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« Bien sûr qu’il faut des droits face à son patron. Mais… » Mais quoi ?

Dans une interview récente à l’Echo, le président du MR déclare : « Le message est assez clair. Les Wallonnes et les Wallons ont montré une chose : ils veulent travailler. Je n'ai pas gagné sur un malentendu, mais bien sur le travail. » Alors, allons-nous toutes et tous travailler grâce à Georges-Louis Bouchez ? Et dans quelles conditions ? Décryptage.

Mercredi 24 juillet 2024

Le président du MR, Georges-Louis Bouchez.

Par Benjamin Pestieau

« Mais » : un petit mot qui veut dire beaucoup

Un peu plus loin dans cette interview, il ajoute : «Bien sûr qu'il faut des droits par rapport à son employeur. Mais… » Ce genre de phrase où les quatre lettres du mot « mais » veulent beaucoup plus dire que tout ce qui précède : « Je suis pour la paix. Mais… », « Je ne suis pas contre qu’on taxe les millionnaires. Mais… », « Je ne suis pas raciste. Mais… » Il s'agit d’une technique de langage qui vise à introduire un discours contraire à ce qui précède : attaquer les droits des travailleurs, amener un discours guerrier, dire qu'il est impossible de taxer les millionnaires ou propager une parole raciste. Cela nous alerte déjà sur les intentions du président du MR.

Se débarrasser des syndicats

Mais voyons la suite. George-Louis Bouchez dit plus précisément : « Bien sûr qu'il faut des droits par rapport à son employeur. Mais quand vous n'avez même pas travaillé une heure et que vous recevez déjà la mallette complète du parfait petit syndicaliste (…) bien sûr que vous n'aimez pas le travail. » Voilà qui devient plus clair. George-Louis Bouchez prétend aimer le travail et il l’aime tellement que pour lui, il faut se débarrasser des organisations qui le protègent : les syndicats. Pour le libéral, il faut se débarrasser des organisations qui informent les travailleuses et travailleurs de leurs droits et plus encore, les organisations qui les rassemblent pour se défendre face à certains employeurs sans scrupules. 

On voit par exemple les résultats chez Delhaize des conséquences de la casse syndicale. Grâce à une grande opération de franchisation (faire passer les magasins appartenant à un grand groupe à une kyrielle de petits patrons), la multinationale de la distribution a pu se débarrasser des syndicats pour près de 9 000 travailleurs et travailleuses. Résultats ? Pression sur le personnel, flexibilisation du travail, généralisation des sous-statuts mal payés et mal traités dans une grande partie des magasins franchisés. Quand Georges-Louis Bouchez parle de travail, il parle en fait du travail mal payé, mal traité et mal protégé.  

Karl Marx expliquait en son temps : «Le capital est une force sociale concentrée, tandis que l'ouvrier ne dispose que de sa force de travail individuelle. Le contrat entre le capital et le travail ne peut donc jamais être établi sur des bases équitables (…). La seule puissance sociale que possèdent les ouvriers, c'est leur nombre. Mais la force du nombre est annulée par la désunion. Cette désunion des ouvriers est engendrée et perpétuée par la concurrence inévitable qu'ils se font les uns aux autres. Les syndicats sont nés des efforts spontanés d'ouvriers (…) pour empêcher ou, du moins, atténuer les effets de cette concurrence que se font les ouvriers entre eux. » Briser les syndicats a donc pour but de briser ce qui constitue la force principale du monde du travail : son nombre et son unité. 

