La victoire de Trump est d'abord la défaite de Harris
Donald Trump va redevenir président des États-Unis. Sa victoire est celle des milliardaires des États-Unis, qui ont injecté des centaines de millions de dollars dans sa campagne. C'est également la défaite d'un parti démocrate qui n'offre plus aucune perspective aux jeunes et à la classe travailleuse. L'élection de Trump annonce une nouvelle phase d'autoritarisme aux États-Unis et de tensions dans le monde entier. Mais il y a de l'espoir : une nouvelle génération de militants est prête à mener la résistance.
La victoire de Donald Trump est la victoire des grandes fortunes. Les États-Unis possèdent une longue tradition de multinationales et de riches qui sponsorisent la campagne électorale des candidats – des deux camps – pour défendre leurs intérêts une fois leur candidat élu. Au cours de cette campagne, 150 milliardaires ont dépensé ensemble près de 700 millions de dollars pour influencer les élections. La grande majorité de cette somme est allée à Donald Trump. De nombreux milliardaires de droite ont jeté leur argent dans la mêlée, mais aussi les rédactions de leurs groupes de médias ou les algorithmes de leurs plateformes de réseaux sociaux. Tout cela pour que leur confrère milliardaire Donald Trump retourne à la Maison Blanche.
Donald Trump est passé maître dans l'art de la tromperie et du mensonge. Il l'a encore prouvé lors de cette campagne. Il se présente comme le défenseur des Américains ordinaires, alors qu'il est le milliardaire qui vole le peuple pour donner aux riches. Il prétend vouloir assurer la paix, mais il prépare une guerre totale contre l'Iran et flirte avec une guerre mondiale contre la Chine. Il sème des fake news sur la façon dont ses adversaires essaient de voler l'élection, alors qu’il annonce déjà qu'il dirigera le pays comme un dictateur.
Le programme de Trump est truffé de mesures antisociales, contre les intérêts des travailleurs des États-Unis, mais il n'en a pas dit un mot pendant la campagne. Il préconise des réductions d'impôts pour les ultra-riches, financées par des coupes sombres dans les dépenses sociales pour les plus vulnérables. Il souhaite une réduction des contrôles sociaux et de la réglementation des grandes entreprises, afin qu'elles n'aient plus de comptes à rendre à personne. Il veut également restreindre les syndicats et limiter le droit de grève et de négociations collectives. Sans parler d’une nouvelle escalade des hostilités envers la Chine, dans l'espoir d'éliminer les concurrents chinois émergents par des moyens brutaux.
Les démocrates ont repoussé les jeunes et la classe travailleuse
Parallèlement, force est de constater que Kamala Harris et consorts ont échoué sur toute la ligne. Les démocrates perdent dans les sept États-clés, les États où les deux partis sont au coude à coude et qui sont déterminants pour la victoire. Ils perdent également le « vote populaire », c'est-à-dire le nombre total de voix dans l’ensemble des États.
Il suffit de considérer ce « vote populaire » pour comprendre que si Trump gagne, c’est principalement parce que Harris perd lourdement. Tous les votes n'ont pas encore été comptés, mais il semble que Trump obtiendra autant de voix, voire un peu moins, qu'en 2020, lorsqu'il avait perdu face à Joe Biden. Alors que les démocrates pourraient avoir perdu plus de 10 millions d'électeurs. Le recul est particulièrement marqué chez les jeunes et dans les zones urbaines.1 Cela indique un niveau élevé de méfiance à l'égard du parti démocrate, et son incapacité à mobiliser une grande partie de la classe travailleuse et de la jeunesse.
C’est pourquoi le pouvoir d'achat qui constituait la première préoccupation des électeurs. Mais le message des démocrates était le suivant : notre politique fonctionne, l'économie se porte bien.
Il y a quatre ans, Joe Biden était parvenu à rassembler un nombre record d'électeurs contre Trump. Pour ce faire, il avait notamment dû faire un certain nombre de promesses électorales en guise de concession aux partisans de Bernie Sanders, le sénateur indépendant de gauche qui avait obtenu le soutien de nombreux électeurs lors des primaires. Mais sous la présidence de Biden, la justice économique et le progrès social promis n'ont pas été au rendez-vous.
Des changements fondamentaux tels qu’une augmentation du salaire minimum et des soins de santé accessibles n’ont pas eu lieu. L’inflation galopante de ces dernières années a accéléré l’augmentation du coût de la vie. Le coût du logement et de la nourriture a augmenté d'au moins 25 %. Dans le même temps, la croissance des salaires a connu une forte baisse, surtout pour les emplois à faible revenu.2 C’est pourquoi le pouvoir d'achat (économie) qui constituait la première préoccupation des électeurs. Mais le message des démocrates était le suivant : notre politique fonctionne, l'économie se porte bien. L'économie croît, c’est vrai, mais tout le monde est loin d'en profiter. Au final, 90 % des électeurs mécontents de la situation économique ont voté pour Trump. Les républicains ont également obtenu de meilleurs résultats parmi les travailleurs sans diplôme.
