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La vérité sur l’accord avec Engie : les actionnaires peuvent dormir sur leurs deux oreilles, les contribuables paieront

Derrière les déclarations satisfaites des ministres se cache un hold-up à plusieurs milliards… sur notre dos. Il est temps de reprendre notre énergie en main. 

Samedi 1 juillet 2023

Le CEO d'Engie Thierry Saegeman, la ministre de l'Énergie Tinne Van der Straeten et le Premier ministre Alexander De Croo lors de la conférence de presse de présentation de l'accord entre Engie et le gouvernement belge.

Le CEO d'Engie Thierry Saegeman, la ministre de l'Énergie Tinne Van der Straeten et le Premier ministre Alexander De Croo lors de la conférence de presse de présentation de l'accord entre Engie et le gouvernement belge.

Belga

Notre service d’études a décortiqué l’accord passé entre le gouvernement et Engie. Verdict ? Derrière les déclarations satisfaites des ministres se cache un hold-up à plusieurs milliards… sur notre dos. Il est temps de changer de logique et de reprendre notre énergie en main. 

« La bourse applaudit le deal entre Engie et l’État belge ». Le titre du journal l’Écho résume à lui seul le contenu de l’accord signé ce jeudi 29 juin entre le gouvernement fédéral et Engie. 

L’accord a été qualifié de « plus grand hold-up de l’histoire de la Belgique » par Greenpeace et les organisations environnementales. Et pour cause : si ce deal ne nous garantit pas que nos lampes resteront allumées durant les prochains hivers, il assure par contre que nous payerons tous les coûts et incertitudes futurs et que la multinationale française encaissera tous les bénéfices. Il est temps de reprendre en main publique notre énergie pour arrêter ce jeu de dupes et faire payer Engie.

Un accord, deux objectifs

Le gouvernement Vivaldi a décidé en mars 2022 de négocier avec Engie la prolongation de dix ans de la durée de vie de deux réacteurs nucléaires, Doel 4 et Tihange 3 dont la fermeture était prévue en 2025.  Le manque d’investissements suffisants pour anticiper leur fermeture, prévue pourtant depuis vingt ans, faisait alors craindre pour notre approvisionnement en électricité durant les prochains hivers. Le gouvernement a donc entamé des négociations avec le propriétaire des centrales, la multinationale Engie.  

La multinationale française avait un double objectif avant d’accepter cette prolongation. Le premier, immédiat : ne pas devoir prendre en charge les coûts et risques liés aux travaux de rénovation des deux réacteurs. Car des mauvaises surprises sont possibles, comme on le voit aujourd’hui en France, où un tiers des réacteurs nucléaires sont à l’arrêt, suite à des retards dans l’entretien ou à la découverte de nouvelles failles et fragilités. Des arrêts qui coûtent des milliards à l’entreprise d’énergie EDF. 

Le second objectif, plus fondamental encore, était de ne pas devoir assumer le coût du stockage des déchets nucléaires générés par les centrales belges. Car il va falloir stocker ces déchets pendant des siècles et les technologies pour le faire restent en développement. Pour l’instant, on estime que démonter les deux centrales nucléaires belges et stocker les déchets coûtera 41 milliards d’euros. Et il y a toutes les chances pour que ce montant explose.

Jusqu’au jeudi 29 juin matin, c’était Engie qui était chargée d’alimenter un fonds pour financer ce démantèlement. Un fonds dont les montants étaient investis sur les marchés financiers. Engie y a déjà placé 8 milliards d’euros pour le démantèlement et 10,5 milliards pour le stockage.

Tous les trois ans et pendant encore plusieurs décennies, une structure publique, la commission des provisions nucléaires, était chargée de recalculer le montant nécessaire et de réclamer des suppléments éventuels à Engie. Cela aurait été le cas si, par exemple, les placements du fonds rapportaient moins que prévu ou si le coût estimé de la prise en charge des déchets augmentait. Ainsi, lors de la dernière réévaluation, en 2022, Engie avait été forcée d’augmenter le montant des provisions de 3 milliards. Le risque était donc grand que les prochaines réévaluations coûtent encore des milliards à Engie. 

Mais ça, c’était jusqu’au jeudi 29 juin matin.

Se coucher devant Engie

Si l'on écoute la Ministre Groen de l’Énergie, Tinne Van der Straeten, l’accord signé le 29 juin entre le gouvernement et l’État belge est une bonne nouvelle : « D’abord, pour notre sécurité d’approvisionnement. Ensuite, parce que la facture pour les déchets nucléaires est clôturée, c’est le pollueur, Engie, qui va payer. Et enfin, on évite les surprofits. » 

Pourtant, le contenu de l’accord dit tout autre chose.

