Gares sans personnel, retards, navetteurs en galère : les enjeux cachés de la grève

Depuis presque deux ans, la qualité du service de la SNCB se dégrade à toute vitesse. 1 train sur 30  supprimé en 2023 : c’est comme si, chaque mois, pendant une journée, aucun train ne roulait. Et c’est sans parler des retards... À l’exception de l’été, plus d’1 train sur 10 est en retard de plus de 6 minutes. Côté voyageurs, le train, c’est la croix et la bannière. Mais en coulisses, côté travailleurs, la situation est loin d’être meilleure : diminution du personnel et hausse de la productivité tous azimuts sont à l’origine de ce que vivent les usagers et du ras-le-bol des cheminots. Un ras-le-bol déjà exprimé par quatre grèves l’année dernière.

Le ministre qui aimait les trains… mais pas tant que ça

Étonnant avec un ministre Ecolo, Georges Gilkinet, qui dit aimer le train. A le croire, tout serait dû à des problèmes hérités du passé, que son action vise à supprimer. Patience, patience donc…

Pourtant, quand on se penche sur les interviews de syndicalistes, on découvre que c’est bien des problèmes du présent, des situations nouvelles et des réformes à venir qui provoquent l’inquiétude. Problématiques face auxquelles Gilkinet reste impassible : « Le dialogue social n’est pas de la responsabilité du gouvernement ou du ministre compétent », répond-t-il à la Chambre. Pourtant, il a bien approuvé le projet de la direction de supprimer près de 2 000 emplois entre 2022 et 2032 aux chemins de fer à travers plusieurs réformes. Zoomons sur quelques-uns de ces dossiers.

Absence en gare

Georges Gilkinet a commencé son mandat par la fermeture de 44 guichets en Belgique et la suppression de 72 emplois. La réforme « Présence en gare » est le deuxième volet de cette diminution du service au public. Au cœur de celle-ci, la suppression du métier d’Assistant Clientèle Principal (ACP) et des transferts de fonction qui auront comme résultat le fait que 244 membres du personnel disparaîtront des gares. L’ACP s'occupe d’accompagner les personnes à mobilité réduites (PMR) et de leur permettre d’embarquer dans un train. Chaque année, la SNCB reçoit plus de 150 000 demandes d’assistance pour des personnes à mobilité réduite : aveugles, personnes en chaise roulante, personnes âgées, personnes porteuses d’un handicap mental…

Dorénavant, cette tâche d’assistance serait assumée, en plus de leurs tâches actuelles, soit par les guichetiers, soit par les sous-chefs de gare selon le type de handicap. Au lieu d’avoir un corps de métier spécialement formé et qui se consacre pleinement à cette tâche, ce sont d’autres métiers, déjà débordés, qui devront rendre ce service. Il y aura donc moins de temps disponible pour l’assistance et donc moins de flexibilité pour les PMR dans le choix de leurs horaires et donc un sérieux recul dans leur autonomie.

Parallèlement, les horaires de plusieurs guichets vont être réduits. La recette est connue : on réduit les horaires, on force les gens vers les automates et puis on utilise ces chiffres pour dire qu’il y a de moins en moins de clients aux guichets et qu’il faut les fermer.

C’est l’absence et pas la présence  en gare que cette réforme organise. Les PMR attendront, les files aux guichets vont s’allonger et les sous-chefs, essentiels à la régularité du trafic, seront moins disponibles pour intervenir sur un incident. Drôle de façon d’aider le chemin de fer à devenir plus efficace, plus inclusif et plus accueillant, M. Gilkinet... 
Pourtant, un tout autre chemin (de fer) est possible, avec des gares ouvertes sur leur environnement, qui offrent une multitude de services publics, c’est la vision du PTB.

Des accompagnateurs pressés comme des citrons

Dernière idée en date : tenter d’imposer de diviser le temps de préparation en début de service des accompagnateurs par deux, en passant de 20 à 10 minutes. Ces 20 minutes sont pourtant bien nécessaires pour mettre à jour son matériel informatique lent et obsolète, prendre connaissance de sa fiche de service, s’informer auprès des collègues, etc. Cette pression est aussi une marque de mépris pour un personnel qui, dans chaque métier du rail, fait déjà son maximum – et même plus encore – au quotidien et à qui on dit qu’il n’en fait pas assez, qu’il a trop de « temps morts » dans sa journée. La conséquence, c’est une perte de motivation, des burn-out, des démissions... Bref moins de personnel et donc moins de trains à l’heure. Aujourd’hui, il y a déjà 1 accompagnateur sur 10 malade, et le mal-être au travail est loin d’y être étranger. Pressons le citron, il peut encore donner quelques gouttes…

Manque de personnel et manque de ponctualité

« 300€ l’abonnement @SNCB pour que le train soit tout le temps en retard », « @SNCB vous pouvez aller chercher ma fille à la crèche svp ? Ils vont la mettre dehors à force ». Ce genre de témoignages fleurit sur les réseaux sociaux. Et ils reflètent la réalité. 

En 2023, plus d’1 train sur 10 avait au moins 6 minutes de retard. Pour les trains supprimés, ce n’est pas mieux : 1 train sur 30 ne roule pas. C’est comme si, chaque mois, pendant une journée complète, aucun train ne roulait.

Mais alors, que se passe-t-il ? Depuis 2004, c’est presque 15 000 postes de cheminots qui ont été supprimés à la SNCB, tandis que le nombre de trains en circulation n’a pas arrêté d’augmenter. D’ici 2032, c’est encore 1700 emplois qui doivent être supprimés alors que 10 % de trains supplémentaires sont annoncés...

On peut tirer sur l’élastique mais, à un moment, il craque. Et c’est exactement ce que nous vivons en tant qu’usagers : le personnel fait ce qu’il peut mais là, il ne peut plus. Plus assez d'agents pour entretenir les trains, pour les faire rouler ou les accompagner, pour intervenir en cas de problème... Alors, on prend du retard, on supprime. Voilà la conséquence concrète, que vivent au quotidien les usagers, de la politique poursuivie par la SNCB sous l’oeil du ministre Gilkinet.

Un dialogue social en panne

Derrière les différentes réformes à la SNCB, il y a une obsession : augmenter la productivité et supprimer les « temps morts ». Pour cela, il suffit que chaque agent utilise à son plein potentiel chaque seconde de travail de sa journée. Une logique à la Amazon ou Ryanair qui passe très mal auprès du personnel. Chez les conducteurs, Securail, dans les ateliers et les services administratifs… Partout, le personnel étouffe. 

Malheureusement, les arguments de bon sens face à ces projets de la part de ceux qui vivent la réalité de terrain au quotidien ne pèsent pas lourd dans le dialogue social. En effet, selon le front commun syndical, la direction balaye tous les arguments d’un revers de main, refuse de négocier et avance comme un rouleau compresseur, malgré un protocole d’accord social signé l’année dernière et qui fixait quelques balises grâce à la mobilisation des cheminots.

Pourtant, cette course à la productivité et à la rentabilité n’est pas une fatalité. Un autre chemin de fer est possible : assez de personnel, assez d’investissements pour que le rail devienne vraiment la colonne dorsale de la mobilité de demain et pas l’épine dans le pied des usagers. C’est le switch que propose le PTB. Au Royaume-Uni, où les attaques contre le rail sont violentes et durent depuis plus longtemps qu’en Belgique, le syndicat RMT vient de gagner contre un plan de fermeture 1 000 guichets. Ensemble, cheminots et usagers, nous pouvons obtenir un autre rail. La grève mérite tout notre soutien.