Il ne faut pas faire confiance au lobby du nucléaire, l’avenir est renouvelable et public
La ministre flamande de l’Énergie Zuhal Demir (N-VA) a menacé de ne pas adapter son plan climatique si la sortie du nucléaire était maintenue par un nouveau gouvernement Vivaldi. La N-VA plaide depuis longtemps en faveur d’une prolongation des centrales nucléaires. Engie-Electrabel exerce une forte pression pour postposer la sortie du nucléaire. Les partis de la Vivaldi vont-ils céder à la pression du lobby du nucléaire ? Ce serait un désastre pour la transition énergétique urgente qui est aujourd’hui absolument indispensable. Thierry Warmoes, député PTB au sein de la Commission Énergie et Climat du Parlement fédéral
Les centrales nucléaires font partie du problème, pas de la solution
La prolongation de nos centrales nucléaires obsolètes ne contribue pas à la transition vers un approvisionnement énergétique neutre au plan climatique. L’énergie nucléaire est en effet en concurrence directe avec les énergies renouvelables. Lorsque l’on produit trop d’électricité, ce sont les éoliennes et les panneaux solaires qui sont mis à l’arrêt, et non les centrales nucléaires. Par exemple, lors de la crise du coronavirus, l’opérateur Eneco a été contraint de mettre à l’arrêt une grande partie de ses 104 éoliennes en mer du Nord, car la demande énergétique était en baisse et les centrales nucléaires ne pouvaient pas réduire leur capacité de production. « La crise sanitaire montre que, en raison de sa rigidité, l’énergie nucléaire prime sur l’énergie verte, l’énergie du futur », a dénoncé à très juste titre Jean-Jacques Delmée, le CEO d’Eneco.
En outre, l’énergie nucléaire est la source d’énergie la plus subventionnée de tous les temps. Sans le soutien des gouvernements, l’énergie nucléaire n’est rentable nulle part dans le monde. Si on prenait en compte le coût réel de l’énergie nucléaire sur toute sa durée de vie (démantèlement des centrales, traitement des déchets hautement radioactifs, assurance en cas d’accident, etc.), l’énergie nucléaire serait bien trop chère et invendable. Ce sont les pouvoirs publics qui doivent chaque fois être garants. Le coût des déchets est aujourd’hui estimé à 10,7 milliards d’euros. Cette facture sera transmise aux générations futures. Le coût réel d’une prolongation des centrales nucléaires n’est quant à lui pas exactement connu, mais, selon le PDG d’Electrabel Johnny Thijs, il s’élèverait au minimum à 1,3 milliard d’euros. De plus, une nouvelle étude du centre de recherche Energyville montre que le report de la sortie du nucléaire ne ferait quasiment pas baisser le montant de notre facture énergétique, au contraire d’un scénario plus ambitieux concernant les énergies renouvelables.1
Chaque euro dépensé pour l’énergie nucléaire ou pour de nouvelles centrales au gaz est un euro qui ne va pas aux économies d’énergie, au stockage de l’énergie ou aux énergies renouvelables. C’est aussi simple que cela. On ne peut évidemment dépenser chaque euro qu’une seule fois. Seul l’exploitant de la centrale nucléaire bénéficie du report de la sortie du nucléaire. Le mouvement de défense de l’environnement a encore appelé ces jours-ci les partis de la Vivaldi à accélérer la transition énergétique et, donc, la sortie du nucléaire.
Le débat est faussé
Le débat public est actuellement réduit à un choix simple : soit nous gardons nos centrales nucléaires en activité plus longtemps, soit nous construisons de nouvelles centrales au gaz. Dans ces deux options, il est clair que des milliards d’euros de l’argent des contribuables iront aux grandes multinationales de l’énergie. Dans les deux cas, ces multinationales se frottent les mains.
Cependant, selon les dernières perspectives scientifiques de la CREG, le régulateur de l’énergie, si l’on sort du nucléaire, nous n’avons pas besoin de centrales au gaz supplémentaires. Dès 2017, le Bureau fédéral du Plan écrivait que la sécurité d’approvisionnement pourrait être garantie en cas de sortie du nucléaire si la capacité thermique existante était maintenue.2 Il est donc faux d’affirmer que nous avons besoin de centrales nucléaires ou de nouvelles centrales au gaz pour avoir suffisamment d’électricité. Cela vient entres autres d’une meilleure interconnectivité avec nos pays voisins et d’une augmentation substantielle de la capacité de production dans ces pays, mais aussi chez nous, entre autres par les parcs éoliens en mer. Toutefois, cela ne veut pas dire que nous ne devons pas investir massivement.
Nous sommes confrontés à un choix crucial
Pour le passage à 100 % d’énergie renouvelable, il faut des investissements publics massifs. Au lieu de discuter de la quantité d’argent des contribuables que nous donnons ou pas aux grandes multinationales de l’énergie pour les centrales nucléaires ou de nouvelles centrales au gaz, il vaudrait mieux combiner tous les investissements dans une société d’investissement publique qui miserait à fond sur les économies d’énergie, 100 % d’énergie renouvelable et le stockage de l’énergie. Dans ces conditions, il est parfaitement possible de planifier une sortie du nucléaire sans coupures de courant, sans investir dans des centrales au gaz, sans être dépendant de fournisseurs étrangers. La plupart des études qui sont actuellement mises en avant ne tiennent pas compte de ce scénario.
La question cruciale est donc celle de l’affectation des investissements publics. Investissons-nous dans ces technologies du passé pour le profit privé de grands actionnaires ou opérons-nous un choix radical pour les économies d’énergie et la production et le stockage d’énergie dans les mains du public ?
La planification publique est indispensable
Le plus grand obstacle à une politique s’attaquant à fond à la crise climatique est la vision à court terme des investissements privés, qui attendent des subsides pour réaliser des opérations rentables. Seule une approche réfléchie et centralisée de la transition écologique permettra de planifier les investissements prioritaires dans différents secteurs. Une politique qui mise d’abord sur l’isolation, l’économie d’énergie et la récupération de chaleur, et ensuite sur les infrastructures énergétiques et le stockage de l’énergie.
Au moment où la Commission européenne annonce qu’elle augmente ses objectifs climatiques à -55 % d’ici 2030, le débat se réduit au choix des subventions pour l’énergie nucléaire.3 La N-VA menace de bloquer toute nouvelle action en faveur du climat. Avec le gouvernement flamand, ce parti bloque activement tout progrès au niveau européen et reste, entre-temps, le seul à s’obstiner à s’en tenir à une ambition de -35%.4 Mais les partis progressistes sont eux aussi coincés dans une logique de marché qui les empêche de se concentrer sur une transition énergétique à la fois écologique et sociale.
Nous ne pouvons accepter qu’ils reportent la sortie du nucléaire et refusent d’entreprendre la transition énergétique absolument indispensable. Il est maintenant temps de changer de logique. L’avenir énergétique est renouvelable et public, et non nucléaire et privé.