De Wever met le turbo vers une Flandre d'ultra-droite, élitiste et nationaliste
On pourrait penser qu’une nouvelle coalition suédoise en Flandre signifie business as usual, avec cinq nouvelles années de la même politique. Faux. Depuis les élections, Bart De Wever avance à grands pas dans la direction d’une Flandre d’une droite particulièrement dure, élitiste et nationaliste. Sa note de base pour le prochain gouvernement flamand se lit comme un manuel d’idées néolibérales. Il a rendu le Vlaams Belang d’extrême droite tout à fait fréquentable et des propositions qui ont longtemps été impensables sont reprises sans gêne aucune. De plus, il organise un blocage total de la formation d’un gouvernement fédéral afin de pouvoir scinder le pays, chose qu’aucun électeur n’a demandée. Nous avons besoin d’une alternative sociale claire pour inverser cette tendance.
Le signal de l’électeur était social
Le 26 mai, l’électeur a flanqué aux partis de la coalition suédoise une gifle monumentale. Les partis au gouvernement – la N-VA, le CD&V et l’Open Vld – ont perdu ensemble plus d’un demi-million de voix. C’était un signal fort contre la politique d’austérité des cinq dernières années. Un signal social, pour des factures plus basses, des meilleures pensions, des logements payables. Le Vlaams Belang a habilement joué sur la situation pour coupler de manière démagogique des revendications sociales à une rhétorique raciste et islamophobe et a ainsi pu engranger beaucoup de voix. Mais le PTB, qui a mis de nombreux thèmes sociaux à l’agenda, a également fortement progressé.
Deux mois après les élections, De Wever and co ont balayé toutes les préoccupations sociales.
Deux mois après les élections, De Wever and co ont balayé toutes les préoccupations sociales. La N-VA veut mettre le turbo sur la compétitivité des entreprises flamandes, tandis que la population peut s’attendre à de l’austérité et à de la casse sociale. Le Vlaams Belang et ses idées racistes et nationalistes sont mis en avant pour cacher l’agenda antisocial du prochain gouvernement. Alors qu’une grande partie du budget va bénéficier aux grandes entreprises, De Wever veut faire en sorte que les Flamands se battent avec les « nouveaux arrivants » pour les miettes.
Agenda néolibéral
Dans la note de base aux négociations pour un nouveau gouvernement flamand, Bart De Wever passe à une vitesse encore supérieure vers une politique particulièrement néolibérale. Les grandes entreprises peuvent compter sur un soutien royal, alors que de nombreuses personnes sont laissées sur le bord de la route. « La barre se situe là où nos entreprises l’ont demandé », se réjouit l’organisation patronale flamande Voka. Mais le Netwerk tegen Armoede (le réseau flamand contre la pauvreté), lui, réagit en se déclarant « très inquiet ».
Les grandes entreprises peuvent compter sur un soutien royal, alors que de nombreuses personnes sont laissées sur le bord de la route.
« Partout où il s’agit du domaine économique, il faut "exceller". Mais quand il s’agit d’objectifs sociaux, c’est la "faisabilité" qui prime », analyse la FGTB. Alors que les prix des loyers explosent et que 135 000 personnes sont sur une liste d’attente pour un logement social, De Wever revoit les ambitions à la baisse en matière de logements sociaux supplémentaires. À Gand, Anvers, Malines et Hasselt, les centres urbains où le besoin en logements abordables est le plus grand, on annonce même un arrêt de la construction de nouveaux logements sociaux.
Alors que notre pays compte déjà actuellement 400 000 malades, soit plus que jamais auparavant, c’est un taux d’emploi de 80 % qui est fixé comme objectif. Cela signifie que non seulement les malades et les aînés seront mis sous pression pour être sur le marché du travail, mais aussi les malades de longue durée et les personnes atteintes d’un handicap. La pression sur les salaires et les conditions de travail sera ainsi renforcée. « En ce qui concerne le travail faisable, de bons salaires ou la discrimination, il n’y a pas un mot », observe la FGTB. Dans les services publics, on continue encore plus loin dans la voie de l’austérité et de la flexibilisation de ces dernières années. Les embauches statutaires sont stoppées et les services publics seront encore plus abimés.
