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Workers for peace

La guerre vient d’en haut, la paix d’en bas

Le retour du militarisme allemand, la course aux armements en Europe et la rhétorique guerrière de Washington : tout pointe vers l’escalade. Mais comme toujours, la force de la paix se trouve en bas : chez ceux qui en paient le prix. Faisons en sorte que le mouvement ouvrier redevienne une force centrale pour le désarmement, la justice sociale et une alternative socialiste.

Dimanche 30 mars 2025

Par Peter Mertens

Secrétaire général du PTB

Attisé par des intérêts géopolitiques et la course aux ressources, le conflit ukrainien a déjà coûté d’innombrables vies et jeté des millions de personnes sur les routes. L’idée que plus d’armes apportera la paix est une illusion dangereuse.

Comme je l’ai écrit dans Mutinerie (2023), cette guerre a toujours eu deux visages. D’un côté, la violation de l’intégrité territoriale de l’Ukraine, en contradiction avec le droit international, par l’agression russe — une réalité bien comprise aussi par les pays du Sud global. De l’autre, une guerre par procuration entre les États-Unis et la Russie, menée sur le dos des Ukrainiens, où des dizaines de milliers de jeunes sont envoyés comme chair à canon pour un conflit géostratégique.

Washington l’admet aujourd’hui sans honte : c’était une guerre par procuration, alimentée et dirigée en partie par les États-Unis. Seulement, Trump estime maintenant que c’était la mauvaise guerre par procuration, que la Russie n’est pas l’adversaire des États-Unis, et que tous les efforts doivent se concentrer sur la prochaine guerre qu’ils préparent : celle contre la Chine. Tout cela parce que Washington voit son hégémonie économique et technologique contestée par la Chine.

Il est clair que la stratégie américaine visant à prolonger la guerre en Ukraine par des investissements massifs, pour épuiser la Russie économiquement et militairement, touche à sa fin. Washington est confronté à un choix : intervenir plus ouvertement, au risque d’une Troisième Guerre mondiale, ou chercher des issues diplomatiques. Par opportunisme, et non par pacifisme, les États-Unis choisissent la seconde option, espérant en tirer le maximum d’avantages.

Trump veut imposer un accord qui fasse supporter les coûts de la guerre à l’Europe, tandis que les États-Unis acquerront, via un nouveau fonds, le contrôle de l’extraction des ressources et minerais ukrainiens. Trump veut traiter l’Ukraine comme une colonie, à l’image de nombreux pays du Sud global. Cela confirme que cette sale guerre n’a jamais été une question de valeurs, mais toujours des intérêts géopolitiques, des ressources, des terres fertiles.

L’échec de la stratégie européenne

L’incapacité des États européens à prendre, en trois ans, une initiative diplomatique sérieuse pour un cessez-le-feu se paie aujourd’hui. Un leader européen après l’autre a promis la « victoire militaire », mais c’était irréaliste dès le départ.

Aujourd’hui, Trump prend seul l’initiative et négocie directement avec la Russie. Mais au lieu d’en tirer les leçons, une partie de l’establishment européen veut persister dans cette stratégie vouée à l’échec et prolonger coûte que coûte la guerre en Ukraine.

Les contradictions ne manquent pas. Les mêmes qui nous assuraient hier que la victoire contre Moscou était à portée de main affirment aujourd’hui, sans sourciller, que Moscou pourrait « débarquer sur la Grand-Place de Bruxelles » si nous ne nous réarmons pas d’urgence. Les deux affirmations ne peuvent être vraies en même temps. Il semble surtout qu’on veuille nous vendre d’énormes plans d’armement.

De « plus jamais la guerre  » au réarmement : le spectre du militarisme allemand

Beaucoup de ceux qui ont grandi au XXe siècle savent que le mélange Allemagne-chauvinisme-militarisme est une mauvaise idée. Les fabricants d’armes de la Ruhr ont alimenté deux des guerres les plus destructrices de l’histoire. Après la Seconde Guerre mondiale, l’Europe avait conclu : plus jamais le militarisme allemand.

Mais aujourd’hui, on dirait un mauvais film de série B. Les fabricants de chars sont de retour, et l’Allemagne doit redevenir grande. Le 18 mars 2025, le Bundestag a adopté des modifications constitutionnelles permettant le plus grand programme de réarmement depuis 1945. L’Allemagne a déjà le 4e budget militaire mondial, mais elle passe à la vitesse supérieure pour devenir « kriegstüchtig » (« prête pour la guerre »).

