Julien Liradelfo : « La gestion libérale du gouvernement wallon a coûté des vies »
Entre deux caves à vider, le jeune député wallon du PTB allait à Namur. À la commission d’enquête parlementaire sur les inondations, dont il était le vice-président, plus précisément. Et il en tire des leçons très éloignées de celles des partis traditionnels. Rencontre.
Les autorités ont-elle transmis les informations dont elle disposait ?
Julien Liradelfo. Pas du tout. « Pourquoi ne nous a-t-on pas prévenu ? » est la première chose quʼon a entendu sur le terrain de la part des sinistrés. Que ce soit pour l’ampleur des inondations, l’eau relâchée au barrage d’Eupen, les routes barrées, les consignes de sécurité, les sinistrés sont restés dans le flou. Même la plupart des bourgmestres que nous avons entendu en commission nous ont dit que les informations qu’ils avaient reçues était manquantes et incompréhensibles.
Que faut-il faire ?
Julien Liradelfo. Refédéraliser la chaîne de commandement. La commission d’enquête a mis en avant que l'absurdité institutionnelle mise en place par les partis traditionnels avec leurs réformes de l'État ont coûté des vies. La goutte d’eau dans le ciel est une compétence fédérale et devient une compétence régionale quand elle est tombée. Ce n’est pas seulement absurde mais c’est inefficace et dangereux.
Nous avons appris que les services régionaux n’étaient pas en capacité d’interpréter toutes les informations que le fédéral lui envoyait. L’IRM, fédérale, était au plus haut niveau d’alerte et voyait arriver des pluies d’une intensité historique arriver dans nos cours d’eau alors que la surveillance régionale des cours d’eau ne se rendait pas compte du risque d’inondations...
Vous avez pointé une défaillance au niveau de la surveillance en direct aussi…
Julien Liradelfo. De précieuses heures ont été perdues en plein milieu de la crise car personne ne regardait les alarmes en direct. Ça fait des années que les services régionaux pointent ce problème et demandent la mise en place d’une garde 24h sur 24. Depuis 2017, la Wallonie était sensée se doter d’une telle garde dans la refonte du centre PEREX (qui surveille le trafic sur les routes et les cours dʼeau, NdlR). Mais depuis, ni le ministre cdH Carlo Di Antonio ni son successeur Ecolo Philippe Henry n’ont accepté d’engager les sept personnes nécessaires pour faire tourner ce bureau de garde qui existe mais reste vide. C’est une faute politique lourde et les moyens doivent enfin être mis.
Ce manque de moyens humains est donc aussi en cause ?
Julien Liradelfo. Le gouvernement Magnette (gouvernement wallon de 2014 à 2017, composé du PS et du cdH, NdlR) ne remplaçait qu’un fonctionnaire sur cinq. Des coupes dans les services publics wallons ont été faites. Aujourd’hui, nous nous retrouvons donc avec des services en sous-effectif et avec du matériel défectueux puisque le barrage d’Eupen a connu au moins quatre pannes importantes en plein milieu de la crise.
Le PS veut parler d’un manque de « culture du risque » pour rendre tout le monde – et donc personne – responsable mais les responsabilités politiques sont ici bien réelles. À commencer par les coupes dans les services publics qui sont là pour nous protéger. Nous devons l’analyser si nous voulons que les choses changent et que, s’il pleut demain comme en juillet, nous ne connaissions pas la même catastrophe.
Et au niveau des assurances ?
Julien Liradelfo. Le bilan du gouvernement wallon dans cette crise, c’est un cadeau de 2 milliards aux multinationales des assurances et un abandon des sinistrés qui doivent se battre pour être indemnisés à la hauteur de ce qu’ils ont perdu. Et ils ont souvent tout perdu… Les assurances se comportent comme des marchands de tapis en proposant par exemple 30 000 euros pour une perte de 110 000 euros.
En cas de catastrophe naturelle, même si nous payons 100 % de notre prime, les assurances ne paient pas l’ensemble des dégâts. Il y a un plafond. Les dégâts des sinistrés sont estimés à plus de 2,5 milliards dʼeuros mais les assurances n’en paieront que 600 millions. Et qui paie le reste ? Les citoyens, à travers les fonds publics wallons. Le ministre-président Elio Di Rupo dit qu'il ne sait rien faire d'autre à cause d'une loi fédérale qui protège les assurances. Il oublie de dire que c'est son parti qui a mis en place ce mécanisme de protection au bénéfice des assurances en 2003, aidé du MR et d’Ecolo...
Et ces mêmes assurances ont engrangé 15 milliards de bénéfices en 8 ans. Elles ont de quoi assumer huit fois le montant des dégâts. De plus, ces assurances ne s'en cachent pas, les inondations auront très peu d’impact sur leurs finances vu qu'elles bénéficient de réassurances au niveau européen. Malgré tout cela, elles profitent des inondations pour augmenter leurs primes. Des personnes qui auraient dû payer 600 euros pour assurer leur maison se retrouvent aujourd’hui face à des primes de 1 100 euros. Voilà comment le gouvernement a abandonné les victimes des inondations et protégé une fois de plus les multinationales.
Vous pointez lʼabandon de la population lors des inondations. Quʼen est-il maintenant ?
Julien Liradelfo. L’abandon des sinistrés ne s’est pas limité aux jours des inondations, il continue. Aujourd’hui encore, certains n’ont pas encore de réponse de l’expert d’assurance ou reçoivent des dédommagements beaucoup trop faibles par rapport aux pertes vécues. D’autre part, que ce soit pour l’évacuation des déchets, la dépollution des sols, le relogement, la sollicitation d’aide, la reconstruction des berges, etc. les victimes des inondations sont sous pression et nous assistons à une épidémie de burn-out administratif.
Que retenez-vous de cette commission ?
Julien Liradelfo. La première chose, c’est qu’aucun sinistré n’a été entendu. C’est du mépris. Comment est-il possible que dans une des plus grandes catastrophes que la Wallonie ait connue, on nʼentende pas les victimes ? On s’est battu avec le PTB pour qu’ils soient auditionnés, mais les partis de la majorité PS-Ecolo-MR ont toujours refusé.
Jʼai constaté que ces 30 dernières années, les gouvernements wallons ont choisi lʼaustérité plutôt que la sécurité.
J’ai aussi été choqué d’entendre le planificateur d’urgence de Verviers nous expliquer qu’il devait payer de sa poche son matériel de base : ordinateur portable, talkie-walkie et même les manuels. Je n’oublierai pas non plus l'audition du commandant de la caserne de la Protection civile qui nous explique que si le gouvernement Michel n’avait pas supprimé quatre des six casernes, son service aurait pu être plus efficace plus rapidement pour sauver les sinistrés.
La gestion de cette catastrophe et les économies faites pendant des années sur les infrastructures et sur le personnel dédiés à la protection des citoyens montrent à quel point la conception libérale domine dans les partis traditionnels qui ont géré la Région wallonne ces dernières années. La sécurité des gens est pour eux un domaine qui doit être rentable, dans lequel on doit faire des économies. C'est ça qui doit totalement changer. Il n’y a pas de doutes, l'austérité a coûté des vies.