Interdiction de l’abattage sans étourdissement : le bien-être animal ne peut pas être instrumentalisé pour stigmatiser
Les partis Défi, Groen et OpenVld ont déposé une proposition de loi au Parlement bruxellois afin d'imposer l'abattage avec étourdissement partout sur son territoire. Cette mesure ne figurait pas dans l'accord de gouvernement de 2019, ces différents partis s'y trouvant pourtant. Ce texte rejoint ceux de la N-VA et du Vlaams Belang qui refont dès lors surface dans le débat. Le bien-être animal est une question très importante, qui mérite un vrai débat au parlement bruxellois. Malheureusement ce n’est pas ce que veulent ces partis. En se concentrant uniquement sur l’abattage rituel, ils visent surtout en réalité à instrumentaliser la question du bien-être animal dans l’objectif de stigmatiser certaines parties de la population. Nous nous opposons à une telle manœuvre.
L’enjeu du bien-être animal
En 2021, ce sont quelque 316 millions d'animaux qui ont été abattus en Belgique pour la consommation de viande. Dans ces 316 millions, on compte 11 millions de porcs, 300 millions de volailles et 766 000 bovins. La plupart des éleveurs s’en occupent bien. Toutefois, la logique du profit débridé et la diminution progressive des marges bénéficiaires des éleveurs précipitent l’ensemble du secteur dans une course effrénée à la productivité. Ce qui n’est pas sans conséquences.
Dans la grosse industrie capitaliste, les animaux deviennent de simples produits à partir desquels il faut tirer le plus grand profit possible. Et ce sont leurs conditions de bien-être qui en pâtissent, depuis l'élevage jusqu'à l'abattage. Élevage sans lumière naturelle, volaille entassée, animaux élevés en cage, ... autant de conditions d'élevage qui ne respectent pas les besoins des animaux et posent aussi une série de questions sanitaires.
Tout doit également aller vite dans les grands abattoirs, le chiffre d'affaires en dépend, le nombre d'animaux abattus fait gagner des parts de marché. Menant aussi à de la maltraitance. On le voit dans les conditions de transport. Et chacun se souvient encore des images des vidéos « volées » dans les abattoirs de porcs à Tielt. Porcs battus, plongés dans de l'eau bouillante vivants...
Si beaucoup de petits éleveurs font leur maximum et s’occupent bien de leurs animaux, et qu’il est évident qu’aucun abattage ne peut être totalement respectueux de l’animal (la finalité étant de tuer l’animal pour notre consommation), des réflexions sont pourtant nécessaires sur la logique globale du secteur actuellement. En effet, dans la grosse industrie capitaliste, ce sont des millions de porcs qui sont étourdis en les gazant avec du CO2. Ces animaux sont donc en fait asphyxiés avant d'être abattus. La volaille est plongée quant à elle dans un bain d'eau électrifiée avant d'être abattue.
Les bovins sont eux « assommés » à l'aide d'un pistolet avec une aiguille qui transperce la boîte crânienne de l'animal. Les experts estiment que dans 4 à 8% des cas (1), l'étourdissement ne fonctionne pas du premier coup, il faut s'y reprendre à plusieurs fois, ce qui veut dire que l'animal souffre également. Cela concerne donc entre 30 000 et 60 000 bovins par an. Plus que le nombre de bovins abattus sans étourdissement (moins de 10 000 en 2020 aux abattoirs d'Anderlecht).
La course au profit de l’industrie agro-alimentaire capitaliste et de la grande distribution est donc la première responsable de la misère animale.
Où sont les normes à imposer pour le transport ? Pour l'élevage en batterie ? Pour éviter toute maltraitance cachée ? Où sont les renforcements des contrôles ? Où sont les propositions de loi en ce sens ? Bref, il y a un vrai débat à avoir sur le bien-être animal dans notre société. Mais il est dès lors interpelant que la proposition de loi déposée par ces partis se focalise uniquement sur les dernières minutes de vie de quelques milliers d’animaux abattus sans étourdissement. Rappelons d’ailleurs qu’il y a aussi plus de 800.000 animaux abattus sans étourdissement par la chasse chaque année en Belgique, et que là non plus tous ces partis ne disent rien à ce sujet. Il apparaît dès lors clairement que derrière cette volonté de s’en prendre à l’abattage sans étourdissement se cache en réalité autre chose.