Ce réarmement sera financé par l’endettement – une nouveauté, alors que Berlin bloquait jusqu’ici toute augmentation de la dette. Preuve que les règles budgétaires dépendent des rapports de force, pas de dogmes économiques.

En plus des dépenses allemandes, la Commission européenne lance un vaste plan de militarisation, financé par la dette… et par des coupes dans les fonds pour la cohésion, le climat et le développement.

Alimenter la psychose de peur

Le grand patron de l’OTAN, Mark Rutte, a récemment déclaré qu’il fallait « ouvrir nos portefeuilles pour les armes, sinon nous risquons de devoir bientôt parler russe ». La psychose est activement attisée.

Mais les faits disent autre chose : le PIB de la Russie n’est pas plus élevé que celui du Benelux. Après trois ans de guerre, l’armée russe peine à occuper plus de 20 % de l’Ukraine. Elle lutte depuis des mois pour prendre Pokrovsk, face à une armée ukrainienne épuisée. Elle n’y parvient pas. Et on voudrait nous faire croire que cette armée serait capable de vaincre les forces combinées de la Pologne, l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni ? C’est absurde.

Même avec l’aide de troupes coréennes, les Russes ont mis des mois à reprendre deux tiers de Koursk. L’Europe dispose déjà de quatre fois plus de navires de guerre, trois fois plus de chars et deux fois plus d’avions de combat que la Russie.

Ceux qui veulent vraiment la paix négocient le désarmement. Le récit d’une « invasion russe imminente » sert surtout le complexe militaro-industriel.

L’ère du réarmement est l’ère de la régression sociale

On prétend que la « capacité de défense » de l’Europe n’a pas de prix. Mais bien sûr qu’il y a un prix. Littéralement, au détriment des écoles, des soins de santé, de la sécurité sociale, de la culture, de la coopération au développement. Mais aussi symboliquement, en militarisant toute la société.

Pour positionner l'Union européenne dans une nouvelle bataille pour le partage du monde, la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, parle de « l’ère de l’armement » . Pour les peuples d’Europe, ce sera « l’ère de la casse sociale ».

Tandis que des milliards sont investis dans la guerre, les budgets climat, santé et retraites sont soumis à des coupes budgétaires sévères. Les actions des géants de l’armement explosent : Rheinmetall, Dassault, BAE Systems, Leonardo, Thales et Saab encaissent les profits. Et la classe travailleuse paie la facture. 

Plus d’argent pour les chars, c’est moins pour les pensions. Plus pour les drones, c’est moins pour les crèches. C’est un choix politique, qui aura des conséquences pendant des décennies.

« Pour les travailleurs, rien n’est pire qu’une économie de guerre », explique à juste itre Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT.  Chaque euro dépensé en armes est un euro en moins pour les hôpitaux ou les services publics.

La production d’armes ne relancera pas l’économie

L'industrie militaire prétend que l'armement relancera l'économie. C'est ce qu'elle aime appeler le « keynésianisme militaire » : inciter les gouvernements à soutenir massivement l'industrie de l'armement. Alors que le secteur automobile européen est en difficulté et que l'Allemagne entre en récession pour la troisième année consécutive, ils veulent nous faire croire qu'il serait préférable de passer de la production de voitures à celle de chars.

Ce sont des balivernes ! Les familles n’achètent pas de chars. On ne va pas chez sa grand-mère en tank. Et pourtant, ces chars doivent être vendus. Il faut donc s’assurer qu’ils soient réellement utilisés, sinon l’industrie s’effondrera. En d’autres termes, la militarisation de l’économie exerce une pression permanente vers la guerre.

De plus, ils veulent financer en partie cette nouvelle course aux armements par de nouvelles dettes. « Comme aux États-Unis », clament les va-t-en-guerre. Mais ils oublient de mentionner que l’endettement à Washington est historiquement élevé et que les inégalités entre riches et pauvres n’ont jamais été aussi grandes. C’est le prix à payer pour une guerre quasi permanente, du Vietnam à l’Afghanistan, de l’Irak à l’Ukraine.

Non, des dépenses militaires accrues n’amélioreront pas le niveau de vie. La production d’armes n’offre aucun avantage économique. La fabrication d’un char, d’une bombe ou d’un système de missiles ne profite pas au reste de l’économie. C’est aussi un mythe de croire que l’industrie militaire crée beaucoup d’emplois – bien au contraire. Un euro investi dans les hôpitaux génère 2,5 fois plus d’emplois qu’un euro investi dans les armes. En termes d’efficacité des investissements pour l’emploi, la défense n’arrive qu’en 70e position sur 100 secteurs différents. 

