COP28 : entre les paroles et les actes, il y a un précipice
« Historique. » C'est ainsi qu'est qualifiée la COP28 qui vient de se terminer à Dubaï. Bien que l'appel en faveur d'une « transition hors des énergies fossiles » est incontestablement positif, il est entaché par de nombreuses faiblesses. Pour espérer un changement à la hauteur des enjeux, ces déclarations doivent se traduire en actes. Et il faut rompre avec les intérêts des géants du pétrole.
Du 30 novembre au 12 décembre, Dubaï a accueilli la COP 28, le sommet mondial sur le climat. C'était l'occasion d'évaluer les actions entreprises depuis l'accord de Paris en 2015, un accord visant à limiter le réchauffement climatique entre 1,5 et 2 degrés d'ici 2100. L'un des principaux enjeux était la sortie des énergies fossiles, notamment du pétrole, du gaz et du charbon, responsables de 90 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales.
Pour la première fois en trente ans, les conclusions de la COP, adoptées par l’ensemble des 192 pays participants, pointent la nécessité de « transitionner hors des énergies fossiles ». Des engagements sont aussi pris pour tripler le développement des énergies renouvelables. Un fond pour couvrir les pertes et dommages provoqué par le dérèglement climatique dans les pays du sud a également été créé. Un succès pour la diplomatie mondiale, dans un contexte international où les réunions réunissant l’ensemble des pays de la planète et aboutissant à un accord unanime sont rares.
L’accord, annoncé comme « historique », ne le deviendra réellement qu’une fois que les discours se traduiront en actes. Ne l’oublions pas : les textes issus des COP n’ont rien de contraignant. Il y a urgence : avec les plans climatiques présentés par les États à la COP, on se dirige vers un réchauffement de 2,9 degrés, près de deux fois supérieurs aux objectifs internationaux.
2 400 lobbyistes à Dubaï
Il y a un certain flou dans le texte final de la COP. À qui la faute ? Si on écoute le discours officiel, l’Europe et les États-Unis auraient poussé jusqu’à la fin de la COP28 pour obtenir un résultat plus ambitieux. Ils se présentent comme les champions de la transition climatique.
Une raison évoquée pour expliquer la difficulté d’aboutir à un texte fort est la présence massive des lobbyistes du gaz et du pétrole. Ils étaient plus de 2 400 à Dubaï, soit quatre fois plus que lors de la COP27. Leur influence a été significative. Ils ont joué un rôle déterminant dans la rédaction du texte final de la COP28. Ils ont poussé à des formulations atténuant la nécessité de sortir des énergies fossiles, au profit d’une réduction de leur production et consommation, tout en favorisant des solutions technologiques douteuses comme la capture et la séquestration du carbone. De plus, ils ont obtenu un statut particulier pour le gaz en tant qu'énergie de transition, permettant ainsi d'investir et d'utiliser le gaz plus longtemps.
Le spécialiste des politiques climatiques Maxime Combes résume le bilan comme ceci : « Le jour où la décision internationale sera prise de laisser 80 % des énergies fossiles dans le sol, la quotation boursière de TotalEnergies, Shell, BP et consorts s'effondrera immédiatement. » Si ce n’est pas le cas, c’est que la COP n’a rien convenu de dangereux pour leurs profits et les dividendes de leurs actionnaires.
Ce sont d’abord les dirigeants occidentaux qui ont laissé une telle place aux lobbys. Patrick Pouyanné, PDG de TotalEnergies, est connu pour avoir déclaré : « Ce dont nos actionnaires se préoccupent, c’est de la durabilité des dividendes ». Il était l’invité officiel de la délégation française. Comme lui, 132 lobbyistes des énergies fossiles étaient intégrés aux délégations des pays de l’Union européenne, ce qui leur donnait accès à toutes les réunions de la COP, y compris celles dont la presse et les ONG sont exclues. D’après l’ONG Corporate Europe Observatory, la délégation officielle belge comprenait 26 représentants du lobby des énergies fossiles.
L’Europe et les États-Unis, vraiment bons élèves ?
Cet écart entre les déclarations officielles et les actes se retrouve aussi au niveau de l’action des États. Pendant et après la COP, l’Europe et les États-Unis se sont présentés comme ceux qui ont poussé pour un texte plus ambitieux. Mais les faits montrent autre chose.
Au nom de sa « sécurité énergétique », l’Europe investit massivement dans les infrastructures d’importation de gaz. Il est question d’en doubler la capacité dans les prochaines années. Elle devient le marché privilégié des États-Unis, premier producteur mondial de gaz grâce à la production de gaz de schiste. Les importations de gaz naturel liquéfié (GNL) en provenance des États-Unis ont augmenté de 140 % depuis 2021. En parallèle, les États européens sont occupés à signer des contrats d’approvisionnement en GNL qui les engagent sur plus de trente ans, donc au-delà de 2050, date à laquelle il ne devrait plus y avoir d’utilisation des énergies fossiles.
Par contre, les investissements dans le renouvelable sont à la traîne. Ils ont chuté de près de 50 % dans l’éolien en 2022. Il y a une semaine, le journal De Tijd titrait à propos des projets éoliens en Mer du Nord : « La mer du Nord, la centrale électrique de l'Europe ? Pour l'instant seulement un château de sable ». L’article expliquait qu’on atteindrait à peine le quart des objectifs de développement de l’énergie éolienne en mer du Nord à l’horizon 2030.
Le plus grand pétro-État du monde
Les États-Unis, malgré leur rhétorique en faveur d'objectifs ambitieux de sortie des énergies fossiles, cherchent à tripler leurs capacités d'exportation de gaz d'ici 2030. La crise de l’énergie européenne a rendu cette activité très rentable, au point que les big oil américains, ExxonMobil ou Chevron, y investissent des milliards pour racheter les plus petits acteurs et creuser de nouveaux puits.
