La violence envers les femmes, une question de sécurité nationale
Aurélie et Jill étaient deux jeunes femmes. Elles avaient une vie, des passions, des amours, des projets. Mais elles sont devenues les numéros 20 et 21 d'une sinistre liste. Elles ont toutes deux été tuées par leur ex-partenaire dans la même semaine. Cette année, en Belgique, il y a déjà eu 21 féminicides, des meurtres de femmes tuées parce qu'elles sont des femmes. Il est temps que la violence envers les femmes figure en haut de l'agenda politique, et c'est pour cela que nous manifesterons le 24 novembre prochain.
Le féminicide, ou meurtre d'une femme en raison de son identité de femme, est une manifestation extrême de la violence exercée contre les femmes. Ce problème a hélas une grande ampleur dans le monde entier. Et également dans notre pays. Pourtant, le débat politique reste particulièrement tiède sur ce thème, alors que celui-ci devrait faire partie des top-priorités. En Espagne et en France, les femmes ont réussi à faire placer ce thème tout en haut de l'agenda politique, grâce à une forte mobilisation d'en bas. En Belgique aussi, nous voulons descendre massivement dans la rue le 24 novembre pour faire en sorte que la violence contre les femmes soit placée à l'agenda politique. Toutes les infos sont à lire ici.
Karen Celis, professeure de sciences politiques à la VUB, résumait ainsi l'importance de lutter contre la violence envers les femmes dans l'émission de la VRT De Afspraak : « Il s'agit d'une affaire de sécurité nationale. L'ampleur de ce type de violence est énorme. En tant que société, nous devons prendre cela très au sérieux. » Elle a fustigé le manque de politique structurelle, alors que les moyens existent. Il faut juste que les décideurs politiques trouvent la question suffisamment importante pour y investir.
Il est important que tout le monde prenne réellement conscience du problème. La violence exercée contre les femmes parce qu'elles sont des femmes se produit extrêmement souvent et est profondément enracinée dans notre société. Pour en donner une idée : on enregistre chaque année 150 tentatives de meurtres et plus de 66 000 viols ; et une travailleuse sur quatre est confrontée à des comportements abusifs sur son lieu de travail. Cependant, rien ne bouge au niveau politique. Le Conseil supérieur de la justice a même lui aussi critiqué la Belgique pour son score tout à fait insuffisant en matière de lutte contre la violence envers les femmes.
Police, justice et aide aux victimes manquent de personnel, de moyens et de la formation nécessaire
L'absence de condamnation en matière de violence envers les femmes a de grandes conséquences. Seul un nombre réduit de victimes portent plainte. Beaucoup de femmes craignent en effet de ne pas être crues. La police et la justice sont encore souvent insuffisamment formées pour accueillir les femmes victimes de violence ou ne savent pas évaluer l'urgence du problème. Souvent, les procédures ne sont pas appropriées à ces plaintes. Dans certains commissariats de police, les femmes doivent aller porter plainte jusqu'à quatre reprises avant que la police dresse enfin un procès-verbal. En outre, plus de 65 % des affaires sont classées sans suite et les autres traînent parce que qu'elles ne constituent « pas une priorité ». Il règne une grande impunité en Belgique quand il s'agit de ce genre de faits de violence. La police, la justice et l'aide aux victime manquent tous de personnel, de moyens et de la formation nécessaire.
La plupart des partis politiques s'en tiennent à de belles paroles. Ces dernières années, l'Institut pour l'égalité des femmes et des hommes (IEFH) a en effet dû subir plusieurs mesures d'économies. Sofie Merckx, députée fédérale PTB, est récemment intervenue au Parlement pour dénoncer fermement cette situation. Depuis 2015, le gouvernement a imposé à l'IEFH plus de 21 % de coupes dans son budget ! Cet institut a ainsi dû se séparer de cinq membres de son personnel depuis la dernière réforme de l'État. C'est pourtant là un organe crucial pour élaborer des plans structurels de lutte contre la violence envers les femmes à tous les niveaux de la société. Cette mission, déjà difficile en soi, est donc censée être remplie avec de moins en moins de moyens. Il est clair que lorsqu'on détermine les priorités, la violence contre les femmes n'en fait pas partie.
Il y a du pain sur la planche
Nous voulons que la politique aille bien plus loin que juste quelques mesures symboliques. Cela n'a pas de sens de mettre uniquement l'accent sur quelques formes spécifiques de violence liée au genre. Il faut une approche globale, un véritable plan d'action. Maria Vindevoghel, députée fédérale PTB, à interpellé la Chambre à ce sujet : « Nous pouvons nous inspirer de l'Espagne, où il existe aujourd'hui un plan d'action comprenant plus de 200 mesures et disposant d'un budget d'1 milliard d'euros pour combattre ces violences. Et c'est un succès : le nombre de victimes baisse. »
Outre cela, plusieurs mesures peuvent également être prises. La reconnaissance du féminicide en tant que crime, par exemple. Inscrire le féminicide dans la loi confère à celui-ci importance et reconnaissance. Par ailleurs, nous avons besoin de personnel adéquatement formé au sein de la police, de la justice et des services d'accueil aux victimes. Cela peut faire baisser le seuil des obstacles au dépôt de plainte. Les plaintes sont alors mieux suivies et l'impunité est diminuée.
De grands manques sont également à déplorer dans l'accueil et l'aide aux victimes. Margot Van Landghem est psychologue spécialisée dans le traumatisme. Lors du lancement de l'ASBL Punt, Centrum over sexueel grensoverschrijdend gedrag (centre sur les comportements sexuels abusifs), elle a souligné les moyens ridiculement bas octroyés aux soins de santé mentale. Ce type de soins de santé est pourtant indispensable pour aider correctement les victimes d'actes de violence sexuelle à surmonter leur traumatisme, mais aussi pour travailler avec les auteurs des violences, afin qu'après leur peine, ils puissent modifier leur comportement.
Toutes ces bonnes mesures ne pourront bien sûr voir le jour tant que le monde politique ne considérera pas la violence envers les femmes comme une priorité. Et, pour cela, nous devons nous-mêmes massivement mettre la pression sur nos gouvernements. C'est ce que prouvent des pays comme l'Espagne et la France. En France, cette année, déjà 130 femmes ont été assassinées. Dans tout le pays, les femmes se sont fortement fait entendre. Dans les rues de Paris, elles ont organisé un « die-in », une action où les femmes se sont laissé tomber par terre et ont fait comme si elles étaient mortes. Le gouvernement français a libéré immédiatement 5 millions pour investir dans des moyens et élaborer un plan d'action.
En Espagne, le mouvement de lutte contre la violence faite aux femmes est bien organisé depuis des années et il mobilise des dizaines de milliers de femmes à chaque fois que se produit un fait de violence ou lorsque les intérêts d'une victime ne sont pas respectés. En Espagne, ces années de mobilisation ont débouché sur un plan d'action qui porte des fruits.
C'est pourquoi, en Belgique, nous devons faire de la manifestation nationale du 24 novembre à Bruxelles un succès. C'est le moment par excellence de clamer la haute urgence d'agir contre la violence envers les femmes. Ce n'est que par la mobilisation que l'on pourra enfin obtenir des mesures véritables et rapides pour combattre ce problème.