Sur la question des provisions pour financer le stockage des déchets nucléaires, l’accord prévoit qu’Engie ajoute une fois pour toutes 4,5 milliards de provisions, pour atteindre 15 milliards. En échange de quoi, on ne pourra plus rien réclamer à la multinationale. 

Finies, les réévaluations des provisions tous les trois ans. Si le coût réel de la gestion des déchets radioactifs augmente ou si les placements faits avec l’argent du fonds rapportent moins, ce sera à l’État, donc aux contribuables belges, de payer la différence. Or on sait déjà que le fonds où sont placées ces provisions a perdu 14 % de sa valeur en 2022 suite à l’instabilité des marchés financiers. 

Autrement dit, notre portefeuille est déjà dans le viseur.

Se pose ensuite la question du coût des travaux de remise à niveau des deux réacteurs nucléaires, estimé à 1,6 à 2 milliards. Pour cela, une structure publique-privée, détenue à parts égales par l’État et Engie, va être créée. L’État belge paiera la moitié du coût des travaux. L’autre moitié est prise en charge par Engie. 

Mais l’entreprise a obtenu la certitude d’être remboursée. Comment ? L’État va garantir un prix de vente pour l’électricité produite par les réacteurs prolongés. Et ce prix va être fixé à un niveau qui permet à terme de couvrir pour Engie le coût des travaux, et même d’avoir une marge bénéficiaire. Même si le prix de l’électricité sur le marché européen de l’énergie tombe sous le niveau de ce prix garanti, l’État - donc les contribuables - paiera la différence. En contrepartie, si le prix de l’électricité sur le marché dépasse le prix garanti à Engie pour la revente de la production des deux réacteurs prolongés, l’Etat encaissera la différence. 

Engie a donc réussi à se décharger des risques financiers liés au coût du traitement et du stockage des déchets pendant les prochains siècles sur la population belge. Et cela, pour 4,5 milliards d’euros, un montant qui ne représente même pas la moitié des surprofits empochés par l’entreprise en Belgique au cours de la crise énergétique. Quant aux risques portant sur les travaux de rénovation des réacteurs, ils seront couverts, soit par les factures d’électricité des gens si le prix de l’électricité sur les marchés est assez élevé, soit par l’État, si le prix baisse. 

On comprend que les actionnaires de la multinationale soient ravis, le cours de l’action Engie est monté de près de 8% à la bourse de Paris depuis l’annonce du deal.

La garantie de payer, pas d’avoir la lumière

On paye donc la prolongation de deux réacteurs nucléaires pour dix ans au prix fort. Obtient-on au moins en échange la garantie d’un approvisionnement stable en électricité ? D’après le gestionnaire du réseau à Haute tension, Elia, l’enjeu se pose en particulier pour les hivers 2025-2026 et 2026-27. 

L’accord prévoit effectivement qu’Engie s’engage à mettre tout en œuvre pour relancer les réacteurs pour l’hiver 2025. Mais et si ce n’est pas le cas ?  « Aucune pénalité n’est prévue si Engie n’arrive pas à les remettre en marche en temps et en heure. »  La seule utilité potentielle pour la population belge de cette prolongation des réacteurs nucléaires, à savoir le fait de ne pas voir la lumière s’éteindre dans les prochains mois, n’est donc même pas garantie et Engie n’aura aucun compte à rendre si elle ne tient pas son engagement.

Pire, imaginons qu'Engie n’arrive pas à prolonger les deux réacteurs comme prévu et que cela mette la pression sur l’approvisionnement en électricité de la Belgique. Cela fera à coup sûr exploser le prix du courant sur les bourses de l’électricité, et donc les factures des gens. 

Comble du cynisme, c’est Engie qui raflera la mise, puisque la multinationale est le premier producteur d’électricité du pays et pourra vendre la production de ses centrales au gaz, de ses barrages ou de ses éoliennes au prix fort. 

Ce n’est d’ailleurs pas qu’une hypothèse en l’air. Il y a beaucoup d’incertitudes pour mener à bien cette prolongation des réacteurs nucléaires. D’abord, le risque de tomber sur des pièces ou des parties de réacteurs plus dégradées que prévu, qui demanderaient des travaux plus lourds et plus longs. Ensuite, pour accélérer les travaux, le gouvernement devra aussi « assouplir » la réglementation sur la sûreté nucléaire. Enfin, la Belgique devra aussi recevoir l’accord de l’Union européenne et des pays voisins. 

Pour expliquer cette absence de contrainte vis-à-vis d’Engie, on nous dit que « la Vivaldi a préféré inciter que sanctionner ». Pour le gouvernement, les sanctions valent uniquement pour les manifestants, les grévistes de Delhaize, les malades de longue durée ou les chômeurs, pas pour les multinationales qui font des milliards de profits.

