Belgique : Un plan de relance… surtout pour relancer les multinationales
Gouvernement fédéral, gouvernements régionaux, chacun y va de son plan de relance. Après des années de disette imposée par l’Union européenne, on nous promet des milliards d’investissement public. Dont une grande partie venue des mannes de l’Union européenne. Après des décennies d’économies et de coupes budgétaires, sortirait-on enfin de la logique d’austérité ? Quels sont les objectifs de ce plan ? Quels sont les enjeux en Belgique ? Nous avons mené l’enquête.
Avec ses 750 milliards d’euros d’investissements en cinq ans, le plan de relance européen se présente comme la stratégie de l’Union pour faire redémarrer l’économie après l’épidémie de coronavirus. Mais en Belgique, lorsqu’on entend parler de relance, en plus du plan européen, plusieurs noms apparaissent. La Flandre a annoncé son plan de relance Vlaanderen Veerkracht représentant 4,3 milliards d’investissements. Pour la Wallonie c’est Get Up Wallonia et ses 3,1 milliards d’euros d’investissements. Pour Bruxelles, c’est Go4Brussels 2030, estimé à 1,2 milliard d’euros. Du côté du fédéral, les mesures de relance envisagées couvrent un budget de 7 milliards d’euros.
Pourquoi parler du plan de relance européen ?
Mais derrière ces annonces se pose la question du financement. Or, pour l’instant, le seul budget assuré est celui du plan de relance européen. Pour le reste des investissements, les autorités régionales et fédérales tablent sur d’autres financements européens ou sur des emprunts, mais le montage n’est pas encore bouclé. C’est donc d’abord sur les fonds du plan de relance européen que vont s’appuyer les mesures de relance dans les prochains mois.
Pour répondre aux conséquences socio-économiques du coronavirus, l’Union européenne a débloqué un budget de 750 milliards d’euros. Chaque pays membre de l’Union a droit à une part fixée de ce budget. Pour en bénéficier, il doit soumettre une liste de projets d’investissement aux autorités européennes, qui retiennent ou non ces projets en fonction de leur intégration dans les objectifs européens. À côté de ces investissements, l’Union exige aussi des États qu’ils proposent des réformes pour s’aligner sur les politiques sociales, économiques ou environnementales européennes.
L’Union européenne a choisi de cibler les investissements dans la transition énergétique et climatique (37 % des fonds doivent y être consacrés), ainsi que le développement des technologies numériques (qui doit représenter 20 % des investissements).
La Belgique doit recevoir 5,926 milliards d’euros dans le cadre de ce plan de relance. Cette enveloppe a été répartie entre l’État fédéral belge et les entités fédérées. Le gouvernement fédéral recevra 1,25 milliard d’euros. La Région flamande 2,255 milliards, la Wallonie 1,48 milliard, la Fédération Wallonie-Bruxelles 495 millions, la région bruxelloise 395 millions et la communauté germanophone, 50 millions d’euros.
84 projets ont été introduits par la Belgique en vue d’être financés par l’argent européen, l’ensemble du plan est disponible en ligne. Ces projets proviennent des plans de relance régionaux et fédéraux. Le résultat de l’évaluation européenne des projets devrait être connu dans les prochains jours.