Victimes et lutte de classes  

Georges-Louis Bouchez poursuit : « (Le) problème (de la gauche) est qu'elle ne peut pas exister s'il n'y a pas de victimes. Ça vient au départ de la lutte des classes. » Pourtant, c’est tout l’inverse qui est vrai. Pour le comprendre, repartons de la définition du mot victime : « Personne qui subit une injustice. » Les organisations du monde du travail (politiques, associatives et syndicales) ont commencé à exister quand la classe travailleuse a arrêté de subir les injustices. Les organisations du monde du travail ont commencé à exister quand la classe travailleuse a cessé d’être une victime et a commencé à agir contre les injustices en luttant. Ne plus subir mais bien agir, telle est l’ADN des organisations du monde du travail. Agir pour exiger le respect du travail, le respect pour la classe travailleuse. C’est comme ça que les syndicats et ensuite les partis ouvriers sont nés et ont évolué. La lutte pour le respect du travail se traduit concrètement dans les luttes pour des augmentations de salaire, des améliorations des conditions de travail et le droit de travailler en toute sécurité. Mais ce n’est pas tout. Le respect, ce sont aussi les droits démocratiques, le suffrage universel, les libertés de manifester, les libertés syndicales, la liberté de lutter... Tout cela s’appelle effectivement la lutte de classes. Le monde du travail qui se coalise, qui se rassemble, qui s’unifie pour pouvoir faire face au pouvoir des actionnaires, du grand capital, du grand patronat… De leur côté, les libéraux ne veulent pas de lutte de classes. Ils veulent que la classe travailleuse reste à l’état de subir l'injustice et donc restent à l’état… de victime.

Les cravates ont-elles leur place dans la lutte de classes ?

Georges-Louis Bouchez ajoute : « Mais aujourd'hui, le prolétaire peut parfois avoir une chemise blanche et une cravate. Et ça, la gauche ne l'a pas pigé. » 

Le monde du travail est diversifié. Avec bien entendu les travailleurs et travailleuses sur les chaînes des usines ou les postes de contrôle. Dans ces usines, il y a bien entendu aussi des travailleurs et travailleuses qui sont dans les bureaux avec une chemise et parfois une cravate. Ces deux catégories de travailleurs et travailleuses, on les retrouve chez Audi Brussels par exemple. Ce sont ces deux catégories qui ont permis le développement de la grande usine de la capitale. Un modèle de technologie et de savoir-faire. Ce sont ces deux catégories qu’on retrouvait devant l’usine pour protester contre la décision de la multinationale d’opérer une restructuration. Dans le monde du travail, on retrouve les dockers des ports, les chauffeurs de camions, les travailleurs de la logistique ou de l’alimentation, les employés des banques ou les professeurs, le personnel médical qui fait tourner vaille que vaille nos hôpitaux, etc. Certains ont une salopette, d’autres une chemise et une cravate, d’autres un tablier, d’autres un uniforme, d’autres leurs vêtements quotidiens… Georges-Louis Bouchez ne semble voir que la chemise et la cravate comme si c’était la seule couche du monde du travail qui travaillait dur. Non. Le monde du travail est divers dans sa composition et les fonctions qu’il occupe. Et c’est cette diversité qu’on retrouve dans les organisations syndicales ou au PTB. 

Mais le monde du travail dans sa large diversité – avec ou sans cravate – a un point commun : c’est grâce à lui que la société tourne. Pas grâce aux actionnaires qui avaient disparu pendant la crise du Covid. Pas grâce aux actionnaires qui veulent fermer des usines ultra modernes uniquement pour étancher leur soif de profit. Ce sont les travailleurs et travailleuses de la société qui produisent les biens et les services. Et ils méritent le respect. Le respect, cela veut avant-tout dire que ce qu’ils produisent doit leur revenir et pas faire grossir les poches de gros actionnaires qui vivent sur le dos du travail d’autrui. Cette contradiction, cela s’appelle une contradiction de classes : une contradiction entre la classe travailleuse et la classe des actionnaires. Cette contradiction est à la base de la lutte de classes dont le président du MR voudrait se débarrasser… en réchauffant une vieille recette du passé : diviser le monde du travail pour régner dessus. 

Vouloir travailler moins, c’est être contre ou pour le travail ? 

Georges-Louis Bouchez explique : « Quand vous proposez la semaine des quatre jours (…) vous êtes contre le travail. » En disant cela, il reprend le flambeau de la bourgeoisie du XIXème siècle qui disait : « Si l’on veut avoir une population robuste et saine, il faut qu’elle travaille à sa guise et qu’elle soit laissée seule juge de fixer la limite qu’elle croirait dangereuse de dépasser pour sa santé ; la travail n’a jamais tué personne (sic). »1 Travailler « à sa guise » voulait dire à lʼépoque, pour les patrons, faire bosser 12 heures par jour, 7 jours sur 7, au fond dʼune mine. A cette époque, le patronat militait ouvertement pour qu’il n’y ait aucune règle, aucune norme, aucune limite… à la liberté du patronat de nous presser à fond comme des citrons dans des semaines de travail interminables. Et cette liberté patronale était synonyme de bas salaire et de surexploitation.

