La SNCB accusée de coups et blessures pour exposition au chrome VI
Il s’agit du premier procès concernant le chrome VI (ou chrome hexavalent) en Belgique. La SNCB doit venir expliquer au tribunal correctionnel pourquoi elle a fait exécuter des travaux au cours desquels des vapeurs hautement nocives se sont libérées à du personnel non protégé.
L’homme qui a osé traîner la SNCB devant le juge s’appelle Tony Fonteyne. Il est secrétaire de la CGSP-Cheminots Flandre-Occidentale et Flandre-Orientale et c’est avec ses collègues de la CSC qu’il a constitué le dossier.
Tony Fonteyne. Tout a commencé en janvier 2016, quand quelques militants syndicaux sont venus nous prévenir. Les services de prévention de la SNCB avaient en effet constaté que le sang et l’urine des travailleurs qui rénovaient de vieilles rames à l’atelier de Gentbrugge (Gand) présentaient des concentrations anormalement élevées de chrome VI. Depuis des années (certainement depuis 2014), quelque 130 travailleurs effectuaient ces travaux sans les protections requises. Leur tâche consiste à faire disparaître l’ancienne peinture et à effectuer toutes sortes de travaux de soudure. Ce qui libère des vapeurs nocives contenant du chrome VI. Jusque dans les années 1960, ce dernier était utilisé pour rendre la peinture plus robuste et plus résistante à la chaleur et à la rouille. En fait, on sait depuis quelques années que le chrome VI est encore plus dangereux que l’amiante, parce que les infimes particules contenues dans ces vapeurs pénètrent dans le corps non seulement par les poumons et l’estomac, mais aussi par les pores de la peau.
Un masque à gaz n’offre pas suffisamment de protection ?
Tony Fonteyne. Non, il faut porter une protection complète, tout comme avec l’amiante. Avec un apport d’oxygène, etc. Et il faut travailler dans un espace fermé, de sorte que les gens qui travaillent dans le voisinage immédiat ne subissent également aucune nuisance.
Le chrome VI est cancérigène et provoque des mutations dans l’ADN chez les personnes qui y sont exposées
En janvier 2016, je n’avais aucune idée de ce que cela pouvait signifier mais, via Internet et d’autres sources, j’ai fini par apprendre que le chrome VI est cancérigène et qu’il provoque également des mutations dans l’ADN chez les personnes qui y sont exposées. De ce fait, leurs enfants eux aussi peuvent souffrir d’irritation cutanée, de détérioration rénale, de tumeurs, etc.
J’ai fait arrêter les travaux sur-le-champ et exigé que la direction examine tout à fond avant de poursuivre ce genre de tâches.
La dangerosité du chrome VI était donc déjà connu ?
Tony Fonteyne. Aux chemins de fer néerlandais, ils s’étaient déjà heurtés à ce problème en 2015. Et même le service de prévention de la SNCB avait rédigé – en 2008 déjà – une note de 18 pages sur les « risques pour la santé liés au travail avec le chrome VI ». Dans cette note, le service de prévention décrit tous les dangers du chrome. Elle était adressée aux responsables des dix ateliers de la SNCB et la plupart ont alors pris les mesures qui s’imposaient. Mais, à Gentbrugge, manifestement, ils n’ont rien fait. Via un vent favorable, cette note a fini par atterrir sur mon bureau également. Avec cela, nous avons un solide argument en main : la SNCB a négligé de proposer une protection suffisante contre ce chrome VI à ses travailleurs de l’atelier de Gentbrugge...
En 2016, nous avons déjà déposé une plainte auprès de l’inspection du travail. Celle-ci a effectué alors toute une série de contrôles sur le site, en les annonçant ou pas. Ce que l’inspection du travail a constaté là-bas figure également dans l’actuelle citation à comparaître. Nous reprochons à la direction de la SNCB de n’avoir pas, entre 2014 et janvier 2016, effectué l’analyse légale des risques afin d’empêcher que les travailleurs et leurs collègues soient soumis à des agents cancérigènes. La direction a également négligé de limiter tous les risques possibles « pour la santé et la sécurité des travailleurs impliqués dans toutes ces tâches ». Et, enfin, la plainte dit que la SNCB n’a pris aucune mesure de prévention, telle que la chose est prescrite dans le règlement portant sur le « bien-être au travail » à propos des agents cancérigènes et mutagènes. Le chrome VI est l’un de ces agents et ceux-ci sont encore plus dangereux que « simplement cancérigènes » : ils endommagent également l’ADN.
Que disent ce document et la loi sur le travail avec le chrome VI ?
Tony Fonteyne. Ils fixent par exemple des valeurs limites de 0,01 milligramme par mètre cube. À Gentbrugge, cette limite est dépassée plusieurs fois.
Ces 130 travailleurs peuvent toujours tomber malades, même s’ils ne sont plus exposés à ces vapeurs nocives, tout comme avec l’amiante, qui peut toujours provoquer le cancer 30 ans ?
Il peut se passer 10 ou 15 ans avant que la personne ne tombe effectivement malade
Tony Fonteyne. C’est exactement cela. C’est pourquoi nous avons fait enregistrer ces travailleurs comme « personnes lésées ». Par expérience à l’étranger, il s’avère qu’il peut se passer 10 ou 15 ans avant que la personne ne tombe effectivement malade. Cela rend la comparaison avec l’amiante encore plus frappante. Aux Pays-Bas, des ouvriers de la Défense qui avaient travaillé à l’entretien des chars et des avions sont tombés malades. Ils avaient travaillé là une vingtaine d’années environ, avec des protections comme en soudure, mais sans les protections requises contre le chrome VI. Le syndicat hollandais FNV s’était battu et cela avait débouché sur la création d’une commission sur le chrome VI, une commission paritaire qui enquête de façon scientifique sur toute cette problématique. Et des avocats essaient d’obtenir des dédommagements aussi pour les travailleurs qui ont été exposés au chrome VI mais ne sont pas encore tombés malades. Parce que ces personnes vivent dans l’angoisse de le devenir tôt ou tard.
Chez nous, tous les travailleurs qui, entre 2014 et 2016, ont travaillé sur ces rames de train ont été repris sur la liste des maladies professionnelles de sorte que, si les choses tournent mal, ils seront reconnus immédiatement comme étant touchés par une maladie professionnelle.
Quand aura lieu ce procès ?
Tony Fonteyne. Le 7 février. Ce sera le premier procès autour du chrome VI en Belgique et, de ce fait, il revêt une signification toute particulière. La plainte n’est pas minime : la SNCB est accusée entre autres d’avoir « infligé des coups et blessures involontaires à des travailleurs ». C’est une grave accusation, mais elle est fondée, car les risques que les responsables de l’atelier de Gentbrugge ont fait courir aux travailleurs sont véritablement scandaleux.