La pagaille et l’opacité du/des plan(s) de relance en Belgique
Particularité du volet belge du plan de relance européen, une grande pagaille entoure les annonces à son sujet. Chaque Région et Communauté ainsi que l’État fédéral a préparé son propre plan de relance. Le fédéral et les Régions se sont livrées à un marchandage, Flandre et Wallonie en tête, pour déterminer les sommes allouées par l’Union européenne. La répartition des compétences entre le fédéral et les Régions empêche de partir d’une seule vision globale, pour déboucher sur un seul plan et une répartition des tâches qui tient compte des atouts spécifiques des Régions. Chaque entité raisonne dans les limites de ses compétences institutionnelles. Il n’y a pas un niveau qui chapeauterait l’ensemble, le fédéral n’est pas au-dessus des Régions. Une des conséquences est que les Régions, surtout la Flandre et la Wallonie, planifient comme des entités autonomes, ce qui mène à des incohérences, un manque de synergies, des investissements parallèles et doubles et une perte énorme d’efficacité. Les seuls bénéficiaires de ce morcellement sont les acteurs privés qui peuvent chercher plusieurs fois des subsides dans les différentes entités. Tout le contraire de ce qu’affirme le secrétaire d’État Thomas Dermine (PS) chargé du plan de relance : « Le plan belge n’est pas un bric-à-brac, mais un ensemble cohérent. » (Le Soir, 30 avril.) L’argent européen vient bien financer un patchwork de mesures, sans vision d’ensemble. Les tractations au sujet de la liste de projets retenus se sont faites dans la plus grande opacité, sans discussion dans les parlements régionaux ou fédéraux ni avec les interlocuteurs sociaux. Les composantes précises du volet belge du plan de relance en matière d’investissements et de réformes n’ont été connues qu’une fois transmises à l’Union européenne.
Critique n° 1 :
Un plan de relance des bénéfices des grandes entreprises avec de l’argent public
Développement de sources d’énergie vertes, investissement dans les infrastructures numériques, promotion de l’économie circulaire, les thèmes annoncés par le plan de relance européen semblent a priori intéressants, mais tout dépend bien sûr de qui bénéficiera des investissements et de la façon dont ceux-ci seront menés.
La stratégie de l’Union européenne est claire. Son plan est organisé par et pour les intérêts des grands capitalistes européens. Il s’agit de leur permettre de rattraper leur retard technologique, de développer de nouveaux produits ou de conquérir de nouveaux marchés. Pour cela, des investissements lourds sont nécessaires, que les patrons et les financiers privés ne sont pas prêts à mener, en raison du coût, des risques et de la contradiction entre investissements à long terme et nécessité de dégager des bénéfices à court terme pour répondre aux attentes des actionnaires et des marchés boursiers. C’est dans cette logique que sont sélectionnés les projets soumis à une demande de financement européen.
Dans les projets belges, un exemple de l’application de cette stratégie est celui de la construction d’une île artificielle en mer du Nord. Ce « hub énergétique » doit permettre de structurer la production belge d’énergie renouvelable, en rassemblant la production des parcs éoliens offshore, et de servir de carrefour d’échange avec les pays voisins. Ces travaux sont nécessaires pour changer de modèle énergétique et répondre aux défis posés par le changement climatique. Mais aucun acteur privé de l’énergie n’aurait les moyens de développer seul une île artificielle. C’est un projet risqué et coûteux. Pourtant, le privé sera le premier bénéficiaire de cet investissement. En l’absence de contrôle public, les distributeurs d’énergie privés pourront commercialiser l’énergie produite et en tirer des bénéfices. Les grandes entreprises associées au projet pour la construction de l’île et des parcs éoliens profiteront de ce projet phare pour acquérir de l’expérience, développer des compétences et décrocher des marchés pour la construction d’infrastructures similaires ailleurs en Europe ou dans le monde. Si l’investissement est public, on se demande pourquoi les autorités publiques ne prennent pas en main elles-mêmes la transition énergétique et la liasse dans les mains du privé.
Cette mainmise du privé dans le plan de relance européen se marque aussi par le fait que nombre d’investissements publics sont pilotés directement par les entreprises privées. Toujours dans le domaine climatique et énergétique, l’un des enjeux est de développer de nouvelles sources d’énergies vertes pour l’industrie lourde, comme la chimie ou la métallurgie. L’une des pistes les plus concrètes est l’utilisation de l’hydrogène. Celui-ci permet d’une part de convertir, stocker et distribuer l’énergie verte, solaire ou éolienne, dont les rythmes de production sont déterminés par les conditions météorologiques, et d’autre part de capturer et convertir le CO2 produit par l’industrie pour le transformer en une nouvelle source d’énergie (du méthane, selon la formule : H2+CO2= CH4+02).
