« Ce que nous avons appris de dix jours à faire des testing dans des maisons de repos »
Ces derniers jours, des équipes mobiles corona de Médecine pour le Peuple (MPLP) sont allées dans des maisons de repos à Bruxelles, Charleroi, Borsbeek et Zelzate pour y tester tout le monde, personnel et résident. Ce qu'ils y ont vu est inquiétant. « Sur le terrain, c’est le chaos, écrit Anne Delespaul, médecin et porte-parole de Médecine pour le Peuple. Et le gouvernement se contente de regarder.
Pas un jour ne passe sans qu’on entende parler de la situation désastreuse dans nos maisons de repos : des soignants qui ne disposent pas d'un équipement suffisant, des résidents qui tombent malades les uns après les autres, du personnel soignant surchargé, la peur de tomber malade et de contaminer les autres... Pour Médecine pour le Peuple, les maisons de repos sont le lieu où il faut agir maintenant en tant que soignant. Nous devons faire tout notre possible pour enrayer la propagation du virus dans les maisons de repos et, pour cela, il faut identifier les personnes infectées. Il faut donc effectuer des tests.
Or ces dernières semaines, les tests ont été tout à fait insuffisants, les kits de tests disponibles ont été fournis sans la notice d’instructions appropriée, les maisons de repos ont dû tout organiser toutes seules... Bref, sur le terrain, c’est le chaos.
Expérience pilote
Comme le gouvernement n’arrive pas à organiser les opérations, une équipe de Médecine pour le Peuple est allée le 7 avril à la maison de repos Zilverbos à Zelzate (Flandre-Orientale) pour y tester l’ensemble des résidents et du personnel. Cette expérience pilote nous a appris que tester une maison de repos comme celle-ci représente toute une opération logistique et médicale : le personnel, le matériel, les protocoles pour pouvoir effectuer les tests en toute sécurité, la manière de traiter les résultats par la suite... Toute une organisation qui nécessite suffisamment de personnel, de connaissances et de matériel.
Une chose est sûre : sur le terrain, tout le monde fait de son mieux
Nous voulions utiliser davantage nos équipes médicales et nos connaissances pour aider d'autres maisons de repos : en donnant des explications, en faisant des tests, en apportant un soutien moral et une aide concrète pour les soins ultérieurs des résidents. Dix jours sur le terrain dans les différentes régions du pays nous ont beaucoup appris...
Une chose est sûre : sur le terrain, tout le monde fait de son mieux. Les professionnels des soins, les médecins, le personnel de cuisine, le personnel de nettoyage, les bénévoles… tous sont très motivés pour lutter contre ce virus. Des ONG telles que Médecins Sans Frontières et la Croix-Rouge, mais aussi des associations comme la Fédération des Maisons médicales font également tout leur possible pour remédier à la situation.
La combativité et l'engagement de toutes ces personnes sur le terrain contrastent fortement avec nos nombreux gouvernements et ministres qui manquent à leur mission. Leur absence d’action énergique entraîne chaos et confusion sur le terrain, ce qui est indigne d'un pays riche comme la Belgique.
Y a-t-il un pilote dans l’avion ?
Il n'y a pas de direction centrale du gouvernement. Le ministre Philippe De Backer (Open vld), en charge de la fourniture de matériel de protection, et les ministres régionaux de la Santé Christie Morreale (PS) et Wouter Beke (CD&V) affirment que des dizaines de milliers de tests sont actuellement planifiés et mis en place dans des maisons de repos de tout le pays. Dans les médias, on entend que des « taskforces » poussent comme des champignons. Sur le terrain cependant, le chaos et la confusion persistent, et la réaction est beaucoup trop lente.
Avec Médecine pour le Peuple, nous avons téléphoné de manière proactive aux maisons de repos pour leur offrir notre aide. Mais ne serait-il pas plus efficace que le gouvernement le fasse de façon centralisée ?
Avec Médecine pour le Peuple (MPLP), nous avons téléphoné de manière proactive aux maisons de repos pour leur offrir notre aide. Nous avons pu aider à réaliser plusieurs dépistages généralisés, sur le modèle de notre projet pilote à Zelzate. Mais ne serait-il pas beaucoup plus efficace que le gouvernement envoie de manière centralisée suffisamment de personnel là où les tests sont envoyés ?
Sur le terrain, les soignants sont livrés à eux-mêmes et doivent se débrouiller pour tout régler. Par exemple, un médecin coordinateur d'une maison de repos nous a contactés : à 16 heures, il avait reçu des tests avec le message que ceux-ci seraient repris le lendemain à 11 heures pour être envoyés au labo d’analyses. « Comment pourrais-je tester mes 100 résidents et membres du personnel dans ce délai ? » Impossible, évidemment.