L’argent ainsi libéré, De Wever le transfère conformément à la volonté du Voka vers les grandes multinationales sous forme de capital à risque et d’investissements dans la recherche et le développement. Pour De Wever, même l’Union européenne doit aider à cela, analyse Sacha Dierckx, du groupe de réflexion progressiste Minerva. « Les États-membres doivent continuer à se concurrencer par des impôts plus bas pour les multinationales et des travailleurs meilleur marché. Il faut plus d’accords internationaux de libre-échange – comme cela figure dans la note – mais pas d’accords européens ou internationaux qui empêchent une spirale vers le bas au plan des droits sociaux et des droits du travail, des impôts ou des règlements environnementaux et climatiques. » Pour faire exceller la grosse industrie flamande, la politique climatique doit avant tout être « réaliste » et surtout ne pas demander d’efforts aux multinationales polluantes. Il faut des procédures d’autorisation souples pour ne pas leur mettre de bâtons dans les roues.
Une Flandre pour l’élite
« Nous voulons faire de la Flandre une communauté chaleureuse pour chacun », affirme De Wever dans sa note. Toutefois, « le seuil de la porte pour accéder au buffet sera plus élevé », a-t-il ajouté à l’émission télévisée Terzake. Mais ceux qui habitent depuis plus de 5 ans en Belgique ne doivent pas non plus s’attendre à une politique chaleureuse. En « dépeignant les personnes d’origine étrangère comme des gens qui ne respecteraient pas l’État de droit et ne prendraient pas leurs responsabilités de citoyen dans la société », comme l’écrit le Minderhedenforum (le Forum des minorités, qui regroupe les associations culturelles des personnes d’origine immigrées en Flandre), il veut monter les Flamands « de souche » contre ceux d’origine immigrée les uns contre les autres et faire oublier que sa note est rédigée sur mesure pour l’élite.
De Wever veut monter les Flamands « de souche » contre ceux d’origine immigrée et faire oublier que sa note est rédigée sur mesure pour l’élite.
De Wever ne veut pas du tout d’une politique sociale pour les Flamands. Il renforce la chasse aux malades de longue durée, bloque la construction de logements sociaux et va pénaliser encore plus les gens en situation de pauvreté. La pauvreté des enfants, qui ne cesse d’augmenter, n’est même pas mentionnée dans la note. Il veut déconstruire les dispositifs d’aide sociale et les services publics, pierre après pierre, pour pouvoir distribuer de plus en plus de cadeaux aux grandes multinationales.
Ce choix en faveur de l’élite constitue un fil rouge à travers les projets en matière d’enseignement figurant dans la note. Notre enseignement est l’un des plus inégalitaires au monde. Arriver dans l’enseignement supérieur est bien plus difficile pour les enfants issus de la classe ouvrière. S’attaquer à cette inégalité est considéré par De Wever comme une baisse de niveau et un nivellement vers le bas. Des écoles d’élite pour les meilleurs, telle est sa priorité. On balaie donc les modestes mesures pour plus de démocratisation via une meilleure mixité sociale et un choix des études plus tardif, et on maintient les absurdes cloisons entre l’enseignement général, technique, professionnel et artistique. Des examens centralisés doivent en outre attiser encore davantage la concurrence entre les écoles.
Le profond fossé social dans notre enseignement est délibérément maintenu en place. Et si à cause de cela les parents doivent camper devant les portes d’école, tant pis, c’est comme ça. Sur des mesures qui peuvent faire exceller chaque élève, comme remédier à la préoccupante pénurie d’enseignants, pas un mot. Pour finir, l’interdiction générale du port du foulard dans l’enseignement officiel doit donner à des milliers de jeunes et enseignants le signal qu’ils ne sont pas les bienvenus.