Les technologies existent, mais restent trop coûteuses pour les industriels privés. Le plan de relance européen arrive donc à la rescousse, en finançant directement des projets portés par ArcelorMittal, Engie ou les multinationales de la pétrochimie anversoise. Ainsi, Ineos, l’un des leader de l’exploitation de gaz de schiste, qui est particulièrement polluante, va sans doute recevoir des fonds européens de la part de la Flandre pour « verdir » sa production à Anvers. En somme, on fait porter le coût de l’assainissement climatique des plus grands pollueurs par l’argent public, tout en laissant le privé piloter seul les projets et en tirer les bénéfices.
Toutefois, les investissements dans l’isolation des bâtiments publics ou les transports en commun par exemple, s’écartent de cette logique de soumission au privé et répondent à des besoins publics. Encore faudrait-il que ces projets soient effectivement des investissements publics, or ce sont plutôt les partenariats publics privés (PPP) qui sont privilégiés. C’est-à-dire que, plutôt que de financer l’ensemble de l’investissement avec de l’argent public, ces projets feront appel à des fonds privés… On sait que ces dispositifs coûtent plus cher, car ils impliquent de rembourser le privé pour sa participation et sa « prise de risque » bien au-delà des sommes investies. Il sont aussi l’occasion pour le privé d’entrer dans des marchés jusque-là inaccessibles et réservés au public. Même dans ce domaine, le privé tirera profit de l’argent public.
En résumé, ces plans de relance ne sont pas élaborés en fonction des besoins de la grande majorité de la population, mais en fonction des dogmes du marché :
- Ce sont en grande partie des investissements public-privé. L’argent public investi est considéré comme un soutien au secteur privé avant tout, pour la conquête des marchés d’avenir comme les technologies durables. Les autorités publiques supportent également le coût d’infrastructures qui profitent principalement aux opérateurs privés de ces secteurs qui refusent d’investir eux-mêmes.
- Il n’y a pas de contrôle des autorités sur tout cet argent public investi dont le privé bénéficie. Le gouvernement prend les risques et agit comme le « dernier assureur » pour que les multinationales puissent développer leurs activités presque « sans risque ».
- Ces investissements se font en fonction du marché, de ce qui est rentable, et non en fonction des besoins des gens et de la nature.
Pour les travailleurs, les perspectives de création d’emplois induites par le plan de relance européen sont minimes. En Belgique, les six milliards d’investissements créeraient moins de 2500 postes de travail. L’objectif du plan de relance n’est pas de créer de l’emploi, pas d’aider les victimes de la crise, mais bien d’aider les entreprises privées à conserver et augmenter leurs profits avec de l’argent public. C’est un service public au privé. Et non, ce n’est pas du tout le tableau idyllique qu’en dresse le secrétaire d’État au plan de relance Dermine quand il affirme : « Notre plan est d’abord un signal très fort sur le rôle indispensable des investissements publics. »
Critique n° 2 :
Vers un recyclage de réformes antisociales
À côté des projets d’investissements, l’Union européenne exige des réformes de la part des États membres, guidées par ses recommandations en matière de politique socio-économique. Les autorités régionales et le gouvernement fédéral belge ont très peu communiqué sur ce volet du plan de relance belge, préférant parler des investissements. Et pour cause, la liste des réformes soumises par nos gouvernements à l’Union européenne témoigne de la volonté des gouvernements régionaux et fédéral de poursuivre les politiques antisociales. Au niveau fédéral, on retrouve dans le document soumis par la Belgique à l’Union :
- Réforme de l’impôt pour réduire les « charges sur le travail », donc les cotisations sociales payées par les employeurs, au profit du renforcement des taxes environnementales pesant sur les ménages, dont on connaît l’aspect injuste (éco taxe, TVA verte, taxe sur les carburants, taxe kilométrique…).
- Réforme des pensions, dans le cadre de laquelle il est question d’« augmenter la durée effective de la carrière des salariés » et « en outre, l’objectif de généraliser davantage le deuxième pilier de la pension demeure », donc de prolonger les carrières, et de généraliser les fonds de pension privés.
