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Formation du gouvernement : pensions et pouvoir d’achat dans le viseur

Après les élections du 9 juin, des négociations se sont ouvertes entre N-VA, Vooruit, CD&V, MR et Les Engagés en vue de former un nouveau gouvernement fédéral. Aujourd’hui, ces négociations ont subi un coup d’arrêt. Mais la fuite dans la presse des notes de préparation du formateur Bart De Wever dessinent une série de mesures sur lesquelles les partis s’étaient entendus. Et elles ne laissent pas de doute sur l’orientation prise : c’est une attaque contre les droits des travailleurs et travailleuses de ce pays. Il semblait d’ailleurs y avoir un accord assez large sur une série de mesures imbuvables qui pourraient bien revenir dans les négociations futures. Explications. 

Mercredi 21 août 2024

Georges-Louis Bouchez et Bart De Wever

Le cadre : 27 milliards d’économies

De Wever et co. veulent économiser 27 milliards d’euros dans les années à venir. C’est un montant énorme, une « bombe atomique » au niveau budgétaire, comme l’a décrit un quotidien belge. Pour réaliser ces économies, De Wever avait mis sur la table un solide cocktail de mesures et de taxes injustes : coupes dans les pensions, chasse aux malades, augmentation de la TVA sur les produits de base et des accises sur l’essence, privatisation des entreprises publiques… 

Ces quelques exemples montrent bien que De Wever veut reporter encore une fois tout le poids de la crise sur le dos des travailleurs et travailleuses. Les grandes fortunes et les multinationales, en revanche, ne sont pas ou peu touchées. 

Actuellement, la première ronde de négociations a été interrompue. Après quatre versions de sa note, De Wever a rendu son tablier comme formateur au roi. S’il y avait un accord global sur les mesures et l’orientation, les partis autour de la table se sont disputés pour savoir s’il faudrait oui ou non une mini-mesurette symbolique contre les plus riches pour faire passer la pilule… Cela n’efface pas le plan de De Wever sur lequel il y avait un accord. Ces mesures risquent bien de revenir sur la table dans les prochaines étapes de formation d’un gouvernement.  

C’est pour cela qu’il est essentiel de faire connaître le contenu de cette note et des discussions en cours le plus largement possible et de préparer la résistance dès maintenant. 

Voici les éléments principaux qui se trouvent dans sa note : 

1. Nos pensions dans le viseur 

Dans sa note, d’un côté, De Wever propose d’instaurer un « malus pension » pour les travailleuses et travailleurs qui prennent leur pension anticipée avant l’âge légal. Cela veut dire concrètement diminuer encore le montant de leurs pensions, alors que les pensions belges sont déjà parmi les plus basses en Europe de l’Ouest.

De l’autre, il veut supprimer toutes les formes de prépension « dès le 1er octobre 2024 ». C'est en rupture totale avec les promesses de la Vivaldi d'il y a 10 ans : la pension à 67 ans avec l'engagement qu'il y aurait beaucoup d'exceptions pour les personnes exerçant un métier pénible. C'est donc un mensonge. La pension anticipée est une question fondamentale pour les travailleuses et travailleurs : c'est la partie la plus belle et la plus libre de la vie où, pour la première fois, on peut vivre sans stress et sans pression, où l'on peut aller où l'on veut, manger, dormir et aller aux toilettes quand on le souhaite. Alors que rien n’est prévu pour les métiers pénibles, les systèmes de pension pour les cheminots et les militaires sont également pris pour cible. 

Il veut également durcir l’accès au bonus pension, restreindre le droit à la pension minimum et attaquer les pensions dans les services publics en supprimant la péréquation1 et en allongeant la période prise en compte pour le calcul.

En résumé : De Wever veut faire travailler les gens plus longtemps et pour moins de pension. C’est sur le dos des pensionnés, des gens qui ont travaillé dur toute leur vie, qu’il entend faire une bonne partie des économies. 