Où va l’Europe ?

Les nouveaux tarifs douaniers que Trump veut imposer sur l’importation de voitures allemandes pourraient porter un coup fatal à l’industrie automobile allemande. Jusqu’à récemment, l’élite allemande était très atlantiste, mais dans les milieux financiers de Francfort, on entend de plus en plus de voix prôner une souveraineté européenne indépendante de Washington.

C’est aussi l’esprit du nouveau Livre blanc européen sur la défense : l’Europe doit voler de ses propres ailes. Aujourd’hui, selon ce document, 78 % des nouveaux achats de défense se font hors de l’Union européenne, principalement aux États-Unis. Le Livre blanc veut changer cela radicalement : d’ici 2035, au moins 60 % du matériel militaire devra être produit en Europe.

La grande question est de savoir si c’est réalisable, car l’industrie de l’armement est organisée nationalement. Les rivalités entre producteurs allemands, français, italiens et britanniques, tous avides des milliards supplémentaires qui tombent comme une manne du ciel, sont nombreuses. Tandis que l’économie allemande ouvre grand les vannes financières pour Rheinmetall et consorts, des accords de coopération franco-italiens et franco-britanniques tentent de prendre de vitesse les Allemands.

Il n’y a même pas de commandement unifié. L’Institut Kiel pour l’économie mondiale (KfW) peut bien plaider pour 300 000 soldats supplémentaires en Europe, mais ces soldats dépendraient de 29 armées nationales différentes. Et encore faudrait-il les recruter et les former…

L’Europe est politiquement fragmentée et en proie à une crise identitaire. Pour les capitalistes, deux options se présentent : soit les contradictions entre États membres s’approfondissent et l’Union éclate en une version moderne de Goths, Francs et Celtes rivaux, soit Berlin, Paris et Londres sont contraints de coopérer davantage pour créer une nouvelle puissance européenne belliciste et impériale. 

Pour les marxistes, il est temps d’imaginer une Europe radicalement différente : une Europe socialiste et pacifique.

Briser la spirale mortifère de la course aux armements

La course aux armements devient de plus en plus extrême : les propositions de consacrer 3 % du PIB aux dépenses militaires sont dépassées par des appels à atteindre rapidement 5 %. Il semble n’y avoir plus aucune limite.

Une course mondiale aux armements suit toujours la même logique : si un pays se modernise, l’autre suivra. Quiconque pousse la logique de la dissuasion jusqu’au bout finira inévitablement par prôner l’armement nucléaire de l’Allemagne et de l’Europe.

Dans le pire des cas, cette spirale débouche sur une grande guerre avec beaucoup de perdants et peu de gagnants. L’histoire nous apprend que ce tourbillon dangereux ne peut être brisé que par des traités de désarmement mutuel. Cela nécessite une diplomatie pragmatique, mais aussi un mouvement international anti-guerre fort, capable d’exercer une pression par en bas.

Qui veut la paix, prépare la paix

Pour attiser encore la surchauffe de l’armement, Bart De Wever et ses acolytes aiment citer un texte de la fin de l’Empire romain, censé enrayer le déclin de l’Occident par une discipline militaire plus stricte et davantage de dépenses militaires : « Si vis pacem, para bellum » (« Si tu veux la paix, prépare la guerre »). Ce n’a jamais été un slogan de paix, mais toujours un slogan de militarisation et de guerre. Et cela n’a pas beaucoup aidé les Romains : quelques décennies plus tard, leur empire s’était effondré.

L’histoire nous enseigne que les guerres et les courses aux armements ne sont pas arrêtées par ceux d’en haut, mais par ceux qui paient la facture de la course à l’armement et sontles premiers à souffrir de la guerre. Avant la Première et la Deuxième Guerre mondiale, le mouvement ouvrier était un acteur puissant contre la militarisation et pour le progrès social. La gauche ne doit pas s’adapter au nouveau consensus militariste, mais oser remettre en question l’hypocrisie de l’Occident, les conflits d’intérêts bellicistes et la course aux armements destructrice.

La réalité est simple : si vous voulez la guerre, préparez la guerre. Si vous voulez la paix, préparez la paix. Cette paix, nous devrons l’imposer par en bas, main dans la main avec la lutte pour la justice sociale et le socialisme.