Pour Georges-Louis Bouchez, être pour le travail, c’est travailler toujours plus, travailler jusque 67 ans et plus encore, travailler plus que 38 heures semaine avec des heures supplémentaires sans sursalaire et sans récupération, travailler plus que 8 heures par jour, avoir moins de droits qui protègent les travailleurs et les travailleuses. Moins il y a de droits collectifs, plus le travailleur est faible et seul face à son employeur. Et c’est ça que le président du MR veut. Il ironise sur la gauche « qui n'arrête pas d'expliquer que travailler, c'est pénible, que ça rend malade, que c'est désagréable ». Les aides-ménagères ou les travailleurs de la grande distribution le disent car elles souffrent très tôt dans leur carrière de troubles musculo-squelettiques. Les chauffeurs de bus ou de camion qui souffrent du dos, les infirmiers et infirmières qui n’arrivent pas à tenir la cadence dans les hôpitaux et à prendre le temps suffisant pour les patients, les maçons, les électriciens, les cheminots, les postiers, les travailleurs de la chimie ou des entreprises métalliques, les cadres intermédiaires qui sont mis sous pression pour réaliser des objectifs impossibles à atteindre… Les travailleurs et travailleuses sont plus que jamais conscients – certainement depuis la crise du Covid – que ce sont eux qui font tourner le pays. Pas les actionnaires et encore moins les politiciens à 10 000 euros net par mois. Ils en sont fiers. Et c’est de cette fierté qu’ils et elles tirent une exigence de respect : respect salarial, respect des conditions de travail, respect de la santé et de la sécurité. 

Faire exploser l’illusion libérale contre le mur du réel et de la lutte de classes

Georges-Louis Bouchez peut prononcer plusieurs fois le mot « travail » mais cela ne lui permet pas de cacher le fait que lui et son parti ne défendent pas le monde du travail. Le parti libéral – plus vieux parti du pays – défend les plus riches. Ils défendent une société du chacun pour soi, du seul contre tous, une société de la division où le monde du travail perd la seule chose qui fait sa force : son nombre, son unité, sa collectivité, ses droits collectifs. Les libéraux ont pu faire un peu illusion. Comme Nicolas Sarkozy, l’ancien président français, a fait illusion avec le même discours et les mêmes mesures il y a quinze ans. Mais le discours se fracasse rapidement contre le mur du réel. Le passage de Nicolas Sarkozy à l’Elysée a fait exploser le chômage, appauvrit les travailleurs et… fait grandir comme jamais le nombre de milliardaires en France. L’illusion Sarkozy s’est aussi fracassée contre la résistance sociale. Les deux ont fini par le faire tomber. Les deux feront tomber Georges-Louis Bouchez. Mais pour qu’il ne revienne pas, il faudra que les organisations du monde du travail – syndicales et politiques – s’ancrent dans un discours et une pratique de classe forte, un discours qui rassemble et unifie la classe travailleuse, toute la classe travailleuse. Pas dans un discours qui ne parle qu’à certaines catégories et pas à d’autres. Pas dans un discours qui divise la classe entre ceux qui gagnent moins de 2 000 euros par mois et ceux qui en gagnent 4 000. Pour avancer toutes et tous face au pouvoir de l’argent, nous aurons besoin d’un maximum de gens. Ils ont l’argent, nous pouvons avoir le nombre.