« Il ne faut pas s'étonner qu'un parti démocrate qui a abandonné la classe travailleuse se retrouve lui-même abandonné par celle-ci », a vivement réagi Bernie Sanders. Il souligne que cette fois-ci, en plus de nombreux travailleurs blancs, de nombreux travailleurs latinos et noirs ont également voté pour Trump pour cette raison. « Alors que les dirigeants démocrates défendent le statu quo, le peuple des États-Unis est en colère et aspire au changement. »
La guerre à Gaza a également changé la donne. L’année dernière, Biden et Harris ont accordé une aide militaire record à Israël, se rendant ainsi complices du génocide.
Un mouvement de protestation d'une ampleur historique, principalement tiré par la jeunesse, n'a pas réussi à convaincre Kamala Harris de retirer son soutien inconditionnel à Israël. En réponse, les militants ont appelé à ne voter ni pour Trump ni pour Harris, dans l'esprit du mouvement anti-guerre du Vietnam qui a boycotté les élections dans les années 1960.
Cet appel a été largement entendu, en particulier dans des États-clés comme le Michigan et le Wisconsin, où vit une importante communauté arabo-américaine. Dans la ville de Dearborn, dans le Michigan, où Biden avait obtenu trois fois plus de voix que Trump il y a quatre ans, Harris arrive aujourd’hui en deuxième position avec seulement 28 % des suffrages, alors que la candidate pro-palestinienne du Parti vert, Jill Stein, obtient un résultat inédit avec 22 % des votes.
Trump a habilement joué sur le fait que de nombreux Américains en ont assez des « guerres sans fin ». Harris, quant à elle, n'était porteuse d’aucun message de paix. Lors de son discours à la convention nationale du parti démocrate, elle a même déclaré : « En tant que commandante en chef, je veillerai à ce que les États-Unis disposent toujours de la force de frappe la plus puissante et la plus meurtrière au monde. »3
Avec leurs politiques néolibérales qui ne se soucient pas des travailleurs en difficulté, leur politique étrangère impérialiste et leur campagne qui n'a offert aucune perspective de changement, les démocrates ont organisé leur propre défaite.
Kamala Harris a choisi de ne pas axer sa campagne sur le discours de l'aile gauche du parti démocrate et celui des syndicats, alors que l'United Auto Workers (UAW) en particulier s'est fortement mobilisé contre Trump avec un récit de classe clair.
Au contraire : comme Hillary Clinton il y a huit ans, elle s'est entièrement concentrée sur le centre, présentant uniquement un discours contre Trump, sans message fédérateur propre.
Lors de ses dernières semaines de campagne, Harris a accordé un rôle plus important à des républicains dits « modérés » comme Liz Cheney (la fille de Dick Cheney, ancien ministre et vice-président sous Bush père et fils et coresponsable de deux guerres en Irak) qu'à des hommes politiques de gauche comme Bernie Sanders ou à des syndicalistes combatifs comme Shawn Fain (UAW).
Ainsi, l'élection présidentielle n'a pas consisté à choisir entre deux programmes ou deux visions : le scrutin s’est limité à la question de savoir qui devait remplir le rôle de président.
Avec leurs politiques néolibérales qui ne se soucient pas des travailleurs en difficulté, leur politique étrangère impérialiste et leur campagne qui n'a offert aucune perspective de changement, les démocrates ont organisé leur propre défaite.
Trump 2.0, une menace majeure pour les droits démocratiques
Trump a bénéficié du soutien des milliardaires, des grandes entreprises technologiques de la Silicon Valley et des compagnies pétrolières du Texas. Ils souhaitent encore plus ardemment placer le gouvernement sous leur contrôle autoritaire qu’auparavant.
Elon Musk, l'homme le plus riche du monde et propriétaire de Tesla (automobile), SpaceX (aérospatiale) et X (réseau social), a installé son propre quartier général de campagne en Pennsylvanie, l’État-clé le plus important, où il a notamment distribué de l'argent aux électeurs qui se sont inscrits pour voter pour Trump.
Le changement politique qui s’est opéré dans la Silicon Valley pourrait déclencher beaucoup de choses. Ces milliardaires influents contrôlent des technologies et des plateformes stratégiques qui déterminent notamment la manière dont l’actualité nous parvient.