Refuser l’agenda de stigmatisation
Comment interpréter donc cette volonté de pousser absolument à interdire l'abattage rituel à Bruxelles (sans accord de gouvernement pour rappel) si ce n'est pour au final stigmatiser deux communautés (juive et musulmane), en les faisant passer pour des barbares envers les animaux alors que le bien-être animal est mis à mal massivement ailleurs ? Cette volonté d'imposer l'étourdissement est hypocrite.
Ces deux communautés sont tout aussi soucieuses du bien-être animal que le reste de la population. Mais en les stigmatisant de la sorte, c'est le racisme que l'on renforce, faisant le jeu de l'extrême droite.
C'est ce que dénonçait aussi Alexis Deswaef, avocat, au micro de la RTBF : "Votez contre cette interdiction (de l'abattage rituel), parce que la question est plus complexe. Vous risquez de porter atteinte à un droit constitutionnel. Œuvrons plutôt ensemble pour améliorer le bien-être animal, pas juste sur les deux dernières minutes de sa vie, mais sur l’ensemble de sa vie. C’est quand même assez stigmatisant de pointer du doigt des minorités en les présentant comme des communautés qui porteraient atteinte au bien-être animal alors que nos méthodes d’abattage d’animaux ne sont pas plus respectueuses du bien-être animal."(2)
Albert Guigui, grand Rabbin de Bruxelles, parle également d'un deux poids deux mesures. (3)
Une interdiction mènerait à la délocalisation
Les abattoirs d'Anderlecht, où se pratique dans 70 à 80% des cas de l'abattage sans étourdissement, est un endroit de petite production de viande comparé à ce que l'on trouve dans l'industrie agro-alimentaire. En 2020, 48 000 animaux ont été abattus à Anderlecht, dont 37 000 sans étourdissement. Dans cet abattoir tout est filmé. On y trouve 200 emplois directs comprenant l'abattage même, mais aussi les ateliers de découpe. À cela se rajoute 200 emplois indirects liés au secteur de la viande (élevage en Flandre et en Wallonie notamment).
Interdire l'abattage sans étourdissement à Bruxelles, c'est mettre fin très clairement à l'activité d'abattage sur le site d'Anderlecht. Interdire l'abattage rituel ne va pas le faire disparaître, mais va provoquer un déplacement plus lointain des animaux, notamment vers la France, pour être abattus. Cela va aussi provoquer une importation supérieure de viande cacher et hallal de l'étranger, notamment de Pologne ou du Royaume-Uni.
Conséquences : plus de camions sur les routes, plus de transports d'animaux dans ces camions (qui ne garantit pas non plus leur bien-être), etc.
Nous avons aujourd'hui un circuit court de la viande, de petits déplacements des élevages vers Bruxelles et ensuite un écoulement de la viande qui se fait principalement sur le territoire de la Région bruxelloise. Interdire cette filière, reviendra à polluer plus avec les camions, ne plus avoir ce circuit court, dégrader les conditions de transport des animaux et délocaliser vers des emplois dont la protection sociale est moindre que chez nous.
Interdire l'abattage sans étourdissement aurait donc en plus des conséquences néfastes sur les animaux, l'emploi et l'écologie.
Pour toutes ces raisons, le PTB votera donc contre la proposition de loi de Défi, Groen et OpenVld, en cohérence avec les positions prises précédemment aux niveaux wallon et flamand.
(1) https://www.landbouwleven.be/467/article/2017-03-31/slachthuispolemiek-vertelt-veel-over-onze-relatie-met-voedsel-en-landbouwers (2) https://www.rtbf.be/article/petition-pour-le-maintien-de-labattage-rituel-a-bruxelles-les-127000-signatures-deposees-ce-mercredi-au-parlement-regional-11003772 (3) https://www.lalibre.be/debats/opinions/2022/05/18/pourquoi-sattaquer-a-labattage-rituel-alors-que-toute-la-filiere-de-la-viande-laisse-a-desirer-H7Z63WB3GNEKFEPXRZ36STGGQA/