Le beurre, l’argent du beurre… et les surprofits d’Engie

Derrière les grands sourires qu’arboraient le jeudi 29 juin au matin le Premier ministre Alexander De Croo, la ministre de l’Énergie Tinne Van der Straeten et le CEO d’Engie Belgique se cache un constat malheureux : la population va une fois de plus mettre la main au portefeuille pour Engie.

Rappelons qu’en rachetant Electrabel à la fin des années 1990, Engie a récupéré des centrales nucléaires dont l’investissement avait déjà été payé par une surfacturation de l’électricité de tous les Belges durant les années 1970, 1980 et 1990. Sans devoir rembourser les gens. 

Ces centrales amorties ainsi que l’ensemble du parc de production d’Electrabel étaient donc très rentables. Engie a tiré 15 milliards de profits de sa filiale belge entre 1998 et 2020 en surfacturant l’électricité vendue. Ensuite, Engie a profité de la crise énergétique que nous connaissons pour nous vendre son électricité nucléaire jusqu’à dix fois son prix de production. Des surprofits de 9 milliards devraient s’ajouter aux profits « ordinaires ». 

Et aujourd’hui, en échange d’un chèque de 4,5 milliards, Engie se décharge sur nous des risques financiers liés aux déchets nucléaires, qui pourraient coûter des dizaines de milliards. En échange de quoi, tout ce que le gouvernement a obtenu, c’est un engagement non contraignant d’essayer de prolonger deux réacteurs nucléaires, et à nos frais encore bien. 

Cela va sans dire, lors de ces négociations, il n’a plus été question de taxer les surprofits ni de bloquer les prix de l’électricité produite. Pour ne pas froisser la multinationale, probablement…

C’est donc bien un hold-up, et il dure depuis longtemps. « Le beurre, l’argent du beurre et le sourire de la crémière », l’expression n’est même plus assez longue pour expliquer le nombre de fois qu’on a payé et qu’on va encore devoir payer pour Engie. Et comme d’habitude, pour justifier cela, on nous dit qu’ « on n’avait pas le choix ».

 Il n’y a rien de plus faux. Nous refusons ce deal : 

  1. Engie doit rester responsable de l’ensemble du coût des déchets nucléaires produits jusqu’ici, comme c’est prévu par la loi. Engie a fait des milliards de profits avec ce combustible nucléaire. On doit garder le mécanisme d’indexation des provisions réclamées à Engie pour prendre en charge le stockage des déchets tant qu’on n’a pas de vue claire sur le montant en jeu, les technologies à mettre en œuvre, etc. Sinon, c’est faire peser un risque incroyable sur le budget de l’État et la population belge. 
  2. L’accord signé aujourd’hui montre que, même en prenant tous les risques à sa charge avec l’argent des travailleurs, le gouvernement ne peut même pas assurer qu’on aura de la lumière durant les prochains hivers. C’est la preuve que laisser les multinationales privées et le marché gérer notre énergie est un échec total. Malgré les milliards déjà payés et encore à payer, notre approvisionnement n’est pas garanti. Nous devons reprendre notre énergie en main publiques, pour investir massivement dans la production, le stockage et la distribution.
  3. Si on a besoin de centrales nucléaires (ou au gaz) pour assurer notre équilibre énergétique le temps de développer suffisamment des alternatives, alors on doit les gérer publiquement. L’accord d’aujourd’hui montre qu’Engie ne peut pas assurer cette tâche. Mettons Engie hors-jeu. Pour mener à bien cette nationalisation, des lois existent pour réquisitionner et même exproprier pour cause d’utilité publique. Et sans indemnités, car on a déjà payé plusieurs fois pour cette nationalisation de la production d’électricité avec nos factures. Cette nationalisation ne change rien non plus à la responsabilité historique d’Engie dans la production des déchets et donc dans la prise en charge de leur coût.
  4. Pour éviter qu’Engie (et les autres géants de l’énergie) ne profitent de l’incertitude potentielle sur notre approvisionnement en électricité au cours des prochaines années pour faire monter les prix, nous devons reprendre le contrôle de ce prix et ne plus le laisser aux spéculateurs des bourses de l’énergie. 

Nationalisation, contrôle des prix et faire payer Engie pour le passif nucléaire, c’est l’objet de la proposition de loi que nous avons déposé au Parlement et qui est soutenu par une pétition signée par plus de 100 000 personnes (voir la vidéo ci-dessous). Consultez ici le texte de notre proposition de loi énergie.

Le 29 juin, notre cheffe de groupe au parlement fédéral a amené les 100 000 signatures que nous avons récoltées pour soutenir notre loi énergie. L'objectif : bloquer les prix de l'énergie pour baisser les factures et faire payer Engie en taxant ses surprofits.