- Poursuite de route vers la libéralisation du chemin de fer belge, telle que prévue dans l’accord de gouvernement fédéral : entrée du privé dans les entreprises publiques, poursuite des gains de productivité essentiellement par le blocage des embauches, établissement d’une relation contractuelle entre l’État la SNCB et Infrabel.
- Électrification du parc de voitures de société, au profit du patronat, qui contourne la fiscalité sur le salaire avec ce dispositif, et des multinationales de la construction automobile, qui pourront écouler les véhicules électriques.
Les régions pouvaient soumettre des réformes. Dans ce cadre, la Wallonie propose de revoir « l’accompagnement des demandeurs d’emploi ». En clair, il s’agit de renforcer de la pression sur les travailleurs sans-emplois par différents outils : le recours à l’intelligence artificielle pour mieux « cibler » les profils, renforcer l’évaluation des démarches de recherche d’emploi au nom de l’efficience, le coaching et l’activation renforcée… Tous ces dispositifs qui excluent de plus en plus de travailleurs de leur droit au chômage, ce qui est d’autant plus injuste alors que la crise renforce la précarité de l’emploi.
Enfin, à la demande de l’Union européenne et de l’OCDE, tant le gouvernement fédéral que les régions s’engagent à suivre au plus près leurs dépenses publiques, pour privilégier celles qui sont les plus « productives », et réduire certains budgets. C’est l’objet du point « Revue des dépenses » du plan de relance. Le tout en ouvrant la porte au recours à des consultants privés et de l’OCDE elle-même. On connaît les « recettes » de l’Union, de l’OCDE et des consultants privés : promouvoir l’austérité et la privatisation des biens et services publics. Les objectifs de ces revues des dépenses sont d’ailleurs assez clairs. Au niveau fédéral il est question d’« examens sélectifs des dépenses dans le processus budgétaire régulier et dans le secteur de la sécurité sociale », le volet flamand parle d’une « trajectoire de croissance maximale des dépenses publiques », en Wallonie on parle de « limiter l’écart entre les recettes et les dépenses » et à Bruxelles de « réduire les dépenses peu prioritaires » « d’assainissement budgétaire ». Donc une pression accrue sur la sécurité sociale nationale et une poursuite du blocage des budgets publics à tous les niveaux de pouvoirs.
La fenêtre d’augmentation des investissements publics s’annonce bien étroite et cadrée. Comme l’essentiel des traités européens est maintenu, le risque est grand de poursuivre avec ces politiques qui aggravent la précarité des travailleurs, des ménages forcés de payer des taxes vertes sans avoir d’alternative pour se chauffer ou se déplacer, ou des pensionnés. Par contre, c’est tout bénéfice pour le patronat, qui voit de nouveaux marchés s’ouvrir alors que les niches fiscales qui l’avantagent sont préservées voire renforcées, et qu’il est encore prévu de baisser les cotisations finançant les politiques publiques.
Critique n° 3 :
Les investissements dans les infrastructures publiques : pas assez et trop tard
Le volet belge du plan de relance européen comprend aussi des investissements dans les infrastructures publiques : transports en commun, construction de logements publics, rénovation et isolation des bâtiments publics, investissement dans l’enseignement et la santé. Ces investissements sont plus que nécessaires, il s’agit d’ailleurs souvent de projets qui traînent dans les tiroirs depuis des années voire des décennies et trouvent enfin un financement. Pensons notamment à la rénovation des écoles francophones et des logements sociaux bruxellois, à l’achat de bus moins polluants pour De Lijn, à l’extension du métro de Charleroi ou à l’investissement dans les infrastructures ferroviaires.