2. Augmentation de la TVA et des accises 

Reprenant la proposition du ministre Van Peteghem, De Wever défend dans sa note d’harmoniser les taux de TVA de 6 et 12 % à 9 %. Cela veut dire que tous les biens de première nécessité comme le pain, le lait, la nourriture et même potentiellement l’énergie passeront à 9 % de TVA. De Wever essaie de vendre cette mesure en l’accompagnant d’une baisse à 0 % de la TVA sur les fruits et les légumes. Mais même comme cela, selon le journal De Tijd, cela coûterait au moins 2 milliards d’euros à l’ensemble de la population.2l

Cela donne une idée de comment De Wever entend financer sa réforme fiscale : reprendre d'une main ce qu’il a donné de l'autre. D’autant que sa note prévoit aussi d’augmenter les accises sur l’essence (jusqu’à 0,13 €/l). La TVA et les accises font partie des taxes les plus injustes : elles ne sont pas progressives et touchent donc fortement les travailleurs et les familles qui ont le moins de revenus. 

3. Affaiblissement de l’indexation automatique des salaires

« Nous réformons l’index-santé à partir des objectifs climatiques de ce gouvernement en diminuant le poids des carburants fossiles comme le gaz dans le panier » : voilà ce qu’écrit De Wever dans sa note. Tout comme avec l’index-santé à l’époque, les objectifs climatiques servent ici de prétexte pour affaiblir l’indexation automatique. 

Et ce n’est pas tout. De Wever ouvre aussi la porte à des systèmes pour déroger aux règles de la négociation et des conventions collectives (notamment sous forme d’opt-out). Il écrit également qu’en cas de haute inflation (plus de 4 %), l’indexation des salaires ne sera plus une indexation du salaire brut, mais uniquement une augmentation du salaire net. Le piège de la proposition, c’est que le pécule de vacances, les primes de fin d’années, la pension ou le chômage temporaires sont tous calculés sur base du salaire brut. Autrement dit : indexer uniquement le salaire net représente une perte nette pour les travailleuses et travailleurs. Cela contribue également au définancement de la sécurité sociale et prépare ainsi le terrain pour de nouvelles attaques sur les pensions, les soins de santé, etc. 

4. Jour de carence et chasse aux malades 

Dans sa note, De Wever prévoit le retour du jour de carence – c’est-à-dire le premier jour de maladie non-payé pour le travailleur – et un renforcement sévère de la chasse aux malades de longue durée. Ces derniers devront remplir des obligations pour se réintégrer sous peine de sanctions plus sévères. Le président de la N-VA prévoit également des sanctions contre les médecins généralistes et contre les mutuelles qui ne coopéreraient pas assez avec sa politique. 

Il s’agit, pour le président de la N-VA, à la fois de réaliser des économies, mais aussi d’imposer ses idées, de nourrir l’image des travailleurs malades fraudeurs. Alors même que des études montrent comment l’augmentation de la productivité actuelle rend les travailleurs de plus en plus malades. 

5. Dérégulation du droit du travail 

De Wever prétend vouloir « moderniser le droit du travail », mais il s’agit en réalité d’une entreprise de dérégulation à grande échelle, d’un retour au XIXe siècle : levée de l’interdiction de travail le dimanche, fin des jours de fermeture obligatoire, élargissement des flexi-jobs…

On peut notamment lire « la durée de temps de travail est supprimée ». Rien que ça. Les seules limites qui restent sont celles fixées par l’Europe : une semaine de maximum 48 heures de travail en moyenne sur une période de 4 mois ; le droit à avoir 11 heures de repos consécutifs par journée de travail (où à l’inverse, des journées qui peuvent aller jusqu’à 13h). 

Les notions de semaine de 38 heures et de journées de 8 heures sont mises à la poubelle. On pourrait signer des contrats de 48 heures de travail : 6 jours de 8 heures de travail par exemple. Il y aurait aussi un crédit de 360 heures supplémentaires “volontaires” sans récupération, sans accord syndical, sans sursalaire, sans cotisations sociales et sans fiscalité. Ou encore la
suppression de l’interdiction de travail les jours fériés et la nuit entre 20h et 24h (voir ci-dessous). 