Le Vlaams Belang tient la plume
« La N-VA n’est pas une digue mais un pont vers l’extrême droite », a dit le président du PTB Peter Mertens le soir des élections. Aujourd’hui, on constate que la politique antisociale et le discours de droite de De Wever and co n’ont fait que rendre le Vlaams Belang de plus en plus grand. En discutant des mois avec le Vlaams Belang après les élections, la N-VA a aussi tout fait pour traiter ce parti comme un parti normal. « La raison pour laquelle il n’y a pas de coalition de la N-VA avec le Vlaams Belang, c’est qu’il manque quelques sièges à ces partis, observe le politicologue Bart Maddens. Une coalition avec le Vlaams Belang est une perspective réaliste pour la N-VA. » Un front d’extrême droite nationaliste flamand est ainsi constitué en vue d’une majorité absolue aux élections de 2024.
La politique antisociale et le discours de droite de De Wever and co n’ont fait que rendre le Vlaams Belang de plus en plus grand.
De Wever maintient qu’une telle collaboration n’est envisageable que si le Vlaams Belang se positionne du bon côté de la « Grande muraille » qui, selon le président de la N-VA, séparerait son propre « nationalisme inclusif » et l’idéologie d’extrême droite. Cependant, cette muraille se réduit peu à peu à peau de chagrin. Les divergences se limitent au style, mais le contenu est bel et bien similaire. « En réalité, écrit Bart Eeckhout, journaliste au Morgen, il s’agit plutôt d’une paroi composée de panneaux mobiles qui reculent de plus en plus. En repoussant progressivement ces panneaux, le VB est parvenu à mettre en place une bonne partie des 70 points de son programme révoltant ».
C’est bien ce qui ressort de la note de départ de Bart De Wever, qui conditionne les droits sociaux, ouvrant ainsi la voie à une société de citoyens de première ou seconde zone. Et ce, « non pas uniquement pour tenir compte de la victoire électorale du Vlaams Belang dans l’accord. La N-VA est bel et bien aussi à l’origine de cette proposition », insiste le politologue Carl Devos. « Selon la note, quiconque voudra faire valoir ses droits à la sécurité sociale flamande et à d’autres avantages sociaux devra auparavant avoir résidé pendant 5 ans en Belgique. Et ça, ce n’est rien d’autre qu’une sécurité sociale spécifique pour les étrangers. A savoir le point 49 du programme du Vlaams Belang », explique Sacha Dierckx. « Le point 54 de ce programme porte sur une réduction des allocations familiales pour les non-Européens. La note de départ prévoit une période d’attente de six mois pour les nouveaux arrivants. »
« Avec de nouvelles conditions, des contrôles et sanctions supplémentaires, la N-VA rend l’intégration et la participation des nouveaux arrivants plus difficile dans la société, réagit Landry Mawungu, directeur du Minderhedenforum (Forum des minorités), ce sont des mesures qui atteignent petit à petit les personnes les plus vulnérables et issues de l’immigration, et qui auront précisément l’effet inverse sur leur intégration ». Le Gezinsbond (la Ligue des familles flamande) et la Kinderrechtencoalitie (Coalition pour les droits de l’enfant) rappellent à cet égard que les allocations familiales constituent un droit de l’enfant, qui n’a pas à dépendre de la situation des parents. Restreindre ce droit ne fera qu’aggraver encore la pauvreté infantile dans notre pays.
Le Vlaams Belang reste le parti qu’il a toujours été, celui qui a été condamné en 2004 pour incitation à la haine et racisme. Les personnes sont les mêmes, le programme est le même, les objectifs sont les mêmes. Le Vlaams Belang n’a pas hésité à accueillir à bras ouverts Dries Van Langenhove, inculpé pour racisme, négationnisme et port d’arme illégal. Seul changement de cap dans le parcours du président actuel de la formation d’extrême droite, Tom Van Grieken : en matière de politique sociale, le Vlaams Belang se comporte désormais comme un loup dans la bergerie. Absolument aucune des mesures sociales avancées lors de sa campagne n’est reprise dans la note de départ, si durement négociée. La nouvelle devise du parti, favorable à une politique économique néolibérale dure, pourrait donc être « les riches d’abord ».