Mais les montants investis sont bien trop faibles pour combler les dizaines d’années d’austérité. En matière de mobilité, rien qu’au niveau du chemin de fer, les économies dans les investissements au cours des dix dernières années se chiffrent à peu près à vingt milliards d’euros. Le budget du plan de relance consacré est de moins de 400 millions d’euros. De même, les annonces d’investissements supplémentaires chez De Lijn ne comblent pas les économies imposées par le gouvernement flamand actuel et son prédécesseur. Plus de 200 000 ménages attendent un logement social en Belgique. Les montants du plan de relance, 250 millions d’euros, permettront d’en construire quelques centaines au mieux, et seulement en Wallonie puisqu’au moment d’arbitrer entre les investissements soumis aux financements européens, Bruxelles et la Flandre ont préféré ne pas retenir les projets de construction de logements publics.
Ces économies ont été faites au nom des politiques européennes de rigueur budgétaire et de blocage des investissements publics par le carcan réglementaire européen. C’est ironique que l’Union souhaite maintenant aider ces investissements qu’elle a souvent bloqués auparavant. Le dossier du tram de Liège en est un bon exemple : en vertu des règles budgétaires européennes, la Région wallonne a privilégié un partenariat public-privé plutôt qu’un investissement 100 % public. Ce montage a coûté des millions d’euros supplémentaires, bloqué le projet pendant des années et réduit son envergure. Dans le cadre du plan de relance, le tram de Liège devrait maintenant recevoir un financement européen pour son extension…
Si on attendait un plan de relance de l’investissement public à même de répondre aux défis sociaux et climatiques actuels et futurs, on est loin du compte.
Une stratégie insuffisante et floue de relance des investissements publics
Que ce soit au niveau belge ou européen, il est urgent de relancer l’investissement public. Suite aux politiques d’austérités budgétaires guidées par les idées néolibérales, les services publics ont vu leurs budgets de fonctionnements réduits et les investissements ont été limités dans la santé, l’éducation, les transports publics ou la justice, par exemple.
Faisons le parallèle avec une maison : il faut l’entretenir chaque année pour éviter qu’elle s’abîme, ce que l’on n’a pas fait en Belgique. Depuis les années ’70, les investissements publics sont passés de 4 à 5 % du PIB par an à moins de 2 %. Cela veut dire que la part de la richesse produite annuellement par l’économie belge et ses travailleurs et consacrée à l’investissement et l’entretien des infrastructures publiques a été divisée par deux. Les gouvernements successifs ont laissé se déglinguer notre maison commune : bâtiments publics qui sont des passoires énergétiques, écoles délabrées, hôpitaux ne disposant pas de places suffisantes, crèches saturées, logements sociaux mal entretenus et en nombre insuffisants, trains en retard. Que soit la Banque Nationale, l’Union européenne ou le gouvernement fédéral, même les défenseurs de ces politiques d’économie en reconnaissent les méfaits. L’introduction du plan de relance belge signale que « sur les 20 dernières années, la Belgique a accumulé un déficit d’investissement public d’environ 70 milliards d’euros par rapport à la moyenne européenne ». C’est la pire « performance » de tous les pays voisins. Pourtant, si on veut transformer notre maison, l’isoler, l’agrandir, changer son système de chauffage, il faut y investir encore beaucoup plus. Nous estimons qu’il faudrait un investissement public supplémentaire de dix milliards par an à l’échelle belge pour éviter la crise climatique.
Or les budgets du plan de relance européen sont loin de répondre à ces ambitions. Les 750 milliards d’investissements en cinq ans représentent moins d’1 % du PIB européen. En Belgique, le bureau du plan a chiffré l’impact du plan européen : une hausse de 0,2 % de la part de l’investissement public dans le PIB… Thomas Dermine et les gouvernements régionaux signalent leur intention d’aller au-delà de ce plan européen, en finançant l’ensemble des mesures prévues dans les plans régionaux et fédéraux de relance, pour faire remonter le taux d’investissement public à 3,5 voire 4 % du PIB national. Selon nos estimations, cela représente un investissement supplémentaire de 10 milliards d’euros.
