Grève sur le rail : les syndicats luttent pour des trains à l’heure et accessibles
Octobre, sa pluie, ses feuilles mortes… et ses négociations budgétaires. Tous les services publics s’attendent à des budgets diminués en ces temps de crise. Mais pour les chemins de fer, l’enjeu est particulièrement important. Le gouvernement doit décider des moyens qu'il accordera à la SNCB et à Infrabel pour les 10 prochaines années. Sans moyens supplémentaires, ce sont 700 km de lignes qui sont menacées de disparition. Mais les cheminots et leurs organisations syndicales organisent la résistance.
Alors que le réchauffement climatique se montre de plus en plus menaçant, la question des transports en commun en général et du chemin de fer en particulier n’a jamais été autant d’actualité. Pourtant, l’état du rail aujourd’hui en Belgique est catastrophique, bien loin des ambitions qui devraient être les siennes, et indigne d’un pays riche comme le nôtre.
Refinancement ou abandon, les chemins de fer à un tournant
« Hier, j’ai du rester dormir à Bruxelles : tous les trains pour rentrer chez moi, dans la région du Centre, avaient été annulés. C’est tous les jours la même chose. » Nicolas (prénom d’emprunt) est un ami navetteur. Ses histoires de trains annulés, en retard ou bondés, on les entend tous les jours.
Un pur ressenti de Nicolas ? Pas du tout. Cette année, plus de 22 000 trains ont été purement et simplement annulés. 1 train sur 30. Un record. La ponctualité est redescendue aussi, après un regain durant la période Covid. La faute à des années de désinvestissement et à un manque de personnel criant.
Face à ces constats, le ministre de la Mobilité Gilkinet (Ecolo) nous promet des jours meilleurs. Avant l’été, ministre et entreprises ferroviaires ont ainsi négocié les objectifs du chemin de fer belge pour ces 10 prochaines années, via un ce qu’on appelle un « contrat de service public » pour la SNCB (l’entreprise qui fait rouler les trains) et un « contrat de performance » pour Infrabel (l’entreprise qui gère et entretient les rails).
Mais ces objectifs sont loin d’être ambitieux : seulement 9 trains sur 10 à l’heure, des nouvelles fermetures de guichets, des hausses de tarifs, la fin de la carte famille nombreuse…
Même l'augmentation de l'offre de trains (de l'ordre de 10%, soit 1 % par an) est loin de l’ambition nécessaire pour lutter contre la crise climatique et offrir une alternative à la voiture. Les connaisseurs ne voient pas comment ces objectifs (peu ambitieux, on le rappelle) vont être atteints avec la suppression annoncée de 2000 emplois aux chemins de fer. Surtout lorsqu’on constate aujourd’hui que la SNCB n’arrive même pas à assurer 100 % de son offre… Faire plus avec toujours moins, ça reste la recette libérale appliquée à tous les services publics depuis plus de 30 ans.
Éviter le scénario catastrophe…
Le ministre Gilkinet et les CEO de la SNCB et d’Infrabel demandent donc des moyens supplémentaires pour leurs projets de contrat de gestion. Mais il est possible que ce peu d’ambition ne soit même pas atteint. Car pour y arriver, les chemins de fer ont besoin de 3,4 milliards d’euros supplémentaires (sur 10 ans, soit de l’ordre de 340 millions d’euros par an). Et sans ces moyens supplémentaires, c’est le scénario catastrophe pour les chemins de fer. Le patron d’Infrabel a déjà averti que 700 km de lignes seraient menacées. Pour les usagers, cela signifie une qualité du service encore dégradée.
…et demander un scénario plus ambitieux
À côté du scénario catastrophe et du scénario du ministre Gilkinet, il existe en réalité une troisième option : celle d’un développement ambitieux du rail et des transports en commun. Rien n’oblige cheminots et usagers à accepter les plans du ministre. De nombreux exemples étrangers montrent que « train » peut rimer avec « ambition », « qualité » et même « gratuité ».
