait émerger des organisations syndicales, des droits à l’action syndicale, des normes collectives, etc. Et maintenant, l’Arizona veut briser tous les espaces collectifs que le monde du travail a construit, isoler au maximum la relation de travail. Ils veulent nous conduire à une société où on est seul, seul face à la maladie, seul face à la vieillesse, seul face à son patron.
Vous êtes responsable de la campagne « Stop Arizona ». Quels sont vos objectifs ?
Benjamin Pestieau. Arrêter ce projet de société froide et individualiste. Inverser cette « logique » qui veut réduire nos salaires, notre protection sociale, nos droits et notre capacité de lutter. Cette campagne est notre pierre à lʼédifice dʼun large mouvement qui se développe contre les plans de l’Arizona. Pour réussir à empêcher les plans de l’Arizona, on aura besoin de l’ensemble du mouvement social. Nous voulons nous adresser à toute la classe travailleuse, à la jeunesse, aux intellectuels, aux artistes qui ne veulent pas de cette société divisée et où chacun est isolé.
Mais vu la puissance de l’attaque, pensez-vous qu’il est possible de gagner ?
Benjamin Pestieau. On lʼa vu pendant le Covid. La classe travailleuse a un énorme pouvoir. Sans elle, il n’y a rien qui fonctionne. C’est l’enseignement des mineurs de lʼArizona de 1915. Le monde du travail a montré dans toute son histoire que quand il est uni, quand il se rassemble au delà de ses divisions d’origines, de genre, de religion, de spiritualité ou autre, il arrive à aller chercher des victoires qui semblaient impossibles.