Cannes, le marché où bourgmestres et géants de l’immobilier se draguent
Des politiciens et des promoteurs immobiliers vont se retrouver, comme chaque année, au bord de la Côte d’Azur pour négocier l’avenir de nos villes, loin de leurs habitants. Et loin des besoins de ceux-ci. Mais une autre vi(ll)e est possible, si on en donne les clefs aux citoyens.
24 200 participants, 3 100 sociétés, 360 conférenciers, 100 pays, 100 conférences, 5 800 CEO, 5 000 investisseurs… Cette année encore, du 13 au 16 mars, le Mipim (Marché international des professionnels de l’immobilier), « le plus grand salon à destination des professionnels de l’immobilier », voit grand. Normal quand on organise un salon au Palais des festivals de Cannes, là même ou chaque année le cinéma fête ses célébrités sur tapis rouge.
Liège, « the place to build »
L’entrée ? 1 995 euros. Une broutille quand on sait qu’on peut y affronter sur le green des bourgmestres de la région liégeoise
L’entrée ? 1 995 euros. Une broutille quand on sait qu’on peut y affronter sur le green des bourgmestres et directeurs d’intercommunales de la région liégeoise, par exemple. « Depuis 2010, une compétition de golf est ainsi organisée le mardi, soit le jour d’ouverture de la grand-messe de l’immobilier, au Royal Golf de Mougins, sur les hauteurs de Cannes. Le milieu de l’immobilier liégeois s’y retrouve avec un plaisir non dissimulé pour taquiner la balle blanche mais aussi, et sans doute surtout, pour réseauter et placer ses pions dans le but de participer de près ou de loin aux grands projets qui sortiront de terre dans les prochaines années. Investisseurs (une cinquantaine), promoteurs, constructeurs, bureaux d’études, architectes, ingénieurs, spécialistes de la maintenance énergétique : tout ce beau monde se retrouve ainsi autour d’une bonne table après la compétition. L’ambassadeur de Belgique à Paris est également de la fête, ainsi que (cette année) trente représentants des pouvoirs publics représentant notamment les villes de Liège, Seraing, Herstal, Huy, Verviers et Flémalle », selon Le Soir.1
L’événement, intitulé « Liège, the place to build », attirera sans doute beaucoup de responsables politiques belges. L’année dernière, la délégation wallonne était composée de 108 personnes. Les bourgmestres de la région liégeoise, donc, mais aussi de Gembloux, Namur, La Hulpe, Tubize, Neufchâteau, Andenne, etc., et des directeurs de toutes les intercommunales. Et, à la tête de cette délégation, on retrouvait Maxime Prévot (bourgmestre namurois, alors ministre des Travaux publics, cdH).2
Concurrence entre villes
Cette année, le bourgmestre de Charleroi essayera de doubler ses homologues de Liège et des autres villes du pays (et des quatre coins du monde) afin d’attirer des investisseurs au Pays noir. Paul Magnette est en effet l’un des 360 conférenciers. Le sujet de son discours ? « Live Charleroi Métropole »… Il parlera de « ses ambitions de rénovation du centre-ville », nous dit Le Soir. Et il espèrera que Rive gauche, le gigantesque centre commercial qui écrase sa ville, recevra l’« award » du « best shopping centre » pour lequel il est nommé.
« A Charleroi, l’avenir est radieux », a osé Christian Laurent, directeur du cabinet du mayeur de Charleroi, en parlant de la participation de « sa » ville au Mipim. Selon lui, Charleroi ambitionne de devenir « une cité pilote, un modèle de rénovation et de réanimation urbaine ».3 L’avenir est peut-être radieux pour quelques-uns. Pas pour les petits commerçants obligés de remettre leur affaire face au géant du shopping… (Lire plus ici)
Cannes ne risque pas de voir Raoul Hedebouw fouler le tapis rouge
Par contre, Cannes ne risque pas de voir Raoul Hedebouw fouler le tapis rouge. Le député fédéral et porte-parole du PTB ne porte pas ce festival, et les accords qui y sont scellés entre deux bulles de champagne, dans son cœur. Comme il l’a rappelé aux vœux de Nouvel-an du PTB à Liège : « Le but de ce grand salon international est de vendre votre ville. Et donc, on vend les villes aux promoteurs immobiliers, on essaie de les attirer, on fait des cadeaux, etc., pour attirer l’ensemble de ces investisseurs. Eh bien, cette concurrence entre villes, cette concurrence qui vise à attirer les grands investisseurs, à attirer les gens qui ont du pognon, à attirer les touristes mais à ne pas prendre comme point cardinal l’investissement dans l’humain d’abord, l’investissement dans les gens qui habitent sur le territoire, les habitants, donc, cette concurrence-là, on n’en veut pas. »
Aller plus au sud
Si Paul Magnette, Maxime Prévot et les autres poussaient leur voyage un peu plus au Sud, ils entendraient une autre vision de la ville, d’autres projets. Loin du strass de la Côte d’Azur, la conférence des villes progressistes « Fearless cities » s’est tenue à Barcelone en juin dernier.