« Le fait que l'homme le plus riche de la planète se lance dans la bataille avec une telle ferveur fait naturellement bouger les lignes, écrit Ruud Goossens dans De Standaard. Cette campagne peut être qualifiée sans risque de fête ploutocratique.4 Musk a complètement transformé son empire des réseaux sociaux pour aider à porter Trump au pouvoir. »
Musk a également diffusé un entretien d'une heure avec Trump en direct sur X, au cours duquel ce dernier a notamment déclaré que les travailleurs qui faisaient grève méritaient d’être licenciés.
Peter Thiel, l'un des pionniers de la vague d'extrême droite dans la Silicon Valley et ancien partenaire commercial d'Elon Musk chez Paypal, a financé la campagne du colistier de Trump, J.D. Vance. De nombreux entrepreneurs de la Big Tech ont suivi son exemple ces derniers mois en rejoignant le camp républicain.
Jeff Bezos (Amazon), n'est pas allé aussi loin, mais il a ordonné à son journal, le Washington Post, de retirer une déclaration de soutien à Kamala Harris.
Le changement politique qui s’est opéré dans la Silicon Valley pourrait déclencher beaucoup de choses. Ces milliardaires influents contrôlent des technologies et des plateformes stratégiques qui déterminent notamment la manière dont l’actualité nous parvient.
Leur objectif premier est d'éliminer leurs concurrents émergents chinois, et pour cela, ils comptent sur Trump.
Mais Trump leur est également très utile au niveau national. Peter Thiel déclarait il y a 15 ans que capitalisme et démocratie n’étaient plus conciliables. Pour protéger son capital, il choisit de démanteler les droits et la participation. Selon Thiel et consorts, un dirigeant fort non soumis à la séparation des pouvoirs ou au contrôle démocratique serait bien mieux pour servir les riches oligarques. Grâce à Trump, ils peuvent limiter les syndicats, financer des réductions d'impôts pour les plus riches via des coupes sombres dans les dépenses sociales (Musk y veillera personnellement), faire reculer la réglementation sociale et les lois environnementales, et réduire le contrôle sur les éventuelles pratiques anticoncurrentielles ou abus de pouvoir.
Alors que l’austérité et l’atteinte à la démocratie affectent l'ensemble de la population, les attaques ciblées contre le droit à l'avortement ou la déportation massive des travailleurs migrants sans papiers servent à diviser et à monter les gens les uns contre les autres.
La droite étasunienne se prépare à introduire une forme d'État autoritaire. Le groupe de réflexion de droite The Heritage Foundation a rédigé une feuille de route pour le précédent mandat de Trump, dont les deux tiers ont été mis en œuvre.
Cette fois, le groupe de réflexion a attiré l'attention avec le Projet 2025, un plan visant à éliminer les contre-pouvoirs démocratiques en 180 jours et à centraliser autant de pouvoirs que possible auprès du président. La feuille de route comprend notamment une grande purge des institutions publiques, via laquelle des dizaines de milliers de fonctionnaires seraient remplacés par des partisans loyaux de Trump.
Les syndicats seraient également fortement ciblés, voire interdits dans le secteur public. Le ministère de l'Éducation serait appelé à bannir des écoles et des bibliothèques les voix de gauche et les voix critiques à l’égard du système.
Une autre feuille de route du même groupe de réflexion, le Projet Esther, décrit comment le nouveau gouvernement peut non seulement réprimer le mouvement pro-palestinien et, de manière générale, mettre en œuvre des formes de répression plus radicales contre les mouvements de protestation de gauche et les syndicats.
Tout cela se déroulerait dans un contexte d'attaques sans précédent contre les droits des migrants, des femmes et des personnes de la communauté LGBTI+. Alors que l’austérité et l’atteinte à la démocratie affectent l'ensemble de la population, les attaques ciblées contre le droit à l'avortement ou la déportation massive des travailleurs migrants sans papiers servent à diviser et à monter les gens les uns contre les autres.
Une opportunité pour une Europe indépendante
Le retour de Trump oblige l'Europe à repenser sa position dans le monde. En effet, Trump est tout sauf la colombe de paix qu'il prétend être.
Ses plans pour mettre la Chine sous contrôle sont si radicaux et agressifs qu'il flirte avec une guerre mondiale.
Trump se présente comme le « meilleur ami » d'Israël et est proche du Premier ministre israélien d'extrême droite Benyamin Netanyahou depuis des années. Ensemble, Trump et Netanyahou prévoient de mettre en place une coalition régionale contre l'Iran, dirigée par Israël, dans le but ultime de déclencher une guerre totale.
Dans le même temps, avec Trump à la présidence, la pression exercée sur les États européens membres de l'Otan pour qu'ils supportent l'intégralité du coût financier de la guerre en Ukraine deviendra beaucoup plus forte. Trump serait donc libre d'intensifier l'escalade militaire avec la Chine.
