États-Unis : un véritable soulèvement contre le racisme en réaction au meurtre de George Floyd
Le mouvement de protestation qui secoue les États-Unis est d’une ampleur rarement vue. Le meurtre de George Floyd, énième Afro-Américain victime de violence policière, a mis le feu aux poudres dans un pays où un racisme structurel et des inégalités sociales extrêmes sévissent depuis trop longtemps et où la pandémie de coronavirus fait des ravages.
Petya Obolensky
Lundi 25 mai, George Floyd, homme noir de 46 ans et père de deux filles, a été assassiné par un policier, Derek Chauvin, avec l’aide de trois autres agents. Sa longue agonie a été filmée en direct par des passants, provoquant l’écœurement et la colère dans tout le pays et à travers le monde.
Des manifestations ont d’abord eu lieu dans la ville de Minneapolis, où le meurtre a été commis, puis dans de nombreuses villes à travers le pays. C’est à un soulèvement national de masse contre le racisme et les violences policières que nous assistons aux États-Unis. Et cela, alors que la pandémie de Covid-19 fait des ravages dans l’Amérique de Trump. Plusieurs actions de solidarité ont également eu lieu dans le monde, notamment en Belgique.
Que se passe-t-il aux États-Unis, et comment expliquer cette colère populaire gigantesque ?
Discriminations et racisme structurel
George Floyd n’est que le dernier d’une longue liste d’Afro-Américains tués par la police. Michael Brown, Keith Lamont Scott, Eric Garner, Sandra Bland, Laquan McDonald, Tamir Rice, Alton Sterling, Breonna Taylor, Freddie Gray, Rekia Boyd, Trayvon Martin, Walter Scott et tant d'autres. La liste est beaucoup trop longue.
Les Afro-Américains ont plus de chances de mourir lors d’un contact avec les forces de l’ordre que de gagner aux jeux à gratter
Ce n’est pas ni un hasard ni un accident. À Minneapolis, entre 2009 à 2019, les Afro-Américains représentaient 60 % des victimes des tirs de policiers alors qu’ils représentent moins de 20 % de la population de la ville. Un Noir sur mille peut s’attendre à être tué par un policier, selon une étude d’août 2019, qui ajoute que les Afro-Américains ont plus de chances de mourir lors d’un contact avec les forces de l’ordre que de gagner aux jeux à gratter.
Mais c’est toute l’histoire des États-Unis d’Amérique qui est marquée par la violence raciste, depuis le massacre des Amérindiens et l’esclavage des Noirs, jusqu’aux meurtres récents, en passant par la mise sur pied des lois qui légalisaient la ségrégation raciale (les « lois Jim Crow »).
Dans les trente années qui ont suivi la Deuxième Guerre mondiale, grâce à l’instauration d’un rapport de force en faveur de l’égalité, le racisme a reculé. Le mouvement pour les droits civiques des Afro-Américains, porté notamment par Martin Luther King et dont la branche radicale se rapproche du marxisme (de Malcolm X aux Black Panthers), a obtenu des avancées importantes dans la lutte pour les droits égaux.
Le rapport de force s’est ensuite malheureusement inversé et, des dizaines d’années et un premier président noir plus tard, le constat est terrible. Aujourd'hui, les manifestants en colère contre la violence policière le sont aussi à cause de la façon dont leurs dirigeants ont géré la pandémie du coronavirus. L’austérité et la misère économique présente dans le pays ont mené à ce que ce soient les Afros-Américains qui ont été les principales victimes de la pandémie. Le slogan « Black Lives Matter » (les vies noires comptent) a pris un ton nouveau et urgent dans un État où les militaires reçoivent beaucoup plus de moyens que le personnel médical. Dans un État en guerre contre les pauvres et qui voit sa propre population noire comme un ennemi de l’intérieur.
La question sociale
« Si vous demandez la fin des troubles, mais que vous ne dénoncez pas la violence policière, que vous ne demandez pas que les soins de santé soient considérés comme des droits humains, que vous ne demandez pas la fin des discriminations en matière de logement, cela revient à demander la poursuite d'une oppression silencieuse », a déclaré Alexandria Ocasio-Cortez, députée de gauche à New York.
La majorité des Afro-Américains font partie de la classe des travailleurs, dont ils constituent une des couches les plus exploitée et opprimée
En plus de la violence policière, les Noirs américains sont confrontés à une violence économique inouïe. Un enfant noir sur trois vit sous le seuil de pauvreté dans la nation la plus riche de la planète. Plus de la moitié des travailleurs afro-américains gagnent moins de 15 dollars de l'heure. Quelque 60 000 Américains, noirs et latinos essentiellement, meurent chaque année faute de ne pas avoir su se payer les soins de santé dont ils avaient besoin. Et, parmi les 500 000 Américains qui étaient déjà sans abri avant la crise du corona, une proportion importante est d’origine afro-descendante. Ils sont également surreprésentés dans les prisons étasuniennes.
Quant aux discriminations à l’emploi ou au logement, elles sont systémiques et bloquent la plupart des personnes noires en-bas de l’échelle sociale. La réussite de quelques individus, représentants vivants du rêve américain, est l’arbre qui cache la forêt. À quelques exceptions près, la majorité de la population afro-américaine fait partie de la classe des travailleurs, dont ils constituent une des couches les plus exploitée et opprimée. Ils sont parmi les premiers concernés dans le combat pour l’augmentation du salaire minimum, pour le droit à la santé et au logement.