Le nationalisme qui rassemble…
Pour camoufler son attaque en règle vis-à-vis des travailleurs, Bart De Wever mise tout sur la création d’une « conscience flamande » collective. Il alimente le sentiment nationaliste pour nous faire croire que tous seront unis, du travailleur flexible à l’actionnaire, de l’allocataire social au PDG, dans la « Grande Flandre ». Bientôt, nous apprendrons au Musée de l’histoire flamande (dont la fondation est prévue dans la note) que les Flamands partagent une même histoire, de mêmes valeurs et de mêmes intérêts, en toute fraternité. La culture sera réduite au statut d’outil de propagande et de simple carte de visite pour la Flandre.
Bart De Wever pousse très loin l’instrumentalisation de l’enseignement, de la culture et de la chaîne publique VRT au service de son projet nationaliste. « Le nouveau ministre de la Culture devra se limiter à faire la promotion des “Maîtres flamands” qui, et c’est pathétique, finiront en vulgaires mascottes destinées à glorifier la grandeur de la Flandre », déplore Christophe Callewaert, qui ajoute : « la VRT devra elle aussi se consacrer à la formation de l’“identité flamande” ». De nombreux historiens s’insurgent aussi contre la création de « canons flamands », soit une liste de personnalités et d’événements flamands que chaque élève devra apprendre au cours de son parcours scolaire. Or, pour Karel Van Nieuwenhuyse, professeur à la KU Leuven, « le plaidoyer en faveur de tels canons flamands tend vers une forme de supériorité ».
Le confédéralisme est une attaque directe contre les acquis sociaux des travailleurs dans notre pays.
Jamais la division du pays n’a été un thème de la campagne. Seuls 6 % des Flamands souhaitent une nouvelle réforme de l’Etat, presque aussi peu que les 5 % de la Belgique francophone. Par ailleurs, une enquête récente a montré que Flamands, Wallons et Bruxellois partagent les mêmes priorités : un impôt juste sur les grosses fortunes, une pension minimale de 1 500 euros ou le maintien de l’indexation des salaires.
Néanmoins, De Wever utilise le gouvernement flamand pour bloquer tout le pays. Une nouvelle étape dans la prise en otage des résultats des élections afin de réaliser la « mission historique » de De Wever : le confédéralisme. Cette division du pays vise le même objectif que la politique de droite qu’il veut mener en Flandre. Avec le démantèlement de la sécurité sociale, de la négociation collective sur les salaires ou l’indexation automatique des salaires. Le confédéralisme est une attaque directe contre les acquis sociaux des travailleurs dans notre pays. C’est la solidarité qu’on brise. Pas seulement entre les travailleurs des différentes régions du pays, mais aussi entre les secteurs faibles et les secteurs forts, entre les personnes en bonne santé et les malades de longue durée, etc.
Nécessité d’un contre-mouvement positif et d’une contre-culture
La note de départ de De Wever répond aux souhaits de la grande industrie et réserve aux travailleurs de Flandre l’austérité et le démantèlement social. Les Flamands ont besoin de logements abordables et de factures moins élevées pour les soins de santé, l’éducation, l’eau et l’énergie. Nous avons besoin d’une éducation qui fasse briller tous les talents et qui élimine enfin les inégalités sociales. Nous avons besoin d’un système de transport public bien développé, de normes contraignantes pour les multinationales polluantes et d’une isolation massive des maisons. La lutte contre la pauvreté des enfants doit enfin être menée de manière ambitieuse. Face à un nationalisme étroit, nous avons besoin d’une contre-culture positive. Une culture des travailleurs de Flandre et d’au-delà. Dans toute leurs diversités et avec toute leurs expériences dans la lutte pour une société plus juste.
Pour contrer les plans de De Wever, il faut un vaste contre-mouvement en faveur d’une alternative sociale, durable et juste. De la société civile et des syndicats qui s’indignent à juste titre au secteur culturel et au mouvement pour le climat, qui appellent à l’action. Si nous voulons faire du logement un droit, lutter vigoureusement contre la pauvreté, œuvrer en faveur d’une véritable inclusion et garantir la qualité de vie sur notre planète, nous n’avons d’autre choix que d’unir nos forces et défendre une politique totalement différente. Ce mouvement peut compter sur le soutien du PTB, le seul parti en Flandre qui n’a pas louvoyé avec la N-VA afin de pouvoir participer au pouvoir. De la rue au Parlement, nous contribuerons à mettre les priorités sociales à l’ordre du jour.