La Suisse détient ainsi le record du nombre de voyageurs : c’est le pays européen où les habitants prennent le plus le train pour se déplacer : 14 % de tous les déplacements sont faits en train, contre 8 % en Belgique. Cela ne vient pas de nulle part ; la Suisse a creusé dans ses splendides montagnes, développé des infrastructures robustes, réalisé des plans d’investissement sur 20 ou 30 ans. La Suisse (8,6 millions d’habitants) a trois fois plus de gares que la Belgique (11,6 millions d’habitants). Les différents transports en commun collaborent aussi, tout le contraire de chez nous, pour offrir aux usagers le meilleur service possible.
D’autres expériences intéressantes ont aussi été menées récemment pour attirer les usagers vers les transports en commun. Cet été, au vu de l’explosion des prix du carburant et de l’énergie, le gouvernement allemand a pris la décision de proposer un ticket mensuel permettant, pour 9 euros seulement, de voyager à bord de tous les transports régionaux. 52 millions de tickets ont été vendus, un engouement jamais vu. Sur le plan environnemental, le 9-Euro-Ticket, c’est 1,8 million de tonnes de CO2 en moins par rapport à la normale. Un air plus pur, donc, surtout dans les grandes villes et les jours de semaine.
Ni la Suisse, ni l’expérience allemande ne sont parfaites. Cependant, elles prouvent qu’une alternative aux plans du gouvernement est possible…mais elle ne tombera pas du ciel.
L'explosion des coûts de l'énergie concerne aussi le rail
À ces pressions budgétaires, il faut aussi ajouter la flambée des prix de l'énergie. En effet, l'explosion des prix de l'énergie a une conséquence directe sur les finances des entreprises ferroviaires : 100 millions d’euros de facture en plus pour la seule SNCB (qui est aussi l’entreprise belge qui consomme le plus d’électricité). Un trou supplémentaire dans un budget déjà en négatif. Impossible de proposer des investissements ambitieux pour améliorer la circulation des trains ou le développement du transports de marchandises via le fret avec des finances bancales.
Cette explosion des prix a également un impact sur les conditions de travail des cheminots. Comme pour de nombreux travailleurs et travailleuses, les factures, pleins d’essence et propositions de régularisation prennent des proportions telles que plusieurs familles se retrouvent dans l’impossibilité de les payer. De plus en plus de voix s'élèvent pour revendiquer une réelle augmentation du pouvoir d'achat des cheminots. Et pour cause : Les cheminots n'ont plus été augmentés depuis 14 ans !
C'est pourquoi, en plus de leur plan d'action sectoriel, les cheminots suivent aussi le plan d'action interprofessionnel et les revendications pour bloquer les prix de l'énergie et débloquer les salaires. Prochain rendez-vous, la grève générale du 9 Novembre.
Les cheminots n'ont que trop attendu, place à l'action
Piètre service, sous-financement, sous-effectifs, dégradation des conditions de travail,... La situation est devenue trop grave, dans tous les domaines. Les organisations syndicales cheminotes ont alors pris leurs responsabilités. Après le succès de la grève du 31 mai dernier, des discussions entres syndicats ont eu lieu pour permettre de présenter le 20 Septembre dernier un plan d'action ambitieux, en front commun (CGSP Cheminots, CSC Transcom & SLFP).
L'objectif du front commun est clair : défendre un refinancement conséquent. Un refinancement qui permettra de recruter des cheminots en suffisance pour assurer les missions de service public du chemin de fer. Pas le service minimum quotidien imposé aux voyageurs, mais un service public optimal, véritable alternative à la voiture et aux camions. Un refinancement qui permettra également d'améliorer les conditions de travail des cheminots. Que ce soit au niveau des salaires bloqués depuis 14 ans ou des congés refusés, les cheminots méritent de voir leurs sacrifices quotidiens récompensés.
Le 5 octobre prochain est donc la première étape d'un combat pour l'avenir du chemin de fer en Belgique. Cheminots et voyageurs ont tout à y gagner.