L'aide nécessaire est censée venir d'autres médecins généralistes : le gouvernement a notifié à toutes les coordinations de médecins généralistes flamands d’« aider dans cette opération logistique ». Mais si, en tant que médecins, nous contactons nous-mêmes l'agence pour demander où nous pouvons concrètement aider, on nous répond qu’« il faut contacter une maison de repos proche pour savoir si une aide y est nécessaire ». À Bruxelles, c’est la même chose. Ce ne sont donc pas seulement les maisons de repos qui n’ont aucune idée de quand les tests auront lieu, mais le gouvernement lui-même n'a aucun planning indiquant où et quand cette aide est nécessaire.
Sans les explications précises et les protocoles appropriés, les tests risquent pourtant de ne pas être effectués de manière correcte et sûre. Organiser le dépistage ne se limite pas à la livraison d'une boîte et à son ramassage le lendemain. Les médecins doivent effectuer les tests correctement et les soignants doivent utiliser l'équipement de protection correctement, sinon l’opération risque de provoquer de nouvelles infections. Les maisons de repos doivent également savoir comment préparer leur personnel et leurs résidents. Ces directives devraient venir du gouvernement. Le fait que chaque organisation doive se débrouiller seule est totalement inefficace.
Dans la situation actuelle, il est impossible de tester toutes les maisons de repos au cours des deux prochaines semaines. Une approche planifiée et centrale est nécessaire. Il faut un plan indiquant quelle maison de repos sera testée à quel moment, et celles-ci doivent en être informés à l'avance. Le jour du testing, des équipes doivent être prévues pour effectuer ces tests et des équipements de protection suffisants doivent être fournis. Les équipes doivent être coordonnées, formées et mises sur pied à un niveau central afin que les personnes et le savoir-faire disponibles soient déployés aussi efficacement que possible.
« Nous voulons aider ! »
« Nous faisons ce que les ministres et leurs taskforces ne font pas : organiser, travailler en équipe et faire de la prévention »
De nombreux étudiants dans les filières des soins de santé et de personnes ayant une formation médicale sont prêts à aider sur le terrain, mais le gouvernement ne les implique pas. Il y a par exemple des médecins en milieu scolaire qui figurent sur la liste de réserve du ministre Beke mais qui ne sont pas contactés, des étudiants en médecine qui restent chez eux parce qu’on ne leur fournit pas l’assurance nécessaire, des médecins généralistes stagiaires qui ont peu de travail mais qui ne sont pas autorisés à gagner des points de stage dans un centre de soins résidentiel, des étudiants en soins infirmiers qui ne sont pas autorisés par le VDAB (l’équivalent en Flandre du Forem et d’Actiris) à apporter leur aide, des infirmières hospitalières qui sont mises au chômage économique... Tous ne demandent qu'une chose : « Laissez-nous aider ! »
C’est le cas de Tao, étudiant en dernière année de médecine. Cette semaine, il a accompagné une équipe de Médecine pour le Peuple dans une maison de repos pour effectuer des tests et donner des informations. Il explique : « Nous faisons ce que les ministres et leurs taskforces ne font pas : organiser, travailler en équipe et faire de la prévention. Aujourd’hui, je suis heureux d'avoir pu me rendre utile. Et de plus, j'apprends beaucoup plus ici qu’assis à côté de mon maître de stage qui est tout le temps en consultation téléphonique. » Tao a ensuite immédiatement motivé ses camarades de cours à faire de même.
Du matériel… et les instructions correctes
Comme il existe toujours une pénurie d’écouvillons (sorte de cotons-tiges) adaptés aux prélèvements, plusieurs types d’écouvillons sont utilisés. Les médecins ne savent pas toujours clairement lesquels sont destinés à quels prélèvements. L'utilisation d'un écouvillon de frottis de gorge pour un prélèvement nasal ne donne pas nécessairement un résultat fiable. Des notices d’instructions claires et correctes doivent donc être jointes aux kits de test, ce qui n’est pas toujours le cas.
Dès le début de cette crise, la pénurie de matériel s’est avérée consternante
Par ailleurs, les maisons de repos manquent toujours de masques et de blouses de protection. Ce matériel est d’autant plus indispensable lorsque plusieurs résidents présentent des symptômes. Cependant, les consignes d'utilisation du matériel sont encore et toujours dictées par la pénurie. On constate par exemple que le personnel ne porte pas systématiquement de masque. Le risque de transmettre involontairement le virus aux résidents est pourtant alors plus important. Le besoin de blouses est lui aussi très grand, notamment parce que les soignants sont en contact proche avec les résidents lors des toilettes et des soins.
Parfois, il n'y a pas non plus suffisamment de bouteilles d'oxygène pour les résidents qui en ont besoin. Les soignants doivent alors choisir à qui donner de l'oxygène et à qui ne pas en donner. C’est là un choix déchirant et insupportable.
Dès le début de cette crise, la pénurie de matériel s’est avérée consternante. Faire des stocks stratégiques (et ne pas les détruire !) est une chose qui doit certainement être réalisée à l'avenir, mais le gouvernement peut aussi faire beaucoup plus dès maintenant :
- obliger les entreprises à réorienter leurs lignes de production pour produire des masques, des tests et autre matériel ;
- mettre les spéculateurs hors jeu en réservant l'importation de matériel exclusivement au gouvernement lui-même et en réquisitionnant les stocks de matériel médical ;
- enfin, distribuer tout ce matériel sur le terrain le plus rapidement possible en fonction des besoins.