Bref, la nouvelle règle serait qu’il n’y aurait quasiment plus de règle. Bart De Wever veut casser toute notion de convention collective en permettant une infinité d’accords individuels, laissant les travailleurs et travailleuses démunis dans une négociation inégale avec leur patron.

6. Le travail de nuit dévalorisé

Dans sa note, Bart De Wever propose la suppression du régime de « travail de nuit » entre 20h et minuit. En repoussant le début du travail de nuit de 20h à minuit, les travailleurs verraient leurs primes de nuit réduites, ce qui entraînerait une perte de pouvoir d'achat non négligeable. Les jeunes qui dépendent des primes de nuit pour compléter leurs revenus seront particulièrement touchés. 

Une soignante de Lievegem (Flandre-Occidentale) écrit dans le courrier des lecteurs du journal Het Nieuwsblad : « Qui travaille de nuit ? Les ouvriers, les personnes travaillant dans le secteur des soins... Bref, principalement les personnes à faibles revenus. Mon épouse est infirmière à domicile à mi-temps de 18 à 22 heures et je travaille moi-même à temps plein de nuit dans un hôpital de 21h à 7h30. On perdrait ainsi des centaines d'euros alors que les primes de nuit, justement, permettent d'augmenter notre maigre salaire net. La mesure réduirait notre pouvoir d'achat. Cela rend le choix de la profession d'infirmière encore beaucoup moins attractif. »3

Ouvriers qui travaillent en équipes, cheminots et chauffeurs de bus et tram, soignants et soignantes dans les hôpitaux, personnel des prisons, de la police, des entreprises de gardiennage, dans la logistique… Non seulement cette mesure leur ferait perdre du pouvoir d’achat, mais elle témoigne aussi d’un manque de respect pour celles et ceux qui font tourner notre pays, souvent au prix de lourds sacrifices personnels.

7. Attaque sur l’assurance chômage

De Wever, avec ses partenaires, entend aussi s’attaquer à l’assurance chômage en limitant le droit au chômage dans le temps et en accentuant la dégressivité de l’allocation. Les travailleurs sans emploi seront pressés d’accepter n’importe quel emploi (peu importe le secteur, le lieu ou la rémunération) pour éviter de voir leurs revenus diminuer ou d’être sanctionnés. Ceux qui n’ont pas d’emploi risquent d’être mis au travail forcé (« travail communautaire ») pour un salaire dérisoire – remplaçant alors des emplois de qualité. La mise sous pression des travailleurs qui cherchent un emploi est un enjeu stratégique pour affaiblir l’ensemble du monde du travail. C’est ce qu’on a vu avec le modèle allemand.

Le nationaliste Bart De Wever entend aussi régionaliser la politique du marché de l’emploi et d’activation des chômeurs. Il veut mettre le pied dans la porte pour, à terme, obtenir une régionalisation complète de l’assurance chômage – un deuxième secteur de la sécurité sociale après la régionalisation des allocations familiales. Bref, il veut régionaliser pour mieux casser la sécurité sociale.

8. Privatisation des entreprises publiques 

Accompagner la casse de la protection sociale d’une privatisation des entreprises publiques : c’est la recette néolibérale que veut appliquer De Wever. Belfius, Ethias, Proximus ou Bpost : toutes les participations publiques sont dans le viseur du formateur. 

Prenons l’exemple de Belfius (banque qui a été sauvée grâce à des milliards d’argent public en 2008). Au lieu de refaire de Belfius une vraie banque publique, un outil au service de la société et de la transition durable, De Wever and co veulent la privatiser et la mettre au service d’intérêts privés. 

La « vente des actifs » doit servir, dans la vision de De Wever, à combler le trou budgétaire (qu’il a lui-même creusé) et à investir plus de 5 milliards d’euros d’extra dans l’armée dans les années à venir, comme le demande l’Otan. 

Diviser pour régner

De Wever et ses partenaires savent qu’il ne sera pas évident de faire passer une telle cure d’austérité et de mesures imbuvables. Qu’ils risquent de se heurter à une forte résistance dans la population. C’est pour cela qu’ils s’appliquent à monter les gens les uns contre les autres : travailleurs en bonne santé contre travailleurs malades, travailleurs avec et sans emploi, Wallons contre Flamands, demandeurs d’asile contre résidents belges, travailleurs du secteur privé contre ceux du public, etc. C’est la logique du « diviser pour régner ». 