Pour mener une politique ambitieuse d’investissements, il faudrait que les pouvoirs publics s’autorisent à emprunter des fonds, qui seraient ensuite remboursés par les retombées des projets financés. Mais cela va à l’encontre des traités budgétaires européens et en particulier, du Traité de Stabilité, Coordination et Gouvernance (TSCG — entrée en vigueur 2013) qui limite strictement le recours à l’endettement pour financer des investissements publics. Le débat fait rage au niveau belge et européen à ce sujet. Les sociaux-démocrates, et Thomas Dermine en tête, font croire qu’ils pourront interrompre ces traités pour quelques années. Certains représentants de la droite soutiennent cette interruption pour relancer l’investissement, non pas pour les besoins publics, mais dans une logique de compétition : éviter le déclassement économique de l’Europe par rapport à la Chine et aux États-Unis. Mais, même si cette « fenêtre » est bien insuffisante pour sortir de décennies d’austérité, de nombreux libéraux et conservateurs s’y opposent. Le libéral flamand Vincent Van Quickenborne (Open-VLD) a déjà rappelé l’importance pour la Belgique de « respecter sa trajectoire budgétaire », donc de poursuivre les politiques de limitation des dépenses.
On le voit, trouver de véritables marges de manœuvre pour relancer l’investissement (et non quelques milliards de-ci de-là) ne sera pas simple. Sauf si l’Union européenne ose renverser quelques totems de ses politiques austéritaires. On est pour l’instant loin du compte.
Quelle alternative pour quelle relance ?
Que ce soit au niveau des montants investis, des projets retenus ou des politiques associées, le plan de relance européen apparaît comme un transfert d’argent public au profit du privé et un recyclage d’anciennes politiques antisociales. C’est tout l’inverse de ce que nous souhaitons pour répondre aux besoins des travailleurs et de leur famille.
Comme l’explique Peter Mertens, président du PTB, dans son livre « Ils nous ont oubliés », nous plaidons pour un grand plan d’investissements post-crise guidé par les besoins des gens et de l’environnement. Ce plan d’investissements dont nous avons besoin n’est pas un de ces plans qui permettent aux géants privés de continuer à s’enrichir par l’exploitation. Il est temps qu’il y ait un basculement, il est temps de prendre des initiatives publiques dans l’organisation et la production de l’énergie, des transports, de la technologie numérique et des soins. Un plan pour répondre aux besoins sociaux et climatiques urgents. Qui permette à chacun et chacune d’avoir accès à la santé et à l’éducation. Qui fournisse de l’énergie verte publique. Qui garantisse des transports publics performants et accessibles. Qui élimine la fracture numérique grâce aux réseaux de données publics et au wifi gratuit. Ce plan, c’est notre plan Prométhée. Ceci implique des volumes d’investissement bien plus élevés que ceux annoncés dans ce plan de relance et donc de rompre pour de bon avec l’austérité européenne, pour mener à bien ces projets ambitieux.
Les investissements dans ces secteurs doivent être menés dans une logique « public-public » : l’argent public bénéficie à des projets et infrastructures nécessaires à la population, qui visent à répondre à la crise climatique et sociale et à créer des emplois de qualité et des activités utiles à la société. Pas à créer de nouveaux marchés pour le patronat belge et européen. Comme l’avançait récemment Peter Mertens : « Aujourd’hui, nous injectons des milliers de milliards dans le système, mais tout cet argent va quasi directement aux capitalistes rapaces de Big Pharma, aux conglomérats de l’énergie fossile, aux géants des nouvelles technologies qui dévorent notre vie privée ou aux spéculateurs boursiers. Tout comme après la crise bancaire. Ce n’est pas une solution. Quand nous nous libérons du virus, nous devons également nous libérer des grands tentacules privés qui contrôlent la Terre ».
Le contrôle public sur les investissements eux-mêmes ainsi que sur les secteurs dans lesquels les sommes sont investies (protection des services publics actuels et socialisation des secteurs clés comme l’énergie) est indispensable. Sinon, soit l’argent public bénéficiera au privé qui tirera les bénéfices des investissements et nouvelles infrastructures, soit, par le mécanisme des partenariats publics-privés, les investissements seront guidés par les logiques de rentabilité à court terme des co-investisseurs privés et coûteront beaucoup plus cher.