On dit souvent de Trump qu'il est « pro-russe », mais en réalité, Trump veut la même chose que Biden et Harris : que l'Europe n'achète pas de gaz naturel russe mais américain, et que les pays européens de l'Otan augmentent leurs dépenses militaires pour contenir la Russie, laissant les États-Unis libres de se concentrer sur la Chine.
Continuer à suivre aveuglément ce que les États-Unis nous disent de faire n'apporterait à l'Europe que déclin industriel et inflation galopante. L'accord sur le gaz naturel liquéfié (GNL) que Joe Biden a négocié avec l'Union européenne a déjà rendu notre industrie dépendante du gaz de schiste américain, extrêmement cher et polluant. Avec le programme de subventions de la loi sur la réduction de l'inflation, les États-Unis achètent des investissements industriels stratégiques auparavant situés en Europe. Et désormais, pourrait s’ajouter à cela une guerre commerciale de Trump, qui a promis des droits de douane de 10 % sur toutes les importations en provenance d'Europe, et même de 60 % sur toutes celles en provenance de Chine.
Dans le même temps, avec Trump à la présidence, la pression exercée sur les États européens membres de l'Otan pour qu'ils supportent l'intégralité du coût financier de la guerre en Ukraine deviendra beaucoup plus forte. Trump serait donc libre d'intensifier l'escalade militaire avec la Chine, avec ou sans provocations à Taïwan. Les échanges de marchandises entre l'Union européenne et la Chine s'élèvent à près de 740 milliards d'euros par an. Tout conflit dans cette région aurait donc des conséquences immédiates et désastreuses en Europe. Sans parler du risque d'une troisième guerre mondiale.
Ces dernières années, les pays européens se sont laissés entraîner dans une logique de guerre froide, Washington apparaissant comme le chef de file d'un bloc pro-occidental dirigé contre la Chine et, par extension, contre tous les pays émergents du Sud global. Dans ce scénario, le seul avenir de l'Europe est celui d'un sous-fifre des États-Unis, tant sur le plan économique que géopolitique. « L'Europe ferait mieux de coopérer avec les nouvelles superpuissances économiques au lieu de toujours se raccrocher à Washington », a déclaré Peter Mertens lors d’un entretien sur son livre Mutinerie. Seule une position indépendante permettrait à l'Europe d'orienter sa propre trajectoire. Au lieu de nous enfermer dans des blocs, il est préférable d'établir un large éventail de relations fondées sur le dialogue et le partenariat, y compris avec le Sud global, avec les pays d'Asie, d'Afrique et d'Amérique latine.
Une Europe indépendante est totalement différente de l'appel à plus d'« autonomie européenne » lancé ici et là par les Georges-Louis Bouchez et les Theo Francken de ce monde, qui ne cachent pas leur admiration servile pour les États-Unis et qui veulent encore renforcer l'alliance entre l'Europe et les États-Unis. Lorsque le colistier et futur vice-président de Trump, J.D. Vance déclare que « le temps est venu pour l'Europe de voler de ses propres ailes », il veut dire que l'Europe devrait payer davantage pour rester dépendante des États-Unis. En effet, l'augmentation des dépenses militaires ne garantit en aucun cas une plus grande autonomie si la Belgique et d'autres pays européens restent sous l'autorité militaire étasunienne de l'Otan.
Il ne faut pas pleurnicher, mais riposter
Il y a huit ans, lorsque Trump est arrivé au pouvoir, une déclaration du légendaire leader syndical américain et auteur-compositeur-interprète Joe Hill est devenue le slogan officieux de la résistance sociale : Don’t mourne, organize! (« Ne pleurnichez pas, ripostez ! ») Le militantisme et la force organisationnelle de la gauche américaine n'ont fait que se renforcer depuis lors.
Une nouvelle génération de militants est apparue aux États-Unis. Les journaux les décrivent comme « jeunes et pro-syndicat ». Parmi eux, la jeune syndicaliste Nabretta Hardin a mis sur pied un syndicat chez Starbucks, et le charismatique Chris Smalls a fait de même chez Amazon. L'année dernière, les travailleurs de l'automobile, avec le syndicat UAW de Shawn Fain, ont mis à genoux les trois grands constructeurs GM, Ford et Stellantis. Récemment, les travailleurs de Boeing ont également remporté une grande victoire.
Et puis il y a la courageuse génération Palestine, qui ne s'est jamais laissé briser par la répression ou le chantage. Leur révolte contre le système bipartite pourrait même ouvrir la voie à une véritable alternative de gauche aux États-Unis.
1 Comparaison basée sur les sondages à la sortie des urnes de MSNBC. 2024 : https://www.nbcnews.com/politics/2024-elections/exit-polls 2020 : https://www.nbcnews.com/politics/2020-elections/exit-polls/
2 https://www.hiringlab.org/2024/09/19/september-2024-us-labor-market-update-posted-wage-growth-has-picked-up/