L’accord sur la migration révèle une Europe sans cœur
Un milliard d’euros : c’est le montant du pactole que l’Europe s’est engagée à verser à la Tunisie dans un accord plus que discutable sur les migrations. En échange de cette manne, la Tunisie doit empêcher les migrants de tenter la traversée vers l’Europe. Ce qu’elle fait de manière radicale : les migrants sont déportés vers le désert où ils sont abandonnés à leur sort. Pour l’Europe, ce traitement ne constitue pas une raison pour annuler l’accord. La politique migratoire inhumaine de l’Europe est intolérable.
À la mi-juillet, le président tunisien Kaïs Saïed, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, le Premier ministre néerlandais Mark Rutte et la Première ministre italienne Giorgia Meloni ont tenu une conférence de presse commune à Tunis, la capitale de la Tunisie. Ils ont annoncé que l’Union européenne et la Tunisie avaient conclu un accord pour lutter contre la migration illégale vers l’Europe. En échange des investissements de l’Europe, la Tunisie, un des principaux pays de transit, surveillera mieux ses frontières.
Les dirigeants européens n’hésite pas à employer les grands mots. Rutte décrit un accord « essentiel pour mieux contrôler l’immigration illégale ». Von der Leyen déclare qu’il faut « agir contre les réseaux criminels de passeurs, car ils exploitent le désespoir des gens ».
Mais les organisations de défense des droits humains et des réfugiés ont immédiatement tiré la sonnette d’alarme. Il est en effet avéré que la Tunisie traite les migrants - et en particulier les personnes noires - de manière inhumaine. On sait que des êtres humains sont abandonnés à leur sort dans le désert à la frontière avec la Libye et l’Algérie. Et le président tunisien est également connu pour appeler ouvertement, depuis un certain temps, à la violence contre les migrants. Il est un fervent partisan de la « théorie du remplacement » et rend les migrants responsables de tout ce qui ne va pas dans son pays. Mais cela n’empêche en rien l’Europe d’annoncer à grands roulements de tambour son accord sur la migration avec la Tunisie et de justifier celui-ci.
Ce que fait également Nicole de Moor (CD&V), la secrétaire d’État belge à l’Asile et à la Migration, qui a elle aussi déclaré que c’était une bonne chose que l’Europe conclue des accords avec les pays qui entourent l’Union. Elle balaie les critiques concernant les violations des droits humains d’un revers de la main. Selon elle, c’est précisément par cet accord et les investissements qui vont de pair avec celui-ci que la situation pourra être améliorée.
Un « non » ferme et résolu à cette politique
À peine neuf jours plus tard, une photo macabre a fait le tour du monde. On y voit les cadavres d’une mère et de son enfant, morts de faim et de soif dans le désert. La Tunisie aurait déporté au moins 1 200 migrants dans le désert, les y abandonnant sans eau et sans nourriture, et cela pendant que se tenaient les négociations de l’accord sur la migration. La maman et son enfant ne sont pas les seuls à y avoir laissé leur vie. On compte au total 36 morts, et 800 personnes sont portées disparues.
Sofie Merckx, notre cheffe de groupe à la Chambre, réagit : « C’est donc ça, l'accord européen sur la migration ? Il faut gérer ça autrement et de manière plus humaine... Cela fait des semaines que la Tunisie déporte des personnes africaines dans le désert à la frontière avec la Libye. L'Union européenne a conclu un accord avec le président tunisien : en échange d'un milliard d'euros, il doit veiller à ce que plus personne ne monte à bord de bateaux pour aller vers l'Union européenne. Mais l'Europe se préoccupe moins de la manière dont il s'y prend. Pourtant, les dirigeants politiques savaient pertinemment bien avec qui ils négociaient. Le président Saïed est connu pour ses discours racistes et xénophobes, il a appelé à la violence et, un jour avant la signature de l’accord, les déportations faisaient l’objet de nombreux rapports. Avant de signer de tels accords, l'Union européenne doit garantir le respect des droits humains. Déporter des êtres humains, les laisser mourir dans le désert est totalement incompréhensible et intolérable. Nous nous opposons résolument à une telle politique. »
L’Europe, y compris la Belgique, réagit de manière particulièrement cynique. « Ce n’est pas le moment de revenir sur l’accord avec la Tunisie », entend-on. C’est également l’avis de la secrétaire d’État Nicole de Moor. Elle préférerait qu’il n’y ait plus de morts, mais elle continue à maintenir que cet accord sera favorable à la démocratie et au respect des droits humains en Tunisie.
Une politique humaine est possible
L’accord sur la migration avec la Tunisie révèle une Europe sans cœur et hypocrite. Il s'agit d'une nouvelle étape dans une politique dont le seul objectif est de maintenir le plus grand nombre de personnes hors de l'Europe, quel qu'en soit le coût humain. Auparavant, il y a déjà eu des accords similaires avec la Turquie et la Libye, des refoulements illégaux et les dures méthodes d’intervention de Frontex, l'agence européenne qui surveille les frontières extérieures.
L'argument récurrent en faveur de cette politique inhumaine est la lutte contre les passeurs. Mais en attendant, il est plus qu'évident qu'ériger des murs et refouler les réfugiés à la manière forte n'est pas une solution. Bien au contraire. « Tant que l'Union européenne continuera à fermer ses frontières extérieures et n'ouvrira pas de voies d'entrée sûres, les personnes qui fuient leur pays n’auront d'autre choix que d'emprunter des routes migratoires irrégulières. Or celles-ci sont précisément le terrain de jeu des passeurs, dont le modèle repose sur l'absence de voies d'accès sûres. » C’est ce qu’écrit l’association d’aide aux réfugiés Vluchtelingenwerk Vlaanderen.
L'Europe doit cesser de confier la gestion des flux migratoires à des partenaires douteux comme la Tunisie. Tant qu'il n'y aura pas de garanties fermes que ces partenaires traitent les réfugiés de manière digne et humaine, aucun accord ne pourra être conclu. L’accord avec la Tunisie doit donc être immédiatement annulé. Les refoulements illégaux ne peuvent pas non plus être tolérés.
Il faut travailler sur des voies de migration légales et sûres ; c'est le seul moyen de contrer le modèle des passeurs. De plus, l'Europe doit réellement investir dans l'accueil et la protection humaine dans les régions d'origine.
Si l'Europe veut que les gens ne prennent plus le risque de traverser la mer, elle doit aussi contribuer à faire en sorte qu'il n'y ait pas de raison de le faire. Elle doit donc mettre fin aux ingérences politiques, économiques et militaires néfastes. Les pays du Sud global doivent recevoir tout le soutien nécessaire pour se développer en des sociétés où les gens peuvent vivre en sécurité et prospérer, sans être contraints de fuir la guerre, la violence ou l’absence de perspectives.