Pas étonnant que les États-Unis aient insisté pour inscrire le gaz comme « énergie de transition » dans le texte de la COP28. Dans une logique de nouvelle guerre froide, Europe et États-Unis se mettent d’accord pour développer toujours plus leur commerce de gaz, mais en essayant de le colorer en vert. L’expert en énergie de Bloomberg, Javier Blas résume : « Ne parlons plus de Gaz Naturel Liquéfié, mais bien de LFT. » « Liquified Transition Fuel », que l’on pourrait traduire par carburant liquéfié de transition.
L’ancien Vice-président états-unien Al gore dit que la COP28 a été proche de l'échec complet à cause des « pétro-États ». Mais le plus grand pétro-État du monde, celui qui a le plus augmenté sa production au cours des dernières années pour se hisser à la première place mondiale de la production de gaz et de pétrole, c’est les États-Unis. Lorsqu’ils disent pousser pour des objectifs internationaux plus ambitieux de sortie des énergies fossiles, leur crédo est : « Faites ce que je dis, pas ce que je fais. » Et l’Europe alimente cette hypocrisie en devenant leur meilleur client.
Sans financement, pas de transition
Exiger la sortie des énergies fossiles sans financement rend impossible cette sortie pour toute une série de pays. « No finance, no phase out. » (« Pas d’argent, pas de sortie des énergies fossiles. ») C’est ce qu’explique le Ministre nigérian de l'environnement : « Demander au Nigeria, voire à l'Afrique, de renoncer progressivement aux combustibles fossiles sans mettre à disposition les financements nécessaires revient à demander d'arrêter de respirer sans masque à oxygène. » C'est inacceptable et impossible.
Les engagements climatiques des pays du Sud sont conditionnés à des financements massifs, stables et prévisibles. Mais on doit aussi prévoir un fond pour se protéger des conséquences déjà visibles du dérèglement climatique. Vu leur responsabilité historique dans les émissions de gaz à effet de serre, c’est aux pays du nord d’aider les pays du sud à financer ces investissements.
La création, dès le premier jour de la COP, d’un fond international « Loss and Damages », qui vise à aider les pays du sud à faire face aux conséquences actuelles et futures du dérèglement climatique, est une bonne nouvelle. Mais encore faut-il alimenter ce fond, pour aider les pays du sud à investir dans la sortie des énergies fossiles. Or, sur ce plan, la COP se termine avec quasiment aucun engagement de l’Europe ou des États-Unis.
Où sont passés les 100 milliards de dollars par an promis ?
Les pays du sud sont ressortis choqués par le montant dérisoire accordé par les puissances occidentales pour aider les États à s’adapter au réchauffement (655 millions de dollars là où 350 milliards seraient nécessaires chaque année).
Vous souvenez-vous de la promesse faite par les pays riches aux pays pauvres à la COP15 en 2009 à Copenhague ? Ils s’étaient engagés à mettre 100 milliards de dollars par an sur la table jusqu’à 2020 pour les aider à mener la transition. 14 ans après, le texte de conclusion de la COP 28 « note avec de profonds regrets » que cet objectif n'est pas atteint.
Suite au lobbying des Etats-Unis en particulier, la référence explicite de la responsabilité des pays développés dans le financement de ce fond a même été supprimée du texte. Les États-Unis sortent de la COP 28 en ayant promis à peine 20 millions de dollars de financements additionnels aux pays du sud.
« Les pays riches sont en défaut, déclare Yelter Bollen, expert en climat à la Bond Beter Leefmilieu, (une organisation flamande qui réunit plus de 140 association de protection de la nature et de l'environnement). Le monde est appelé à s'engager, mais en même temps, les pays riches ne mettent toujours pas suffisamment d'argent sur la table pour rendre cette transition possible partout. »
Faire le switch vers plus la paix et la coopération
Si on veut réussir à sortir des énergies fossiles, permettre aux gens de se déplacer et de se chauffer, permettre aux usines de tourner, il y a une urgence : mettre les big oil, les géants privés du secteur du gaz et du pétrole, hors-jeu et développer la coopération internationale pour relever ce défi mondial.
Cela veut dire planifier de manière démocratique notre sortie des énergies fossiles, pour que ce ne soit pas les profits à court terme ou les aléas des marchés qui déterminent les choix et le rythme des investissements mais nos besoins collectifs. C’est ce que nous expliquons dans la dernière vidéo Fakto.
C’est aussi investir publiquement dans la production d’énergie renouvelable et créer une entreprise publique qui contrôle et distribue cette énergie et en détermine le prix de vente. Pour que les énergies renouvelables ne deviennent pas les sources de profit de demain des géants privés de l’énergie. C’est la logique de notre « switch » : investir publiquement dans l’énergie, mais aussi dans l’isolation des bâtiments et dans les transports publics, produire suffisamment d’énergie verte. Bon pour le climat et le portefeuille des travailleurs.
Nous voulons une planification publique de la transformation de notre énergie qui vise à renforcer la coopération internationale. Cela veut dire que les pollueurs historiques doivent assumer leur part juste de l’effort climatique. Cela passera par un partage des connaissances et des technologies, contre la logique de guerre froide dans laquelle veulent nous enfermer les va-t-en-guerre européens et américains.
La planète d’abord, pas le profit. Stop aux géants du pétrole ! Les travailleurs européens et du monde entier ont tout à gagner : de l’énergie verte et moins chère, une planète vivable, du travail pour développer, produire et installer les technologies qui nous permettront de nous passer des énergies fossiles.