Comme le disait Angela Davis, militante communiste et symbole de la lutte des années 1970 aux États-Unis : « Je crois que de plus en plus les Noirs voient le racisme et toute l’oppression dirigée contre les Noirs comme une partie d’un système plus grand, comme une partie du capitalisme. Il est alors nécessaire, pour détruire les racines du racisme, de renverser tout le système ».
Le facteur Trump et la fascisation
Trump tente de faire oublier le bilan de sa gestion calamiteuse du coronavirus et les conséquences économiques de sa politique
Face à ce très large mouvement populaire sur fond de crise économique, Donald Trump et les forces politiques et économiques qu’il représente n’hésitent pas à mobiliser l'appareil de répression. Ils utilisent aussi allègrement les mensonges de l'Alt Right (la nouvelle extrême droite) pour discréditer les organisations progressistes. Donald Trump a ainsi été jusqu’à assimiler le courant antifasciste à une organisation terroriste.
Un couvre-feu a aussi été déclaré dans plus de 40 villes et dans 23 États. Trump menace d'envoyer des milliers de soldats lourdement armés dans les rues. Il pointe du doigts les « gouverneurs faibles » qui refusent de réprimer (assez) violemment les manifestations. Les images de la Maison Blanche sécurisée par des agents des services secrets en uniforme, des agents de la Garde nationale lourdement armés et en tenue de combat complète, ainsi que des véhicules militaires, ont fait le tour du monde.
Trump tente de faire oublier le bilan de sa gestion calamiteuse du coronavirus et les conséquences économiques de sa politique. Pour cela, il instrumentalise les événements afin de criminaliser la résistance et de pousser son agenda de fascisation et de militarisation des États-Unis.
Solidarité de classe
Cependant, là où il y a oppression, il y a aussi résistance. Des centaines de milliers de personnes sont descendues dans les rues de nombreuses villes des États-Unis pour réclamer justice. La jeunesse Afro-Américaine est souvent en première ligne, elle qui est souvent la première victime de ce racisme structurel, mais la diversité et la multiculturalité des manifestants sont aussi impressionnants. L'ampleur de la solidarité grandit, elle se déploie désormais dans la plupart des grandes villes et des États. De nouveaux leaders de ces mouvements sociaux émergent.
Des chauffeurs de bus et leur syndicat ont par exemple refusé dans plusieurs villes de transporter des manifestants arrêtés vers les prisons
Par ailleurs, le soutien au mouvement au sein de différentes couches de la population est large, avec de nombreuses déclarations de personnalités sportives et culturelles, au niveau national comme à l’international.
Le plus frappant est de voir un formidable élan solidaire de classe qui s’exprime. Des chauffeurs de bus et leur syndicat ont par exemple refusé dans plusieurs villes de transporter des manifestants arrêtés vers les prisons. Ils ont publié des appels à la solidarité multiples et demandé justice pour le meurtre de George Floyd et la fin des meurtres racistes aux États-Unis.
À Minneapolis même, les chauffeurs ont lancé une pétition : « Nous refusons que notre travail soit utilisé pour aider le département de police de Minneapolis à mettre fin aux appels à la justice [des manifestants] ». Plus de 400 syndicalistes, dont des postiers, des infirmières, des enseignants, des travailleurs d'Amazon et des employés d'hôtels de Minneapolis, ont signé cette pétition en solidarité avec le mouvement de protestation. Le syndicat des chauffeurs a déclaré : « Au sein de l'ATU [syndicat des chauffeurs de bus], nous avons une formule pour réagir aux agressions contre les chauffeurs : "Pas une de plus !". Aujourd'hui, nous disons "Pas une de plus !" face au meurtre d’une personne noire par la police. Pas une de plus ! Justice pour George Floyd. »
« En tant que travailleur des transports et membre du syndicat, je refuse de transporter des gens de ma classe et des jeunes activistes en prison, a publié Adam Burch, un chauffeur de métro de 32 ans. Une blessure à l’un de nous est une blessure a nous tous. La police a assassiné George Floyd. Protester contre cela est complètement justifié, et cela doit continuer jusqu’à ce que les demandes soient rencontrées. »
Si les violences policières en sont le point de départ et le symbole, l’enjeu du grand mouvement de contestation en cours aux États-Unis dépasse largement cette question. C’est aussi pourquoi il trouve de tels échos ailleurs dans le monde. Le développement de la solidarité et la capacité à construire un large mouvement rassemblant l’ensemble des travailleurs sera déterminante pour faire plier Trump et l’élite états-unienne.
Combattre le racisme par la solidarité
En Belgique aussi, l'extrême-droite reprend les mots d'ordre de Trump qui accuse les antifascistes d’être des terroristes. Le leader du Vlaams Belang, Tom Van Grieken, a partagé le tweet de Trump contre les antifascistes. Mais, en Belgique aussi, des actions de solidarité se mettent en place, comme à Gand et Bruxelles le dimanche 31 mai. Le mouvement de jeunes du PTB, RedFox a également pris en main une action de solidarité symbolique simultanée à Anvers et Liège le samedi 30 mai (voir photo ci-dessous).
En Europe, la question des violences policières et du racisme est d’ailleurs aussi présente, à un autre niveau que ce qui se passe aux États-Unis, évidemment. L’actualité récente en Belgique et en France montre cependant qu’il y a aussi du chemin à faire ici.