1. (Rapport de l’Association charbonnière des bassins de Charleroi et de la Basse-Sambre, 1907)

La « valeur travail » à la sauce Sarko, reprise par Georges-Louis Bouchez : bonjour les dégâts

2007. Étudiant, le jeune Georges-Louis Bouchez se passionne pour la campagne présidentielle Sarkozy. Il apprend ses livres et ses discours par coeur. 17 ans plus tard, il reprend quasi mot pour mot les dires de Sarkozy dont la politique a entre-temps fait faillite en France. Extraits du livre « Comment osent-ils ?» de Peter Mertens écrit en 2012 en collaboration avec David Pestieau. « L'expérience Sarko, la France l'a faite. De quoi nous avertir sur l’expérience Bouchez... »

« Travailler plus pour gagner plus » : le slogan de campagne de Sarkozy en 2007 aura été marquant. Multipliant les visites dans les usines, il avait exalté « la France qui se lève tôt ».

« Au premier rang, je mettrai la valeur travail, dont l'oubli résume à mes yeux toute la crise morale française, lançait-il en début de campagne. Le travail a été délaissé par la droite et trahi par la gauche. Les socialistes ne parlent plus des travailleurs, c'est un signe. Je veux être le candidat du travail. » 

C'est la première étape pour Sarkozy: d'une part, transformer la crise économique qui détruit le travail -et donc ses causes liées au système économique - en une crise sur le terrain moral; d'autre part, se revendiquer du travail en essayant de récupérer un thème abandonné par la social-démocratie qui n'a plus de projet alternatif crédible pour créer des emplois. Mais la récupération de la valeur travail poursuit d'autres desseins.

« Ce qui mine la société française, ce n'est pas l'élitisme, c'est l'égalitarisme, le nivellement, l'assistanat, le sentiment que, quel que soit le mal qu'on se donne, cela ne servira de toute façon à rien parce que tout le monde s'en moque », affirmait-il. C'est la deuxième étape:  mobiliser les travailleurs contre les chômeurs, les malades, les pensionnés... que l’on pointe comme des assistés et profiteurs. Pour que le peuple cesse de regarder vers le haut, vers ceux qui font fortune à coups de restructurations et de délocalisations, et dirige ses regards vers le bas, vers leur voisin chômeur ou leur collègue malade.

Or, cinq ans plus tard, écrit L'Humanité, «le candidat du "travailler plus pour gagner plus" est devenu le président du chômage de masse. "En cinq ans, nous pourrions atteindre le plein-emploi, c'est-à-dire un chômage inférieur à 5% et un emploi stable à temps complet pour tous", promettait le candidat Nicolas Sarkozy dans son programme d'avant-crise en 2007. Aujourd'hui, le président de la république est bien loin du compte, détenant même le sinistre record de la hausse la plus brutale du taux de chômage depuis quelques décennies. » En cinq ans, le règne Sarkozy a produit un million de demandeurs d'emploi supplémentaires. Son «travailler plus pour gagner plus » s'est traduit par une mesure d'exonération des cotisations sociales des heures supplémentaires: près de douze milliards d'euros ont été ainsi injectés dans une machine à détruire des emplois.

Sarkozy focalise son discours sur l'emploi en opposant la notion de mérite à celle de l'assistanat, celle de l'effort à celle du profit. Il sanctifie « la France qui croit au mérite et à l'effort, la France dure à la peine, la France dont on ne parle jamais parce qu'elle ne se plaint pas, parce qu'elle ne brûle pas les voitures [...], parce qu'elle ne bloque pas les trains. La France qui se sent mise à l'écart parce que les augmentations d'impôts sont toujours pour elle et les allocations pour les autres ».

Sarkozy trace ainsi les contours d'un conflit de classes, non pas celui entre travail et capital, mais un conflit moral dans la classe même des travailleurs, entre ceux qui travaillent et qui ne se plaignent jamais et ceux qui protestent (ceux « qui bloquent les trains»), ceux qui vandalisent (« ceux qui mettent le feu aux voitures»), ceux qui profitent (« des allocations»). Entre ceux qui respectent l'ordre établi et ceux qui le perturbent. Il veut ainsi mobiliser les travailleurs actifs contre la sécurité sociale pour laisser hors d'atteinte ceux qui saccagent l'emploi et ceux qui en profitent réellement. Il veut orienter l'attention vers les sans-emplois pour ne pas parler des vrais assistés, les grandes entreprises du CAC 40 qui, comme Total, ne paient que... zéro euro d'impôts sur leurs bénéfices.