Ce n’est pas avec des recettes du 20e siècle qu’on va construire l’industrie du 21e siècle
Pieter Timmermans, administrateur délégué de la FEB, a récemment présenté sa vision pour relancer l’industrie belge. Il y défend des propositions directement inspirées de la note de négociation du probable futur gouvernement Arizona comme la réduction des salaires et le travail de nuit à partir de minuit. Ces mesures, en plus d’être néfastes pour le portefeuille et la santé des travailleurs, ne permettent pas de relever les défis industriels du 21e siècle.
Benjamin Pestieau, responsable Monde du Travail du PTB
Max Vancauwenberge, membre du département Monde du Travail du PTB
Pendant que d’autres pays investissent massivement dans la recherche, les infrastructures et les technologies pour prendre une avance stratégique dans des secteurs clés comme les véhicules électriques et les batteries, Timmermans nous propose de faire marche arrière avec « des mesures qui sont en place dans le reste de l'Europe depuis 80 ans ». Comme si la menace de désindustrialisation était un problème belge et pas européen…
Aujourd’hui, le problème industriel en Europe et en Belgique ne se résume pas à une question de compétitivité salariale, comme le suggère Timmermans. L’Allemagne, où le salaire réel a reculé de 4 % depuis 2020, est d’ailleurs en récession et confrontée à une chute de la production industrielle. Geert Bruyneel, ancien CEO de Volvo Cars à Gand, le rappelle : « En Suède, les coûts salariaux sont également élevés. Dans l'assemblage final, le coût salarial ne représente que 10 %. »
Le véritable défi industriel de l’Europe se situe ailleurs. Comme l’a souligné Mario Draghi, ancien président de la BCE, dans son rapport, nous faisons face à un « défi existentiel » pour notre industrie européenne, qui est à la fois énergétique et technologique. Nos prix de l’énergie, trop élevés, freinent nos capacités industrielles, et nous accusons un retard en matière d'investissements dans la recherche et le développement. La clé pour revitaliser l'industrie en Europe repose sur des investissements massifs, tant publics que privés, et non sur des solutions dépassées.
Changer de paradigme pour relever le défi énergétique
Les prix élevés et volatiles de l'énergie constituent l’une des principales menaces pour l’industrie en Europe et en Belgique. Le taux d’utilisation des capacités de production dans des secteurs nécessitant beaucoup d’énergie, comme la chimie, se situe à des niveaux historiquement bas. La cause sous-jacente de ces prix élevés est la nature libérale du marché de l'énergie. Bien qu'il n'y ait jamais eu de réelle pénurie, les prix de l'énergie ont fait l'objet d’une importante spéculation, stimulée par les problèmes d'approvisionnement et l'instabilité géopolitique. Le gaz russe, moins cher, a été remplacé par le gaz de schiste des États-Unis, plus onéreux. Comme l’a souligné Mario Draghi, les prix du gaz en Europe restent aujourd’hui encore quatre à cinq fois plus élevés qu’aux Etats-Unis, et ceux de l’électricité deux à trois fois.
Il est urgent que l’Europe se libère de cette dépendance énergétique et des mécanismes de marché qui favorisent la spéculation. En matière de production d'énergie renouvelable en Europe, la mer du Nord est notre principal atout. Mais les investissements nécessaires sont à la traîne et rien ne garantit que les plans actuels seront effectivement réalisés. L'inflation, les problèmes d'approvisionnement et l'augmentation des taux d'intérêt rendent les investissements beaucoup plus coûteux et dissuadent les investisseurs privés. Les perspectives de profits ne sont pas assez sûres et importantes pour convaincre les multinationales de réaliser les investissements à la hauteur des besoins.
Investir massivement pour rattraper notre retard technologique
Sur le plan technologique, l'Europe peine à rattraper la Chine et les États-Unis, et Timmermans ne propose aucune solution pour y remédier. Comme le souligne Koen Schoors, professeur d’économie à l’université de Gand, en ce qui concerne l’automobile, l’Europe a trop longtemps retardé la transition vers les voitures électriques, laissant la Chine prendre une avance technologique de 10 à 15 ans. Non seulement elle excelle désormais dans la production de voitures électriques, mais elle domine également le secteur des batteries, un secteur clé de l’électrification.
Face au développement rapide de la Chine, les États-Unis ont lancé un vaste programme de subventions, l’Inflation Reduction Act. De cette manière, ils veulent pouvoir attirer des investissements dans les secteurs industriels d’avenir comme les batteries, les éoliennes et autres technologies du futur. Washington n’hésite d’ailleurs pas à contacter directement notre industrie pour l’attirer de l’autre côté de l’Atlantique.
Et pendant ce temps, le groupe Volkswagen distribue 11 milliards d’euros dividendes à ses actionnaires plutôt que de réinvestir ces moyens dans l’industrie du futur et dans le rattrapage de son retard technologique.
Ce qu’il nous faut : un plan ambitieux, pas des recettes du passé
La relance de notre industrie ne passe pas par la réduction des salaires ou l’assouplissement des normes du travail, comme le préconise Timmermans. Le patron des patrons devrait avoir plus de respect pour celles et ceux qui font tourner l’industrie. Ce dont nous avons besoin, c’est :
- Un véritable Plan Énergie qui garantisse une énergie abondante, bon marché et en accord avec les objectifs climatiques. Nous ne pouvons pas nous permettre de prendre du retard dans le développement du secteur des énergies renouvelables à cause des aléas du marché libre. Si nous voulons ancrer l'industrie et l'emploi en Europe, nous avons besoin d'investissements publics et d'un contrôle public pour notre énergie. Un véritable plan énergétique doit également inclure un mécanisme de contrôle des prix pour éviter les dérives spéculatives.
- Des investissements ambitieux dans la recherche et le développement. Nous devons investir massivement dans la Recherche & Développement, basée sur une vision d’avenir. L’industrie doit également réinvestir ses bénéfices dans l’innovation, au lieu de distribuer des dividendes colossaux. C’est ainsi que nous pourrons positionner l’industrie sur les technologies de demain, et non sur les recettes dépassées du passé.
L’avenir de l’industrie belge et européenne repose d’abord sur la transition énergétique et l’investissement massif dans la recherche et développement. Les solutions proposées par Pieter Timmermans appartiennent à une époque révolue. Pour bâtir l’industrie du 21e siècle, nous avons besoin de solutions novatrices, d’investissements publics et privés, et de politiques qui regardent résolument vers l’avenir.