A Barcelone, les habitants de la ville sont impliqués de toutes les manières
« D’ici la fin de son premier mandat, Ada Colau (la bourgmestre de gauche de la ville, NdlR) veut avoir construit au moins 4 000 nouveaux logements publics, approvisionner des dizaines de milliers de ménages en énergie verte et abordable et avoir effectué un virage radical vers des moyens de transport plus durables. Un des plus grands défis de la majorité est de faire repasser la distribution de l’eau dans les mains des pouvoirs publics. (…) La majorité progressiste de Barcelone doit se battre contre les grandes entreprises internationales, les entreprises d’énergie privées, les spéculateurs immobiliers, les grandes chaînes hôtelières, les banques et d’autres puissances économiques qui mettent tout ce qu’elles peuvent dans la balance pour pourvoir continuer leur business as usual dans la ville méditerranéenne. La réponse de la majorité de gauche ? S’appuyer sur les habitants de la ville. Ceux-ci sont impliqués de toutes les manières. Non pas passivement mais activement. En les impliquant au niveau de leur quartier, avant qu’un nouveau projet soit lancé, et non pas quand tout est déjà bétonné », expliquait le président du PTB Peter Mertens à son retour de cette conférence qui est à l’opposé du Mipim cannois.4
Une ville à la mesure des gens, pas aux portefeuilles
La ville est aussi un champ de bataille
« La production de l’espace repose constamment sur toute une série de choix posés en fonction d’intérêts économiques, d’ambitions politiques, de cadres idéologiques ou encore de logiques institutionnelles. Par (sans) qui l’espace urbain est-il produit ? Pour (contre) qui ? Au profit (détriment) de quels intérêts ? En phase (décalage) avec quelles aspirations ? Au nom de quel modèle de développement ? Qui décide (ou pas) ?(…) Produire la ville est une activité sociale éminemment conflictuelle et les transformations qui en découlent dans le cadre de vie sont d’ordinaire bien plus violentes (socialement, économiquement ou symboliquement) qu’elles n’en ont l’air de prime abord. En ce sens, la ville est aussi un champ de bataille », selon Mathieu Van Criekingen, géographe, enseignant et chercheur à l’ULB.5
Une ville appartient à qui y habite et elle doit rester vivable et accessible pour tous. Les luxueux projets de prestige n’aident en rien les gens en difficulté
« Prenons parti pour une ville à la mesure des gens » n’est pas qu’un slogan de campagne du PTB. « Nous prenons parti pour une ville à la mesure des gens, une ville qui ne soit pas à vendre au plus offrant, mais qui s’organise et sert les besoins de ses habitants. Nous prenons parti pour une ville qui ne se contente pas de bla-bla sur le “logement à prix abordable”, mais qui en fait réellement une question centrale et agit. C’est tout autre chose que des nouveaux appartements de luxe. Nous prenons parti pour une ville où la pauvreté n’aura plus la moindre chance de subsister, une ville qui mettra réellement un terme à cette honte qui fait qu’un enfant sur quatre est contraint de grandir dans la pauvreté. Nous prenons parti pour une ville où tout le monde compte, sans citoyens de seconde zone, sans crainte, sans racisme et sans division. Nous prenons parti pour une ville neutre au plan du climat, une ville qui opte pour un avenir durable. Nous prenons parti pour une ville qui s’attaque aux embouteillages et opte résolument pour la sécurité des piétons et des cyclistes, pour les transports publics, aussi sur le chemin du travail. Enfin, nous prenons parti pour une ville avec des maisons de repos à prix abordable », a développé le président du PTB lors des vœux de son parti à Charleroi.
Une ville appartient à qui y habite et elle doit rester vivable et accessible pour tous. Les luxueux projets de prestige n’aident en rien les gens en difficulté. Face au city-marketing urbain, le PTB propose le droit à la ville : des logements à prix abordables, un enseignement de qualité pour tous, des transports publics convenables.
Le droit à la ville n’est pas qu’un enjeu de la prochaine campagne électorale. C’est un choix politique qu’il faut prendre d’urgence, à Anvers, Bruxelles, Liège, Namur ou Arlon. Les clefs des villes doivent être dans les mains de leurs citoyens, pas dans la poche des promoteurs immobiliers qui achètent nos villes sous le soleil de Cannes…
1. « Golf et immobilier, le cocktail gagnant », Le Soir, 16 mars 2017 • 2. « Les Wallons en masse au Mipim, malgré les affaires », L’Echo, 9 mars 2017 • 3. « Des marchés publics d’un total de 215 millions d’euros lancés dans les 2 ans à Charleroi », L’Avenir, 15 mars 2017 • 4. https://ptb.be/articles/pendant-que-bruxelles-et-anvers-s-enfoncent-dans-le-bling-bling-et-les-scandales-barcelone • 5. « La ville est un champ de bataille », Lava n°3