Les tests, et après ?
Le personnel présent n’arrive plus à faire tout le travail. C’est pour cela qu’avec les équipes mobiles de Médecine pour le Peuple, nous allons aussi dans des maisons de repos pour aider aux soins.
Le dépistage est une chose, mais, une fois qu’on sait qui est contaminé et qui ne l'est pas, il faut entièrement réorganiser la maison de repos. Pourtant, là aussi, le gouvernement est aux abonnés absents. Cela commence par les résultats des tests : quand arriveront-ils et comment les maisons de repos vont-elles les obtenir ? Les résultats de nombreux tests effectués la semaine dernière ne sont toujours pas arrivés. Il faut pourtant disposer des résultats le plus rapidement possible afin de pouvoir réagir de manière appropriée. En particulier lorsque beaucoup de personnes sont positives, car le virus peut continuer à se propager avant que l’on ait pu réorganiser les soins. Les résultats des tests sont alors très vite dépassés.
En outre, la question demeure de savoir ce que les maisons de repos doivent faire suite aux résultats. Comment sont-elles censées faire face à la pénurie de personnel si de nombreux résidents s'avèrent être infectés ? Comment réorganiser les lieux, avec une « zone corona » et une « zone non-corona » ? Qui peut les aider dans cette opération logistique ? Comment vont-elles obtenir une protection adéquate et en suffisance par la suite ? Cette organisation n'est pas évidente, surtout dans les petites maisons de repos. L'organisation des soins dans des cliniques séparées pour les résidents contaminés peut apporter un soulagement. Mais, là aussi, cela demande du personnel.
Dans certaines maisons de repos, 60 % du personnel sont déjà absents. Le personnel présent n’arrive plus à faire tout le travail. Dans des maisons de repos où nous sommes allés, il y avait parfois un seul membre du personnel pour s'occuper de 30 résidents. Impossible à faire dans des conditions sûres. La pression devient si forte que le matériel de protection ne peut pas être utilisé correctement. C’est pour cela qu’avec les équipes mobiles de Médecine pour le Peuple, nous allons aussi dans des maisons de repos pour aider aux soins.
À côté des services de soins intensifs des hôpitaux, les maisons de repos sont l'épicentre de la lutte contre le coronavirus. Il faut donc rapidement apporter du renfort au personnel de nos maisons de repos. Étudiants en médecine, personnel infirmier et professionnels des soins des services hospitaliers désormais plus calmes, bénévoles non médicaux pour des tâches plus logistiques... tous peuvent être déployés pour aider dans les maisons de repos. Le gouvernement doit avoir une vue des besoins et déployer du personnel supplémentaire en fonction de ceux-ci.
Une première ligne forte, un bouclier contre les crises sanitaires
L'expérience des dernières semaines montre une fois de plus à quel point la médecine de première ligne est important. Des maisons médicales multidisciplinaires fonctionnant au forfait, comme c’est le cas à Médecine pour le peuple, apportent une grande valeur ajoutée dans la lutte contre le coronavirus. Nos maisons médicales sont bien organisées, avec différentes disciplines qui ont chacune leurs propres points forts. De plus, le fait que nous ne dépendions pas du nombre des prestations pour notre financement, grâce au système du forfait, signifie aussi que nous pouvons nous libérer pour la prévention et l'organisation des soins.
Cette crise du coronavirus peut être un tournant pour notre système de soins de santé
C'est grâce à cette démarche préventive, en appelant de façon proactive tous les patients âgés, que nous avons très vite su que la situation dans les maisons de repos n'était pas suffisamment prise en charge. Nous avons également très rapidement pu réorganiser nos maisons médicales en fonction de cette nouvelle situation, ce qui a permis de libérer du temps et des ressources pour aider efficacement ces maisons de repos sur le terrain. Nous pouvons répondre rapidement aux besoins qui existent sans avoir à nous soucier de la manière dont nous serons payés pour cela. L'habitude de travailler en équipes multidisciplinaires, avec différents professionnels des soins de santé, est à nouveau un grand atout : les médecins effectuent les dépistage, le personnel d'accueil s'assure que toute l'administration fonctionne correctement, les infirmières partagent leur expertise avec le personnel soignant, les psychologues peuvent apporter leur soutien à ceux qui en ont besoin...
Cette crise du coronavirus peut être un tournant pour notre système de soins de santé. Une première ligne forte, axée sur la prévention et la coopération et bien implantée dans les quartiers est plus que jamais nécessaire. Un secteur public des soins de santé l’est tout autant. Un système où les gens passent avant le profit. Ce sont deux atouts qui nous permettraient d’être bien mieux armés pour lutter contre des grands défis sanitaires tels que la pandémie de coronavirus.