De Wever, Bouchez and co savent que si les gens regardent vers le bas et se battent entre eux, ils ne regardent pas vers le haut et ne peuvent pas s’unir pour résister. Ils dénoncent les soi-disant privilèges des chômeurs qui gagnent 1 300€/mois pour mieux protéger les vrais privilèges des grandes fortunes, des banquiers et des multinationales. C’est pour la même raison qu’ils lorgnent sur le modèle anti-réfugiés danois.

C’est pour cela qu’ils s’attaquent aussi aux organisations syndicales, et aux acteurs sociaux comme les mutualités, qui défendent la solidarité. De Wever veut remettre en cause leur rôle, notamment dans le paiement des allocations, et leur donner une personnalité juridique pour pouvoir plus facilement les affaiblir. 

Eux ou nous

Dans la note, par contre, il n’y pas de trace d’un impôt sur la fortune, ni aucune mesure qui permettent d’aller sérieusement chercher de l’argent du côté du grand capital. 

De Wever propose bien l’instauration d’une petite taxe sur les plus-values sur action et quelques concessions à Vooruit qui rendraient soi-disant la note « plus équilibrée ». 

Mais c’est de la poudre aux yeux. Il n’y a pas de véritable impôt sur la fortune qui permettrait de dégager des moyens substantiels. Pourtant, rien que sur les quatre dernières années, on est passé de 31 à 46 familles milliardaires en Belgique. 

Cette question de la justice fiscale et de l’impôt sur la fortune est essentielle : soit on va chercher de l’argent du côté du grand capital, soit ce sera à nouveau la classe travailleuse qui devra payer l’addition. Si cela dépend de Bart De Wever, ce sera clairement cette deuxième option qui sera retenue : les travailleuses et travailleurs paieront à la fois pour combler le déficit et pour financer la réforme fiscale promise durant la campagne. 

On a déjà payé

Selon De Wever, les travailleurs devraient donc s’avaler un malus pension et une hausse de TVA pendant que les grandes fortunes et les multinationales demeurent globalement protégées. Ce n’est pas pour rien que le président de la N-VA déclarait, dans un moment d’honnêteté rare il y a quelques années, que « le VOKA [l’organisation du grand patronat flamand] est son patron ». 

« On a déjà payé », lui a répondu Raoul Hedebouw, président du PTB, au moment où la note a été révélée dans la presse. « On a payé quand on a renfloué les banques après 2008. On a payé quand le gouvernement Michel a attaqué les pensions et imposé un saut d’index. On a payé quand le gouvernement Vivaldi a bloqué les salaires, pendant que les prix explosaient. »

Et Raoul Hedebouw de poursuivre : « Pendant 52 jours de négociations, ils se sont mis d’accord sur une flopée de mesures anti sociales, sans écouter les besoins des travailleurs de ce pays. Sur toutes ces mesures antisociales, il y avait apparemment un large accord. Et puis… patatra, ces partis traditionnels se disputent pour savoir si faudrait oui ou non une petite mini-mesurette symbolique contre les plus riches pour faire passer la pilule…

Maintenant nous allons probablement revoir passer des démineurs, des formateurs, des initiateurs et autres blablateurs. Dont je vous parie déjà qu’aucun ne mettra les vrais enjeux sur la table : faire payer vraiment les grandes fortunes, dégager des moyens pour nos pensions, pour des investissements sociaux et durables. 

Si on veut que ça change, il faudra renforcer encore la gauche authentique dans les urnes le 13 octobre et se mobiliser sur le terrain pour contrer ces politiciens qui vivent dans leur bulle. » 

 

1 Système d’adaptation des montants des pensions selon lequel les pensions de retraite et de survie des fonctionnaires suivent l'évolution des rémunérations des fonctionnaires actifs.

2 De Tijd, 17/08/24

3 Het Nieuwsblad, 19/08/24