Avortement : « Je ne choisis pas à la légère, mais c'est moi qui choisis »
Aujourd'hui, 29 ans après le vote de la loi autorisant l'interruption de grossesse sous certaines conditions, l'avortement reste un thème sensible. Une interruption de grossesse est en effet loin d'être une évidence, ni pour la femme qui prend cette décision ni pour son entourage et la société. Suite à l'initiative de la médecin et députée fédérale PTB Sofie Merckx, une avancée pour le droit à l'avortement semble sur le point de se produire. Car, si nous voulons vraiment que les femmes puissent avoir le libre choix, certaines étapes sont encore à franchir. Il y a plusieurs raisons importantes à cela.
Dès le début de la nouvelle législature, Sofie Merckx, médecin et députée fédérale PTB, a déposé une proposition de loi pour la dépénalisation complète de l'avortement. Depuis, d'autres partis ont déposé des propositions allant dans le même sens. Une avancée pour les droits des femmes est aujourd'hui tout à fait réalisable.
La loi de 1990 a représenté un grand pas en avant en offrant une issue aux femmes enceintes de manière non désirée, mais pas à toutes. L'an dernier, l'avortement a été retiré du code pénal, ce qui constitue une nouvelle évolution positive. Mais les conditions pour pouvoir avorter n'ont toutefois pas changé. Dans la pratique, un avortement effectué en dehors de ces conditions reste toujours punissable. Si nous voulons vraiment que les femmes puissent avoir le libre choix, certaines étapes sont encore à franchir. Il y a plusieurs raisons importantes à cela.
1. L'avortement est un acte médical
La proposition de loi du PTB veut que l'avortement soit reconnu comme un acte médical. « Il est crucial que nous, femmes, puissions choisir librement, explique Sofie Merckx. L'avortement est un acte médical comme les autres. Nous devons pouvoir avoir l'intervention médicale appropriée, sans crainte de sanction. »
Le choix d'interrompre une grossesse est toujours lourd et difficile. Tant physiquement que mentalement, l'impact n'est en aucun cas à sous-estimer. Une interruption de grossesse n'est jamais une chose que l'on fait à la légère et après laquelle on retourne à son quotidien comme si de rien n'était. La crainte qu'une dépénalisation complète puisse mener à une banalisation de l'avortement est donc absolument non fondée.
« Les femmes ne prennent pas à la légère la décision de recourir à un avortement », déclarait en 2015 Lucie Van Crombrugge (décédée en 2017) à la VUB qui lui avait décerné le titre de docteure honoris causa pour son « engagement profondément social, féministe et progressiste dans la lutte (politique) pour le droit à l’avortement et pour l’aide concrète aux femmes lors de grossesses non désirées ». Dans son discours, Lucie Van Crombrugge soulignait : « Il faut savoir ce que c'est que d'être confrontée à une grossesse non désirée. Personne ne veut ça. Je voudrais pouvoir épargner à toute femme de devoir prendre cette décision et de subir cette intervention. Je suis convaincue que toute femme qui décide d'avorter prend la décision morale qui est, compte tenu des circonstances, la meilleure pour elle. J'ai travaillé suffisamment longtemps dans un centre pratiquant des interruptions de grossesse pour savoir qu'il n'existe tout simplement pas de raison légère à un avortement. »
L'atmosphère d'illégalité qui persiste toujours aujourd'hui autour de l'avortement constitue un poids supplémentaire et totalement injustifié. Outre l'épreuve émotionnelle, les femmes doivent aussi parfois subir blâmes et reproches suggérant qu'elles commettent un crime.
C'est pourquoi il est important que l'avortement soit uniquement qualifié d'acte médical et soit entièrement débarrassé de cette étiquette criminelle.
2. Des conditions sûres et légales
Les études ont montré qu'une interdiction n'avait aucun impact sur le nombre d'avortements. Une interdiction mène seulement à davantage d'avortements clandestins. Et ceux-ci se déroulent souvent dans de mauvaises conditions.
Dans notre pays, chaque année, environ 800 femmes se rendent à l'étranger pour un avortement, ce qui ne garantit pas un bon suivi médical. Or il va de soi qu'une telle intervention nécessite des conditions sûres et un bon suivi.
Dans notre pays, l'avortement est autorisé jusqu'à 12 semaines de grossesse. Cette limite de temps est arbitraire et entraîne souvent des problèmes. Lorsqu'une femme découvre tardivement sa grossesse et que celle-ci est non désirée, l'intervention au sens strict n'est plus possible ou alors la décision doit être prise en toute hâte. Il est donc préférable de porter la limite à 18 semaines, comme le stipule la proposition de loi du PTB.
« Que fait-on avec les femmes qui viennent frapper à la porte du centre juste après le délai des 12 semaines ?, demandait aussi Lucie Van Crombrugge. Il y a plusieurs raisons possibles au fait qu’elles aient attendu si longtemps : par exemple, elles ne savaient pas qu’elles étaient enceintes, ou leur relation est rompue et elles se retrouvent soudain dans une situation rendant inenvisageable la poursuite de la grossesse… Mais, à ce moment-là, nous ne pouvons plus les aider. Nous devons les renvoyer vers les Pays-Bas, l’Angleterre ou l’Espagne. »
3. Un droit fondamental des femmes.
Le droit à l'avortement est un droit fondamental des femmes, qui a été conquis par des décennies de lutte politique et sociale. Il part du principe du droit des femmes à disposer d'elles-mêmes et doit être protégé en tant que tel.
Ce droit ne peut être dissocié de tous les autres droits des femmes. Là où le droit à l'avortement est menacé – comme par exemple en Pologne et aux États-Unis –, les autres droits des femmes risquent également d'être restreints.
Peu après son entrée en fonctions, le président Trump a mis fin à l'aide financière du gouvernement américain pour les ONG qui sensibilisent au planning familial et pratiquent des interruptions de grossesse. En réaction, plus de 700 marches des femmes ont été organisées. Cela montre une fois de plus que le droit des femmes à disposer de leur corps est loin d'être acquis partout et que la vigilance est nécessaire.
« Mon but ultime est que chaque enfant naisse dans un environnement sûr et plein d'amour, disait Lucie Van Crombrugge. La condition à cela, c'est que chaque femme ait un droit de décision autonome et qu'elle ait le contrôle de son propre parcours reproductif. »
Lire aussi l'interview de Lucie Van Crombrugge par Solidaire en 2015.